■ LP/Olivier Arandel
Par Mélanie Gaudry - Écrivain.
Le 28 février dernier, après vingt ans d’antenne, C8 a tiré sa révérence. Suite à de nombreux manquements aux principes déontologiques et légaux édictés par l'Arcom envers l’émission « Touche pas à mon poste » animée par Cyril Hanouna, la chaîne du groupe canal s'est vue rayée du paysage audiovisuel français. Cette sanction a, très vite, mobilisé l’opinion qui s’est divisée, sans surprise, en deux clans distincts : les apôtres de la liberté d’expression face aux défenseurs des principes de pluralisme et de respect des valeurs républicaines. Insultes envers un élu de la République, attouchements sexuels, invitation de faux policiers de la BRAV-M, propagande en faveur de l’extrême-droite, TPMP n’a cessé de multiplier et de réitérer les infractions si bien que la décision du Conseil d’État en date du 19 février d’entériner la décision de l’Arcom se révèle grandement prévisible.
Toutefois, la disparition de C8 soulève une question essentielle : jusqu’où une chaîne peut-elle jouer avec les limites de la régulation tout en tenter d’influencer l’opinion publique et politique ? Pour reprendre le slogan de l’émission, la télé n’est-elle vraiment que de la télé ?
TPMP : Les alliances dangereuses.
TPMP voit le jour en 2010 sur France 24. Alors que la chaîne recherche un nouveau programme pour une diffusion hebdomadaire en seconde partie de soirée, Cyril Hanouna, alors en pleine traversée du désert, propose un concept novateur. Une émission de décryptage sous forme de débriefing des programmes de la semaine avec des chroniqueurs issus du paysage audiovisuel. Ces derniers seraient attablés en cercle autour de l’animateur afin de renvoyer aux téléspectateurs l’image d’une réunion de famille. Expertise sur un ton léger, les avis se veulent informels autour d’un animateur fédérateur à la blague facile. Le succès est évidemment au rendez-vous.
Cependant, le manque d’entrain de France Télévisions envers l’émission donne envie à l’animateur, désormais vedette, de davantage de liberté. Ainsi crée t-il, avec le concours de Yannick Bolloré, la société de production H20. Cyril Hanouna détient alors 49% des parts. Bien que cette alliance marque un tournant pour l’histoire de TPMP, ce sera à la rentrée 2012 avec le transfert de l’émission sur D8, petite chaîne du groupe Canal appartenant au milliardaire conservateur Vincent Bolloré, que l’émission connaitra sa transformation définitive.
Si, jusqu’alors, les chroniqueurs étaient des figures emblématiques du paysage audiovisuel, TPMP à la sauce Canal se recentre doucement vers la télé-réalité en mettant à l’honneur différents candidats. L’essence du programme s’efface doucement au profit d’un émission potache où foisonnent canulars, sketchs et autres grivoiseries. Il faudra cependant attendre que Vincent Bolloré devienne l’actionnaire majoritaire du groupe Canal pour que le potache se confonde au militantisme.
Désormais à la tête de Cnews, C-Star et C8, le milliardaire traditionaliste entreprend en premier lieu de supprimer les Guignols, programme phare de Canal +. Ce choix n’est pas un hasard. TPMP doit centraliser le divertissement du groupe et pour se faire, l’émission ne doit pas être concurrencée sur sa plage horaire. Le débriefing de l’actualité audiovisuelle cède progressivement la place à une critique de l’actualité plus large, s’étendant aux faits divers et autres décisions politiques.
La mise en scène d’un effet de bande, le ton familier de Cyril Hanouna, la promesse de vivre des moments inédits sous fond de rire constant engendre une atmosphère unique, entre Ciel mon Mardi et le Jerry Springer Show américain. En stéréotypant les chroniqueurs, le programme se rapproche de la sitcom, amplifiant la connexion des téléspectateurs pour ce programme auquel ils s’identifient. Nous semblons conviés à une réunion de famille informelle où cohabitent l’oncle graveleux ( Jean-Michel Maire ), la mamie excentrique ( Isabelle Morini-Bosc) et la bimbo futile ( Kelly Vedovelli.) Comme un feuilleton d’AB production, la superficialité des conflits, la volonté de simplifier au maximum le scénario et la fausse proximité d’un animateur au tutoiement facile contribuent à mettre en confiance le quidam qui peine à distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas.
Au fil du temps, la quête du buzz médiatique se révèle le leitmotiv du programme, à l’instar des programmes de télé-réalité qui ont le vent en poupe. Aussi, le recrutement de Matthieu Delormeau, animateur phare d’NRJ 12 ne relève en rien du hasard. Celui qui a autrefois été le visage des Anges de la télé-réalité fera la jonction entre les programmes des années 2010, voyeurs et outranciers, et la norme de 2015, incarnée par TPMP, qui se contente de se moquer.
Fake news, humiliations et calomnies.
Si l’adoubement de Matthieu Delormeau en tant que chroniqueur régulier semble prometteur, de par sa popularité et son expérience passée, celui-ci endosse très vite le rôle de souffre-douleur de l’équipe. Constamment humilié, le quadragénaire se voit contraint de faire son coming-out en direct. Une séquence particulièrement déplacée. Très vite, l’ex animateur vedette d’NRJ 12 devient victime d’abus de pouvoir de la part de Cyril Hanouna qui va jusqu’à glisser un plat de nouilles dans son pantalon. Le CSA se saisira de la séquence, insistant sur son caractère homophobe. Pour toute réponse, le principal intéressé répondra qu’il souhaitait seulement illustrer le dicton « avoir le cul bordé de nouilles », niant toute volonté d’avilir son chroniqueur.
L’épisode étant loin d’être un cas isolé, les dérapages se multiplient. Le CSA sanctionne à nouveau l’émission pour homophobie après que Cyril Hanouna ait humilié un jeune homosexuel trouvé sur internet. Jean-Michel Maire, chroniqueur connu pour sa toxicomanie, effectue des attouchements sur une invitée. D’un scandale l’autre, nombreux sont les anciens collaborateurs de l’émission à dépeindre un climat de travail des plus anxiogènes. L’émission Complément d’Enquête consacrée à l’animateur révèlera son comportement en coulisses, entre harcèlement moral et menaces, levant le voile sur l’enfer vécu par ses subalternes. Des allégations largement confirmée par Enora Malagré qui évoquera sa dépression et son combat pour conserver sa place dans le monde audiovisuel après sa démission.
La pandémie de Covid-19 marque un virage important dans l’histoire de l’émission. Durant le confinement, Cyril Hanouna anime l’émission depuis son salon, ce qui contribue à augmenter sa popularité. En se plaçant à la hauteur des français et en débattant en visio de l’évolution de la crise sanitaire, l’animateur propose un format novateur alors que la plupart des programmes sont déprogrammés en raison du confinement. Le désir de l’animateur d’atteindre « la France d’en bas » s’assouvit enfin. Cyril Hanouna veut fédérer le peuple, devenir le pendant prolétarien de Pascal Praud dont le public cible se concentre autour de la classe moyenne.
Au retour en plateau, la récupération de la crise sanitaire se fait sentir et ce, sans tenir compte des conséquences sur les téléspectateurs. Ainsi peut-on voir Didier Raoult - professeur qui n’a cessé de susciter la controverse entre 2020 et 2022 - exposer ses réticences quant à la campagne vaccinale ; l’avocat complotiste Fabrice Di Vizio jusqu’alors inconnu du grand public vanter la dangerosité du vaccin : le marseillais René Maleville critiquer le pouvoir en place ou encore la journaliste conspirationniste Myriam Palomba parler d’Apartheid contre les non-vaccinés. La propagation de ces idées contribuera à la défiance vis-à-vis des consignes ainsi qu’à l’alimentation de théories complotistes.
Pour parachever sa volonté de récupérer la crise sanitaire pour augmenter son audience , l’équipe des chroniqueurs s’enrichit de Jean-Marie Bigard, humoriste qui n’a cessé de remettre en cause le bienfait du confinement durant le printemps 2020 ; de Béatrice Rosenberg, actrice inconnue du grand public et antivax convaincue ; ainsi que de l’ancienne Miss France Delphine Wespiser qui prétend avoir été vaccinée de force. À noter que cette dernière déclarera lors des présidentielles de 2022 voter pour Marine Le Pen car elle ferait une bonne « maman pour les français », offrant un moment télévisuel des plus insolites.
Pour l’heure, le pitch est simple : opposer chroniqueurs en faveur du vaccin contre la Covid-19 aux invités antivax afin de créer des séquences sulfureuses. Le tout, sans songer aux conséquences sur la population. En septembre 2021, la chaîne est sanctionnée par l’Arcom pour non diffusion de journaux d’information, illustrant la volonté de TPMP d’écrire l’actualité selon ses propres critères.
Si, longtemps, le programme a évolué au rythme de la télé-réalité, cherchant à surfer sur le scandale pour gagner des téléspectateurs, la crise sanitaire transformera le concept en émission sanito-politique, sous couvert de divertissement. La transformation de C8, et plus particulièrement de TPMP, en un relai d’opinions extrémistes ne s’est pas faite du jour au lendemain. La pandémie de Covid-19 a permis l’évolution des chaînes du groupe Bolloré vers des espaces où les idées de l’extrême-droite deviennent une tribune. Après avoir tâter le terrain en donnant la parole à des personnalités complotistes dépourvues de toute légitimité médicale et politique sans que le grand public ne s’émouvant de la supercherie, l’année 2022 sera celle de la bascule. Intronisation de nouveaux chroniqueurs issus de milieux extrémistes ou aux liens douteux, entretien des théories du complot amorcées pendant la pandémie, promotion insidieuse de l’extrême-droite, TPMP devient le terreau d’une aire de totale désinformation.
Le piège Louis Boyard
Après avoir été chroniqueur dans l’émission sous l’égide de « lycéen militant », Louis Boyard, désormais député de La France Insoumise, est invité sur le plateau de TPMP pour débattre de l’immigration. Du moins, c’est en ce sens qu’est préparée l’émission en coulisses. Contre toute attente, le jeune élu s’en prend à Cyril Hanouna en évoquant la main mise de Vincent Bolloré sur la ligne éditoriale du programme. Dénonçant la responsabilité du groupe dans la déforestation en Afrique mais surtout dans la montée du racisme en France. Désarmé par les accusations de son ancien chroniqueur, l’animateur rétorque de façon violente, allant jusqu’à insulter le député. Cet épisode a défrayé la chronique tant il a montré comment une émission au ton prétendument divertissant pour décrédibiliser des voix dissidentes. Il contribue surtout à mettre en lumière la main mise du groupe Bolloré sur la chaîne, chose que le grand public ignorait jusqu’alors. L’épisode Louis Boyard qui sera sanctionné par l’Arcom marquera le début de la fin de C8 qui ne s’en relèvera jamais vraiment.
Les dérapages se multiplient durant l’automne 2022 où l’animateur appelle notamment à un procès expéditif pour la meurtrière de la petite Lola. En roue libre, Cyril Hanouna insulte régulièrement celui qu’il envisage comme son principal rival, le journaliste Yann Barthès dont l’émission Quotidien est diffusée en même temps que TPMP sur TMC. Ce sera néanmoins l’intervention de faux policiers de la BRAV-M qui restera dans les mémoires comme une supercherie innommable.
À partir de la rentrée 2023, TPMP se recentre sur l’analyse des faits divers, ouvertement dirigée vers des questions migratoires ou sécuritaires. Nous pouvons régulièrement entendre Cyril Hanouna simplifier la question des OQTF en occultant les textes juridiques pour prôner l’expulsion arbitraire. Pour rendre le débat crédible, des chroniqueurs se divise en deux clans distincts. Ceux qui disposent de la vérité - Géraldine Maillet, Raymond Abbou, Guillaume Genton et celui qui s’y oppose – le trublion Gilles Verdez, étiquette LFI, dont les opinions sont systématiquement tournées en dérision dans le but de décrédibiliser le parti. Le schéma peut se transposer à toutes les émissions jusqu’à février 2025 dans TPMP comme dans « On marche sur la tête », émission de radio animée par Cyril Hanouna sur Europe 1. Dans une enquête du journal Le Monde, il est révélé que dans l’ensemble des émissions OMSLT précédents les élections législatives, Cyril Hanouna a personnellement passé trente minutes à critiquer la LFI, prés de trois à décrier le parti présidentiel, tout en s’abstenant de jeter l’opprobre sur le RN.
Cette période voit fleurir l’arrivée d’intervenants issus du groupe Bolloré, principalement Cnews et Europe1, dans le but de donner un air de respectabilité à l’opinion énoncée. Ainsi, C8 traitera d’un ton léger ce que ses émules ont évoqués plus tôt, sans parfois changer de protagonistes. Nous retrouvons Shana Loustau, fille du fiché s d’extrême-droite du même nom, mais aussi des journalistes politiques disposant seulement d’un BTS radio. La question de la probité et de la légitimité des salariés du groupe se pose à nouveau.
En ce qui concerne les invités, la prépondérance des personnalités d’extrême-droite devient évidente. Comme pour les autres pôles du groupe Bolloré, le ton est donné. Promouvoir, plus ou moins subtilement, les idées de l’extrême-droite. Les invités se font donc plus en plus extrémistes. La présidente du groupe Némésis, Alice Cordier, pourtant condamnée à de multiples reprises pour incitation à la haine, se voit régulièrement invitée sur le plateau de TPMP et de Face à Baba. Les intervenants issus de partis d’extrême-droite se multiplient mais ce qui se révèle le plus discutable s’avère la mise en avant de personnalités aux accointances marquées. Ces dernières, tout en ne se revendiquant apolitiques, contribuent à faire la promotion de l’extrême-droite, soit en allant dans le sens donné, soit en instiguant un débat. Une sorte d’entre-soi politisé où se succèdent soutiens d’Alain Soral déguisés en personnages publics et autres cadres du Rassemblement National dans un climat faussement décontracté. Influenceurs, anciens candidats de télé-réalité ou encore vieilles gloires de la chanson française, la diversité des profils permet un renouvellement constant, au point qu’il est dorénavant rare que siège un invité dépourvu de liens directs ou indirects envers une branche du parti.
Dans Face à Baba, une nouvelle chroniqueuse illustre le tournant pris par C8. Elle s’appelle Bahia-Carla Stendhal. Stagiaire chez Cnews, la jeune femme est intervenue dans deux émissions de TPMP entre 2021 et 2023. La première fois, elle avait été présentée comme une femme d’affaires *la seconde comme journaliste chez l’Incorrect où elle n’a pourtant effectué qu’un stage en communication. À noter que l’Arcom a sanctionné plusieurs fois C8 pour présentation frauduleuse des invités. Bahia-Carla Stendhal est surtout une ancienne auditrice de l’Institut de Formation Politique, pépinière d’extrême-droite qui apprend comment promouvoir les idées du parti sur le net de façon insidieuse. Également connue pour fréquenter les soirées de Mickaël Vendetta, autre proche de Soral, qui promeuvent une secte racialiste, Bahia-Carla Stendhal effectuera une sortie saisissante durant le printemps 2024. En se prétendant dotée du don de déterminer qui est une âme céleste de qui ne l’est pas, elle fera implicitement la promotion de la Fraternité Blanche Universelle en employant le vocabulaire propre à la secte. En distillant ses idées sans en avoir l’air, la jeune femme nous prouve qu’elle possède toutes les qualités pour faire ses armes dans le groupe bien que sa légitimité à l’antenne reste toujours à déterminer.
L’affaire C8 et la sanction de l’Arcom illustrent la fragilité du paysage audiovisuel français face à l’ingérence des intérêts politiques. Comme le dira Cyril Hanouna lui-même, si le RN avait gagné les législatives de juin dernier, l’issue aurait été différente pour la chaîne. Celle-ci aurait bénéficié de soutiens qui auraient pérennisé la désinformation au détriment de l’esprit démocratique. Alors que le groupe Bolloré a su habilement transformer ses chaînes en relais de l’extrême-droite, l’Arcom tente de maintenir un équilibre nécessaire pour préserver la pluralité des médias et protéger les téléspectateurs de la banalisation d’un discours extrémiste. Ce dernier se voit relayé de façon faussement intellectuelle par Éric Zemmour, populiste par Pascal Praud et entre deux « darkas » par Cyril Hanouna. Amputé de son antenne la plus insidieuse, le groupe Bolloré fait grise mine. Les jérémiades des camarades de Cnews et la pétition mise en place par le Rassemblement National n’ont pu empêcher le couperet de tomber. Avec la diffusion d’un film anti-IVG en guise d’adieu, C8 n’est désormais plus qu’un bandeau noir, clôturant une décennie d’excès et de scandales. Mais le groupe Bolloré, mis à mal par la perte de son programme phare, est-il pour autant à l’abri d’une nouvelle amputation ?
À en juger par la mise en demeure de l’Arcom invitant Cnews à « la plus grande vigilance, à l’avenir, quant au respect de l’exigence de pluralisme des courants de pensée et d’opinion », rien n’est moins sûr …
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