■ Illustration de François Guery.
La presse a une qualité : elle rend au jour le jour le souci du jour. Elle le retourne, elle le décortique, elle cerne son côté obsessionnel. Ainsi du procès de Marine le Pen, qui la rend inéligible tandis que des sondages la donnaient course en tête. Ce qui est obsessionnel dans l’affaire, c’est le côté turf, pari sur la course de 2027 qu’on cherche beaucoup à avancer dans le temps, tellement on en est impatient. On spécule sur ses chances, et de les voir anéanties, on sursaute, on en est pantois. Toutes options confondues ! Partisans, adversaires, curieux et abstentionnistes.
Mais hélas, il n’y a pas de « souci du jour », et Schopenhauer a raison de faire de cette expression une critique de la courte vue des gens, emprisonnés dans un faux présent, privés de vision. Le souci du jour et tous les autres soucis passés, crus morts, sont en fait une grande famille, ils sont reliés. Détacher l’un, c’est l’amputer, le rendre orphelin, le priver de son environnement vital.
Alors, Marine le Pen là-dedans ?
Elle tombe devant des juges scrupuleux, pas bienveillants, qui ont froidement fait l’addition des sommes détournées par le « rassemblement national » au profit de cette formation, puisant dans les caisses du Parlement européen. On la sanctionne elle, et ses complices nombreux, qui vivent politiquement de ces infractions au droit. C’est le « souci du jour », car l’empêchement de se présenter, d’ailleurs retardé par la procédure d’appel, est ce qui obsède, or, un candidat ne doit pas avoir un casier judiciaire.
Essayons de recomposer la famille de ce souci-là, qui est du jour, et qui met dans la rue pour protester et les « victimes », et leurs adversaires du bloc opposé.
Le rassemblement national, ex. « Front » national, porte bien son nom. Il est nationaliste, il veut épurer en son sein et en général en France, tout élément non-national, soit qu’il s’agisse d’immigration, soit d’alliances trop étroites avec « l’étranger », qui mettraient en péril l’identité nationale : il faut croire que des alliances avec les nations qui sont pareilles en pire ne sont pas un péril pour eux, mais un salut, bonjour Poutine.
Il y a un rapprochement avec des pays européens, l’Allemagne par exemple ? Péril ! Il y a une Union européenne ? Péril ! Il y a un Parlement européen, des fonds pour construire l’Europe ? Péril !
Le 7 octobre 2015, Marine le Pen, responsable de son groupe politique européen, se déplace au Parlement européen pour interpeller François Hollande, alors Président de la République française.
« Monsieur le vice-chancelier (c’est-à-dire : d’Angela Merkel), j’aurais aimé vous appeler Président de la République... »
Cela donne le ton de l’état d’esprit de cette formation concernant l’Europe en général, en construction. Péril ! Outrage à la France éternelle ? À la France de la 5e république ? Le fait que cette formation politique intrinsèquement xénophobe participe aux travaux du Parlement européen signifie une seule chose : il faut l’empêcher de nuire, il ne faut aucune construction européenne, mais un isolement de la France, avec d’autres alliés peut-être, mais nationalistes et anti-immigration, et il y en a.
Continuons à recomposer la famille du souci. Il va de soi que le détournement des fonds européens au profit de leur formation anti-européenne ne peut être un détail administratif, une légère confusion, comme les actuels xénophobes au pouvoir ailleurs, Poutine et Trump, le claironnent en se mêlant de nos affaires intérieures, eux qui escomptent ou escomptaient la victoire électorale du RN.
Dans un passé récent, en 2024, des élections au Parlement européen ont donné une telle avance au RN que E. Macron a réagi avec une force sans doute démesurée, le 9 juin 2024, en dissolvant l’assemblée nationale, afin d’y « voir plus clair ». Le parti anti-européen le plus radicalement nationaliste gagne des élections aux « européennes » ! Quoiqu’on en pense, le résultat n’a pas été leur victoire aux élections nationales, mais la constitution d’un front républicain, composite et vulnérable, mais qui a empêché leur prétention à gouverner.
La suite importe, car la revanche du RN a pris la forme de menaces et de passages à l’acte sous forme de censure des gouvernements nommés pour les empêcher de suivre et d’imposer légalement leur politique de sabotage de l’Union européenne, union qui prend tout son sens dans le nouveau contexte de la guerre en Ukraine.
La question du jour est donc, non pas un coup de force des juges, estimés par le RN « rouges » ou roses ou encore blancs, ni les seules chances de Marine le Pen à la future élection présidentielle, mais celle, géopolitique et civilisationnelle, de savoir si la France peut tomber dans le vide abyssal ouvert par Poutine et Trump, ou bien constituer un foyer de résistance de l’Europe à cet effondrement.
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