De l’élargissement comme une fuite en avant

 Marta Kos.

Par Chem Assayag - Cadre dirigeant dans l’univers du numérique, auteur (poésie et nouvelles), essayiste et blogueur (blog Neotopia).

Il y a quelques jours le journal Le Monde publiait un entretien avec Marta Kos la commissaire européenne à l’élargissement. Cet entretien a un côté un peu surréaliste et résume assez bien l’impasse dans laquelle se trouve l’Union européenne. Pour Mme Kos « L’élargissement est aujourd’hui un impératif géopolitique pour l’Union européenne ». On peut a contrario penser que l’élargissement ne doit absolument pas être une priorité de l’Union.

Tout d’abord, on peut remarquer que l’existence même d’un(e) commissaire à l’élargissement de plein exercice est un problème. En effet cela revient à faire de l’élargissement de l’Union un objectif en soi et non pas une question à aborder au cas par cas en fonction des demandes éventuelles et surtout de la situation de l’Union à un instant t. Dès lors, le ou la commissaire et ses équipes font ce qu’ils sont chargés de faire : ils vont promouvoir à toute force l’élargissement. Ici la structure crée la politique. On s’étonnera d’ailleurs qu’aucune leçon sérieuse de l’entrée dans l’Union de pays comme la Hongrie (2004), la Slovaquie (2004) ou la Bulgarie (2007) n’ait été tirée.

Ensuite et c’est beaucoup plus gênant, au moment on l’on voit que l’Union fait face à des défis immenses, l’élargissement devrait un sujet mis en parenthèse, tant, justement que ces défis n’ont pas été correctement traités. A ce titre le mode de gouvernance actuel de l’Union, constituée de 27 membres, avec de nombreuses décisions importantes prises à l’unanimité, rend impossible toute avancée sérieuse et rapide sur les questions de défense ou la transformation d’une Europe marché en Europe puissance. On constate ainsi tous les jours le pouvoir de nuisance de Viktor Orban, le dirigeant hongrois, véritable passager clandestin de l’Union. Admettre de nouveaux membres c’est rendre encore plus difficile toute prise de décision, voire la rendre impossible. C’est la meilleure façon de créer une « Europe impuissance ».

Par ailleurs la lenteur du processus de décision européen, qui suppose des va-et -vient incessants entre la Commission, le Parlement et le Conseil Européen, est devenu totalement inadaptée à un monde qui évolue à une vitesse folle. Quand Trump gouverne à coup d’« Executive Orders » et qu’en Chine Xi Jinping concentre tous les pouvoirs, une autre gouvernance est indispensable. Cela veut dire au final plus de décisions prises à la majorité, y compris pour des politiques majeures qui requièrent aujourd’hui l’unanimité (politique étrangère et de défense, politiques relatives à la justice et aux affaires intérieures budgétaires, avec la définition du budget pluriannuel de l'UE et l'existence de ressources financières propres à l'Union), la possibilité de mener des coopérations renforcées pour les états qui le souhaitent et des processus accélérés en cas de besoin. L’UE doit aussi pouvoir activer des sanctions à l’encontre des membres qui ne respectent pas des principes fondamentaux de façon beaucoup plus automatique. Cette nouvelle gouvernance doit être mise en place à 27, et les règles actuelles rendront d’ailleurs son adoption très difficile, et c’est seulement après que la question de l’élargissement redeviendra, peut être pertinente.

Enfin quand on regarde la liste des pays officiellement candidats à l’adhésion (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Géorgie, Kosovo, Macédoine du Nord, Moldavie, Monténégro, Serbie, Turquie et l’Ukraine, mais le cas de cette dernière est assez spécial), on peut se poser de nombreuses questions sur les problèmes potentiels que leur entrée dans l’UE poserait. Ainsi des pays comme la Serbie ont un positionnement géostratégique très ambigu, un niveau de corruption très élevé – y compris avec des logiques mafieuses bien installées -, et un rapport à l’état de droit assez fluctuant. De même continuer à maintenir la fiction de l’adhésion de la Turquie tant que Recep Tayyip Erdoğan est au pouvoir relève d’une absence totale de courage politique. Plutôt que de faire miroiter à ces pays une adhésion irréaliste à court terme au regard des critères européens, un schéma d’association serait beaucoup plus réalisable et souhaitable. Il permettrait de leur donner un cap sans obérer la capacité d’avancer de l’Union.

Pour grandir et s’affirmer l’Europe doit cesser d’être cette zone automatique d’extension du libre échange à travers les élargissements successifs. Elle doit pour cela accepter de mettre la question de l’élargissement en pause pour examiner urgemment celui de l’approfondissement. Cela ne fera pas plaisir à Marta Kros mais c’est sans doute une question de survie.

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