Le printemps des autocrates

Au printemps 2011 plusieurs pays arabes, notamment la Tunisie ou l’Egypte, connaissaient de fortes contestations des régimes autoritaires en place, notamment à l’initiative des jeunesses locales. Un vent d’espoir semblait alors souffler dans ces sociétés et on se prenait à rêver d’une bascule de ces pays vers des régimes démocratiques. Malheureusement près de 15 ans plus tard aucun n’est devenu une démocratie. Pire, on voit désormais toute une série de pays faire le chemin inverse et glisser insidieusement vers ce qu’on qualifiera de régimes autocratiques. Ils se caractérisent par la primauté donnée au pouvoir et à la personnalité du chef, une suspension de l’Etat de droit dans certains domaines et une conflictualité permanente entretenue avec les pouvoirs législatifs et judiciaires. On pourrait aussi ajouter que les dirigeants à la tête de ces régimes n’ont qu’une obsession : se maintenir au pouvoir. Coûte que coûte.

A ce titre le retour de Donald Trump à la Maison Blanche est à la fois une illustration de ce mouvement et un catalyseur, dans le sens où il semble envoyer un signal à ceux qui seraient tentés de l’imiter.

Ces derniers jours deux exemples se matérialisent sous nos yeux dans des pays pourtant très différents : la Turquie et Israël.

En Turquie, Recep Tayyip Erdoğan n’est plus un démocrate depuis longtemps – et les zones d’ombres sur la tentative de coup d’état de 2016 restent très nombreuses – mais il semblait prêt à continuer à se soumettre au verdict des urnes. Ainsi en mars 2024 Ekrem İmamoğlu, qui apparaissait ces derniers temps comme son principal concurrent pour la future élection présidentielle de 2028*, avait été réélu triomphalement à la mairie d’Istanbul, fonction vue comme un tremplin vers la direction du pays.

Son arrestation pour des prétextes fallacieux le 19 mars dernier, son incarcération ainsi que celle de ses proches collaborateurs, tout cela dans le but de l’empêcher de se présenter en 2028 font basculer la Turquie dans un autre mode de gouvernement. D’ailleurs la très forte répression des manifestations massives qui ont suivi ces évènements – plus de 1400 personnes arrêtées à ce jour – montre qu’Erdogan ne laissera pas la contestation gagner.

On peut penser que le moment choisi par Erdogan pour encore durcir son régime est directement lié au retour de Trump à Washington. L’attention internationale est focalisée sur la question de l’Ukraine et les négociations initiées par le président américain, de leur côté les européens ne peuvent s’aliéner la Turquie, deuxième puissance de l’OTAN, au moment où le lien avec les Etats-Unis se distend, et enfin Trump ne trouvera rien à redire à un comportement brutal qui semble être son modèle de gouvernement. En somme le timing idéal pour le « reis » turc.

L’exemple israélien est sans doute encore plus éclairant et d’une certaine façon désespérant. Israël était une démocratie ; imparfaite, critiquable – notamment sur la question palestinienne -, parfois bancale, mais une démocratie. C’était d’ailleurs, dans la région, le seul état qui pouvait se prévaloir de ce titre.

Or Benyamin Netanyahou, le Premier Ministre, menacé par de nombreuses affaires judiciaires, et principal responsable du fiasco sécuritaire du 7 octobre, semble désormais avoir pour seul objectif de rester à son poste et pour cela il est prêt à tout, aux manœuvres politiques les plus vicieuses, et aux décisions les plus radicales.

Ainsi il est prêt à continuer la dévastation de Gaza y compris en rompant la fragile trêve conclue depuis le 19 janvier et en mettant en péril la vie des otages, et il assume en parallèle un conflit ouvert et majeur avec l’institution judiciaire et la Cour Suprême pour garder sa place. Il entretient donc une guerre sans fin avec le Hamas et les palestiniens pour apparaître comme le seul dirigeant en capacité de la conduire tout en muselant ses seuls adversaires actuels, les juges.

Dans ce contexte il a instrumentalisé son gouvernement pour annoncer le limogeage du chef du Shin Bet, l'Agence de la sécurité intérieure, Ronen Bar, et engagé une procédure de destitution contre la procureure générale du pays, Gali Baharav-Miara, qui est à l’origine de plusieurs enquêtes sur lui. Il faut se débarrasser des gêneurs.

Une loi votée le 27 mars avec l’appui des partis d’extrême droite vise aussi à permettre à l’exécutif de renforcer sa mainmise sur la nomination des juges. Netanyahou semble ainsi organiser les conditions de son maintien au pouvoir en orientant les lois de son pays, dans une démarche classique des dirigeants illibéraux. Ici le soutien infaillible de Trump, y compris dans la « gestion » chaotique et criminelle du conflit à Gaza, semble avoir complètement désinhibé les penchants autocratiques du dirigeant israélien, dont on ne sait jusqu’où il est prêt à aller. Là aussi le timing semble idéal.

A ce stade, que ce soit aux Etats-Unis, en Turquie ou en Israël, le (fragile) espoir réside dans une réaction rapide et massive des sociétés civiles, pour éviter des dérives encore plus inquiétantes. Sinon, Trump, Erdogan, Netanyahou et leurs amis pourront célébrer le printemps des autocrates.

*Erdogan ne peut pas se présenter théoriquement mais gageons qu’il essaiera de s’arranger pour que cela change.

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