■ Illustration de François Guery.
Il est nouveau et bouleversant de revenir en-deçà de tout un passé avec lequel et dans lequel on a vécu, aussi loin qu’on se retourne. Les nostalgiques, les passéistes peuvent passer pour des révolutionnaires, tant ils chamboulent tout, comme si une utopie secrète les conduisaient à un coup d’éponge géant sur le monde.
Ainsi, par exemple, du souci de l’environnement et des énergies renouvelables, dont les gaspillages dans le passé industriel ont été responsables de l’effet de serre, donc, du réchauffement global, de la fonte des glaciers, des migrations climatiques, dont on n’a encore rien vu.
Ce souci date du Club de Rome, 1968, dans son expression publique, marquant un coup d’arrêt à la croissance irresponsable, suivi de la publication du rapport Limits to growth, en 1972. Trois générations en arrière de nous, en 2025. Autant dire, une vie ! Et en 1982, le « rapport Brundtland » lance le « sustainable development », le développement soutenable , tandis que celui qui ne l’est pas a ruiné la planète.
Un marchand de biens parvenu au Capitole, exaspéré par l’idée de se voir fixer des limites, nourri d’idéologie suprématiste, donc raciale, choisit de bannir les mots « climat », « environnement » de l’expression publique, parce que la lutte contre le réchauffement limiterait la marche triomphale des Etats Unis, de la race blanche si bien illustrée par sa personne, vers la suprématie planétaire ! Eux qui extraient le gaz de schiste destructeur, exploitent en pensée les futurs gisements catastrophiquement mis au jour par la fonte des glaces du pôle… Une immense dénégation porte d’abord sur le vocabulaire, vernis de surface des plus grands périls planétaires qui étaient, il y a encore quelques années, la pointe de nos soucis et responsabilités.
Mais l’invasion de l’Ukraine a chassé de nos têtes ces soucis, au point que par exemple, le ravage des territoires conquis n’est pas même l’occasion d’un bilan écologique des nuisances, empoisonnements durables, fumées toxiques, dus aux ambitions à menue échelle d’un tyranneau comme on n’en fait, ou faisait plus. La littérature russe du XIXème (Tourgueniev, dans Père et fils) avait anticipé ces choix minables, en imaginant un égoïste à qui on demande s’il préfère du thé, si par hypothèse ce thé pouvait détruire le monde : donnez-moi mon thé ! Répond-il sans émotion.
Revenir en arrière des soucis portant sur l’avenir du monde, de l’écosystème dont vit le monde animal et humain depuis des millions d’années, et faire comme si ce souci était un moustique qu’on chasse avec rage, qu’on fait taire avec exaspération, c’est à ça qu’on assiste dans l’impuissance, le désarroi.
Une race de malotrus balaie nos soucis les plus légitimes. On reprend avant la crise, on fait la sourde oreille.
Un marchand de biens voit dans le monde en général, le globe, un réservoir de profit. On cherche à agrandir son marché potentiel.
Des acolytes sont nécessaires, exempts de scrupules, accessibles au cynisme des partages d’intérêts. Y en a-t-il pour deux au Groenland, cette mine d’or ou quasiment? En Ukraine avec ses terres rares ? Les marchands de biens se divisent les quartiers à mettre en exploitation, chassent propriétaires, locataires, piétinent leurs droits.
On regarde le globe avec des ciseaux. Entre suprématistes au pouvoir, une même hantise règne : plus jamais d’écologie, de combat pour l’égalité des droits, pour les femmes, les homosexuels… ! Vivons comme aux temps bibliques où on maudissait, lapidait tout ça. Les prophètes de malheur qui prêchent des précautions, au feu ! On va découper des zones de pouvoir pour bandes rivales, délimiter des quartiers, partager le gâteau. L’Europe gronde, s’insurge, dénonce des forfaits, des trahisons, au nom de ces idéals dont parlait Husserl pour défier les nazis ? Qu’elle échoie au tsar bien-pensant, qu’on lui laisse gérer les intellectuels, les démocrates, les avorteurs...Le tsar sait comment s’y prendre, il en a maté plus d’un ! Voyez Groszny, voyez Minsk !
La volte-face passe mal, vu les engagements anciens des USA en faveur d’une Europe de l’Ouest qui se défendait de l’emprise de l’Est. L’OTAN est là pour ça. En sortir, la démantibuler, la rendre payante, hors de prix, c’est un chemin vers une trahison subliminale, un lâchage d’une lâcheté discrète, rampante. De plus, que vaut l’opinion, surtout quand on la modèle, qu’on l’intoxique. L’expérience prouve au marchand de biens planétaire que ses victimes réagissent bien, kiss my ass ! On se met même à parler argot, non plus entre dirigeants corrompus comme au moment du watergate, mais à la télévision, en s’adressant au monde entier, tellement on l’estime ! Selon lui, on le lèche de partout…ses mines gourmandes sous son brushing de cowboy fatigué parlent aussi pour son universel mépris de ses frères humains.
Aujourd’hui 12 avril, des pourparlers s’achèvent entre un marchand de biens, Steve Witkoff, émissaire de Trump après de Poutine, afin de planifier le dépeçage de l’Ukraine, sans elle, ni nous ; ça promet des suites monumentales en termes de retournement d’alliances, si ce nétait déjà fait.
Les deux larrons, le Russe et l’américain, remontent ensemble le temps, désactivent les défenses que le monde a péniblement mises en place depuis que la bête immonde a lâché prise. Leur admiration pour ses outrances est un point commun dans leur dénégation des droits humains, des droits des peuples, des droits des minorités. Poutine lâche sur l’Afrique son Afrika Korps! Le blanc a l’humour noir.
Il va falloir se réveiller, et recommencer.
Enregistrer un commentaire