Remettre les droits de douane en perspective

 Le Port du Havre assure 60 % du trafic de conteneurs en France.

L’actualité s’égrène et les droits de douanes américains engendrent des réactions qui imposent une prise de hauteur, sur le modèle dont ils sont les fruits.

La mondialisation a changé tout à la fois les modes de pensée et les approches des entrepreneurs, en particulier, des géants du web désignés couramment par l’acronyme Gafam.

Ces entreprises transnationales, et d’autres, naturellement ont procédé à des optimisations à l’échelle mondiale.

Cette mise en œuvre de règles, peut-être mal adaptées car prises par des législateurs qui n’ont pas nécessairement intégré cette vision globale, combinée à celle des grands ensembles telle l’Union européenne et des nations souveraines trouve aujourd’hui, en quelque sorte sa limite.

Les entreprises mondialisées l’ont bien compris et elles exploitent les disparités fiscales et les accords internationaux pour maximiser leurs profits, tout en minimisant leurs contributions aux finances publiques des pays où elles opèrent.

Pour bien le comprendre, ce processus peut être décomposé en plusieurs étapes fondamentales.

Pour la première étape, l’entreprise conçoit un produit ou un service dans un pays à forte capacité d’innovation, où les coûts de recherche et de développement sont significatifs mais stratégiquement assumés, voire aidés par une fiscalité favorisant l’innovation.

La production, quant à elle, est délocalisée vers une région où les coûts sont faibles, optimisant ainsi la rentabilité.

Le produit fini est ensuite commercialisé à l’échelle globale, générant une valeur ajoutée considérable entre son coût de fabrication et son prix de vente, bien plus forte que serait celle d’un produit fabriqué dans nos pays aux coûts de production et à la taxation élevée.

La seconde étape essentielle est que, pour échapper à une imposition substantielle dans le pays d’origine ou de consommation, l’entreprise établit une entité intermédiaire dans une juridiction à fiscalité avantageuse.

Cette société importe le produit à son coût de production, puis le revend à un prix artificiellement élevé à une filiale située dans le pays de vente, ne laissant dans ce dernier qu’une marge taxable minime, suffisante pour couvrir des frais locaux comme la distribution.

Par ce mécanisme, le profit est concentré dans la juridiction à faible taxation. Il est ainsi soumis à un impôt dérisoire, tandis que le pays de consommation, où la valeur est effectivement réalisée, ne perçoit presque rien.

C’est précisément ce que vivent nos économies occidentales et notamment les États-Unis qui ont ainsi subi au fil des ans une érosion de leurs recettes fiscales.

Ce schéma est rendu possible par des conventions internationales, telles que des traités contre la double imposition, qui légitiment ces transferts de bénéfices et empêchent les États lésés de réclamer leur dû.

Les actionnaires de l’entreprise, principaux bénéficiaires, voient leurs gains croître exponentiellement, tandis que les dirigeants profitent de mécanismes d’incitation comme des options sur actions, amplifiant encore leur enrichissement personnel.

Face à cette érosion de leur base fiscale, les États affectés n’ont d’autre recours que d’introduire des mesures compensatoires, telles que des droits de douane ou des taxes sur les importations.

C’est précisément ce que font aujourd’hui les États-Unis, qui souhaitent utiliser cet instrument qui leur permettra de capter une partie de la valeur ajoutée qui leur échappe, en taxant le produit à son entrée sur leur territoire.

Du reste, pour maintenir le pouvoir d’achat de ses contribuables, les États-Unis annoncent répercuter la hausse des droits de douane en baissant les impôts sur le revenu.

Cette réponse américaine, bien que partielle, exerce une pression sur les entreprises qui se trouvent face à deux réactions possibles : soit elles absorbent ces coûts en réduisant leurs marges, soit elles relocalisent leur production pour éviter les surtaxes, réalignant ainsi leurs activités avec les intérêts fiscaux locaux.

Les droits de douane américains, sur le fond, révèlent une tension structurelle : d’un côté, une optimisation légale mais asymétrique, profitant à une élite économique ; de l’autre, une réaction des pouvoirs publics cherchant à rétablir une forme d’équilibre.

Ils illustrent comment la globalisation, en dissociant production, consommation et taxation, fragilise les cadres fiscaux traditionnels et appelle des ajustements coercitifs pour en corriger les excès.

La réaction européenne m’a surpris, car cette logique a été totalement ignorée et le débat s’est focalisé sur une guerre commerciale peut-être inutile.

En réalité cette réaction illustre un paradoxe, celui de la divergence des intérêts des pays membres et donc de l’échelle de la réponse et des négociations qui pourrait se synthétiser dans cette question : qui doit-on protéger, l’industriel automobile allemand, le seul qui exporte vers les États-Unis, ou le vigneron du Bordelais ?

En tout cas, il faut espérer que l’instauration de ces droits de douane imposera aux États européens une réflexion sur cette tension structurelle issue de la mondialisation de l’économie qui nécessite clairement une réponse sûrement nécessaire pour un rééquilibrage de la fiscalité et une augmentation du pouvoir d’achat.

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