■ Funérailles du Pape François le 26 avril 2025.
Le Pape François est mort comme il a vécu, en se dévouant de tout son être aux causes qu’il chérissait : la Fraternité, l’humanisme ou encore la défense des démunis. Aucune considération politique ne pouvait le détourner de son idéal ni l’empêcher de proclamer ce qu’il jugeait, dans la sincérité de sa foi catholique, être la Vérité. Dieu l’a rappelé au lendemain de la Semaine Sainte et du Triduum pascal. Sa disparition vient couronner son destin comme un ultime accomplissement. Sa vie, son enseignement et sa mort sont inséparables ; elles prennent leur sens l’une par rapport à l’autre et constituent les aspects complémentaires d’un seul et même rayonnement.
Durant les douze années de son pontificat, le Pape François a su allier tradition et modernité dans une perspective profondément humaniste. Ainsi lègue t-il à celui qui deviendra le 267e Pape, une Église neuve qui a pour désormais pour sacerdoce d’appliquer l’Évangile aux problématiques de son époque.
I – « Miserando Atque eligendo »
Né en 1936 à Buenos Aires, Jorge Mario Bergoglio est issu d’une famille d’immigrés italiens. Piémontais de par son père, le jeune homme connaît une enfance heureuse au sein d’un foyer modeste. En 1958, il devient novice pour la Compagnie de Jésus avant d’être ordonné prêtre neuf ans plus tard, à l’aube des années 1970. Diplômé de philosophie et déjà tourné vers les Lettres, le Pape François - alors Jorge Mario - a enseigné la littérature ainsi que la psychologie à l’université de Santa Fé entre 1964 et 1967. Par la suite, il reprendra des études de théologie avant d’obtenir son diplôme en 1973. Devenu Provincial des Jésuites d’Argentine la même année, le futur Pontife ne cessera, sa vie durant, de témoigner son amour pour les sciences humaines à travers l'enseignement supérieur en devenant notamment professeur à la faculté de théologie. D’un quotidien nourri par la transmission, la culture et la foi, le tournant décisif a lieu en 1992 lorsque le Pape Jean-Paul II le nomme archevêque de Buenos Aires. L’ascension ecclésiastique du futur Pontife se dessine. Aussi est-il envisagé à son succession en 2005 avant d’être écarté au profit du conservateur Benoît XVI. Il lui faudra attendre huit ans et l’abdication de ce dernier pour être nommé à l’issue du Conclave de 2013. À 76 ans, Jorge Mario Bergoglio devient le Pape François avec comme devise, « Miserando Atque eligendo » ( par la miséricorde et l’élection), en référence à l’homélie de Saint Matthieu. Très vite, il sensibilise ses fidèles au sort des démunis, incitant l’Église à renforcer sa charité. Bien que l’inconscient populaire retiendra principalement son engagement vis-à-vis à des migrants, le Pape François s’est intéressé de nombreux sujets sociétaux tout en continuant à revendiquer son amour pour les sciences humaines, notamment les Lettres.
Dans sa lettre sur le rôle de la littérature dans la formation en date du 17 juillet 2024, le Saint Père compare la lecture à la prière, déclarant ainsi son amour pour les sciences humaines. La missive, accessible et profondément imprégnée des valeurs du Pontife, invite chacun de nous à méditer sur notre rapport à la foi et la littérature, qui toutes deux nécessitent une quiétude spirituelle absolue : « Il y a aussi les moments de fatigue, de colère, de déception, d’échec, et lorsque nous ne parvenons pas, même dans la prière, à trouver la tranquillité de l’âme, un bon livre nous aide à traverser la tempête jusqu’à ce que nous retrouvions un peu de sérénité. »
II – Une église pauvre pour les pauvres
Le 266e Pape de l’église catholique choisit de s’appeler François, autant en référence à Saint François Xavier, fondateur de la Compagnie de Jésus, qu’à Saint François d’Assise à l’origine de l’Ordre des Frères Mineurs. Dans la continuité de ce dernier, il a placé la charité au centre de son pontificat. Refusant les privilèges accordés traditionnellement au Saint Père, le Pape François rêve d’une « église pauvre pour les pauvres », qui placerait l’aide aux démunis au centre de ses priorités tout en se délestant du protocole fastueux traditionnel. Aussi, l’inégalité de la réparation des richesses devient une de ses préoccupations majeures, dénonçant également l’inégal niveau de développement entre les différents pays.
Sans surprise, le Pape François rejette le luxe allant de pair avec ses fonctions, décidant d’habiter au sein de la résidence Sainte Marthe, construite pour les visiteurs ecclésiastiques durant le pontificat de Jean-Paul II, et non au Palais du Vatican. Désireux de réduire la distance entre les représentants de l’Église et ses fidèles, le Pape refuse l’apparat traditionnel et intensifie la simplicité de son mode de vie. Lors de sa visite à Marseille en 2023, il se déplacera dans une voiture de ville, refusant le faste d’une limousine. Faute de demeurer une figure inaccessible, le Pape François devient progressivement le pape des catholiques pour les catholiques, mais pas que, attendu qu’il travaillera avec les anglicans, les luthériens et les méthodistes.
Cette volonté de proximité se retrouve chez les prêtres qui suivent désormais le modèle du Pontife en gommant, peu à peu, les frontières avec leurs paroissiens. Cette modernisation n’est pas la seule refonte que nous devons au Pape François. En outre, dès 2014, celui-ci élargie les périphéries envers les pays marginalisés ordonnant des prêtres venus d’Haïti ou des Îles Tonga. En cela, le pontife devient le parfait héritier de Jean-Paul II dont il partage les convictions et la popularité mais aussi la modernité.
Si la charité compte parmi les priorités du Pape François, l’écologie ainsi que le réchauffement climatique deviennent rapidement des problématiques importantes lors de son pontificat. Dans ses prises de positions, profondément modernes puisque échos de l’actualité, le Pape dénonce la surconsommation : « Etant donné que le marché tend à créer un mécanisme consumériste pour placer ses produits, les personnes finissent par être submergées, dans une spirale d’achats et de dépenses inutiles » mais ce sera dans son encyclique « Laudato si » (2015) qu’il pérennisera son engagement en faveur de l’environnement.
Sensibilisant l’opinion quant au réchauffement climatique en faisant un parallèle entre la création et la terre, le Pape François s’attire les foudres de l’extrême-droite pour qui cette réalité relève de la fable gauchiste. Surnommé « le Pape Vert » par ses détracteurs, il ne cessera d’alerter la communauté catholique sur l’instance du danger qui pèse sur la planète. Pour asseoir ses convictions, il rédige un encyclique uniquement axé sur la question. « Laudato si » ne traitant que de l’urgence climatique en excluant le dogme classique, sa parution divise autant qu’elle ravie. Les catholiques les plus conservateurs rejetteront ce progressisme de fond et de forme; d’autant plus qu’il se voit affilié à la politique contemporaine. Ce sera cependant la question migratoire qui se révélera la plus problématique pour une partie de la communauté qui envisagera cette prise de position d’un point de vue uniquement européen en occultant que le discours du pape s’adresse à un public international.
III – Réinventer la tradition
Héritier du progressisme de Jean-Paul II mais également influencé par le traditionalisme rigoureux de Benoît XVI, le Pape François fait la jonction idéologique entre les deux pontificats.
Aussi intransigeant que Jean-Paul II sur la question de l’euthanasie, le Pape François émet des nuances que nous pouvons également retrouver dans le projet de loi actuel. Désolidarisant la sédation profonde du suicide assisté, le point de vue du Pontife fait écho à celui du premier ministre François Bayrou qui a décidé de la réécriture de la proposition de loi après présentation au Parlement. Si le Pape François considère la sédation profonde comme un accompagnement nécessaire des personnes en fin de vie et ce, sans précipiter leur mort. Dans la continuité de Pie XII qui fut le premier à aborder le sujet de l’euthanasie en 1957, le Saint Père rappelle que « la vie humaine est sacrée » et que s’y opposer est « un pêché contre Dieu. »
En ce qui concerne l’avortement, le Pontife conserve la même intransigeance. Dénonçant la banalisation de l’IVG qu’il envisage comme une dépréciation de la vie humaine. Comparant la pratique à un génocide ou encore à l’œuvre d’un tueur à gages, il tente d’éveiller les conscience. À l’heure où l’avortement se voit standardisé par une minorité d’athées sacralisant la loi Veil, son positionnement apparaît comme une résistance salutaire.
Si l’opinion du Pape François se révèle ferme en la matière, il se montrera plus permissif que ces prédécesseurs au sujet de la contraception. En effet, face à la recrudescence des IST, il reconnaît la bonne utilité des moyens de prévention sans juger du bien fondé de la banalisation d’une sexualité récréative. S’il ne les encourage pas, le Pape François ne condamne pas leur utilisation qui s’avère bénéfique d’un point de vue sanitaire. Cette nuance illustre parfaitement le mariage entre le progressisme et la tradition pour une prise de position qui tient compte des problématiques contemporaines, et ce, qu’elles soient ou non respectueuses de la foi chrétienne.
Si le Pape François demeure inflexible quant à la peine de mort, contraire à l’esprit du christianisme pour paraphraser Jean Jaurès, il ouvre la porte aux fidèles issus de la communauté LGBTQA+. Bien que le terme de « mariage » lui apparait comme impropre pour désigner deux personnes du même sexe, le Saint Père admet les unions homosexuelles. Qualifiant d’injustes les attaques entourant les personnes LGBTQA+, le Saint Père a soutenu la communauté tout en rappelant que l’acte sexuel hors mariage reste un pêché.
De tous les engagements du Pontife, son principal sacerdoce restera le sort des migrants auquel il attachait une importance somme toute primordiale. Dès son arrivée en 2013, il a eu à cœur de dénoncer les conditions de vie des immigrants. Fuyant la guerre ou la persécution, ceux-ci ne méritent nullement l’ostracisme dont ils sont parfois victimes au sein de la terre qu’ils se sont choisis. Dénonçant le rejet systématique de certaines politiques européennes, le Pontife appelle à la solidarité et multiplie les déplacements pour faciliter le dialogue interreligieux. Le point culminant de son engagement a lieu lors de son déplacement à Marseille, ville réputée pour son brassage ethnique. Nous sommes le 22 septembre 2022 lorsque le Pape François s’adresse au monde depuis le Palais du Pharo, édifice surplombant la Méditerranée. Loin de l’homélie prononcée la veille au sein de la Basilique Notre Dame de la Garde en présence du recteur Oliver Spinoza et de l’archevêque de Marseille Jean-Marc Aveline, le Pontife s’engage dans un discours humaniste, à la portée davantage politique que spirituelle, où il confie vouloir faire de la cité phocéenne « un phare pour les migrants. » Dans son discours au lexique portuaire, il use de nombreuses métaphores pour imposer Marseille comme un modèle européen en raison de sa capacité à mettre en pratique l’art du vivre ensemble.
La volonté du Pape François d’importer les valeurs de l’Evangile aux problématiques contemporaines a fait de son pontificat un renouveau pour l’Église dont l’éclat de modernité s’est inscrit dans la lignée de celle amorcée par Jean-Paul II. Charité auprès des plus démunis, proximité avec les fidèles, élargissement des périphéries, le Pape François a réussi à allier la tradition à la modernité afin de fédérer une communauté catholique soudée jusqu’à en devenir le phare. Décédé le jour de la Résurrection, sa disparition appelle au renouveau, à travers l’arrivée prochaine d’un successeur qui aura bénéficié de son influence salutaire ou encore l’impact que son pontificat aura eu sur notre foi. Le Pape François, amoureux des Lettres, soucieux de l’environnement et plaçant la vie humaine au delà de toute considération politico-sociétale, nous lègue une Église à la fois rayonnante et prospère, tournée vers le progrès tout en respectant de la tradition.
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