La nuit de Xi Jinping

 Le Président Xi Jinping, en janvier 2017 (©UNGeneva).

Par Chem Assayag - Cadre dirigeant dans l’univers du numérique, auteur (poésie et nouvelles), essayiste et blogueur (blog Neotopia).

Il était déjà près de minuit. Pour l’occasion le président Xi Jinping avait fait installer dans son bureau privé au sein de sa résidence de Zhongnanhai deux grandes télévisions qui étaient branchées sur des chaînes américaines, et un moniteur où apparaissaient le visage de Xie Feng, l’ambassadeur de Chine aux Etats-Unis, ainsi que celui de Zhang Hanui, l’ambassadeur en poste à Moscou. Ils étaient connectés en visio-conférence sur une ligne ultra sécurisée.

Cai Qi, le premier secrétaire du Secrétariat général du Parti communiste chinois et qui avait le rôle officieux de chef de cabinet de Xi était bien entendu présent à ses côtés.

Le « nouveau timonier » avait aussi fait venir un traducteur anglais/chinois, un traducteur ukrainien/chinois, et un spécialiste de la proxémique, qui avaient tous l’habitude de ce type de réunion, et savaient notamment quand se mettre en retrait. Il aurait pu attendre le lendemain pour prendre connaissance de ce qui se passait à Washington, et une session de travail avec ses principaux collaborateurs était prévue à 10 heures pour en discuter, mais il souhaitait assister en direct à l’entretien entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky.

Ses services anticipaient la signature de l’accord sur les minerais, sans que l’on sache très bien quelle serait l’étape suivante en vue d’un cessez le feu, mais avec Trump tout était possible. Ce que le président chinois avait retenu de leurs quatre rencontres lors du premier mandat de l’ex promoteur immobilier c'est qu'il était seulement mu par son ego et son appât du gain, et qu’à tout moment il pouvait improviser en fonction de ces deux moteurs. Le reste en général il s’en fichait complètement, ce qui rendait parfois les discussions assez sinueuses.

Xi avait tout de suite noté que la configuration spatiale dans le Bureau Ovale était défavorable au président ukrainien, avec la présence de J.D Vance, le vice-président, comme en embuscade, ce que lui avait confirmé son conseiller, expert reconnu dans l’analyse des dynamiques spatiales et corporelles dans les réunions.

De son côté Feng avait aussi souligné la présence dans l’assistance d’influenceurs pro MAGA qui remplaçaient de façon croissante les médias traditionnels à la Maison Blanche, et alimentaient en informations orientées la base pro Trump. Cela faisait un peu penser à une meute.

Néanmoins pendant une quarantaine de minutes tout semblait se passer à peu près normalement, Zelensky fournissant manifestement un effort pour choisir ses mots en anglais pour se faire bien comprendre, quand le ton avait commencé à monter entre les protagonistes lorsque Vance était rentré dans la conversation, au mépris des usages diplomatiques.

Comme l’ukrainien semblait résister et ne pas vouloir se contenter d’acquiescer, la tension était encore montée d’un cran. Vance avait alors pris à nouveau la parole, et asséné cette phrase terrible « Avez-vous seulement dit merci ?".

Xi Jinping, pourtant habitué, après de longues années de pouvoir, aux joutes oratoires entre dirigeants n’avait jamais vu ça. Il était plus d’une heure du matin mais il avait bien fait de rester éveillé car ce qui se passait-là était incroyable. Désormais le but semblait être d’humilier le leader ukrainien et la traductrice attira l’attention des participants sur l’ambassadrice de Kiev qui avait l’air effondrée de la tournure prise par les évènements, pendant que Trump et Vance semblaient se relayer pour rendre la situation de Zelensky encore plus inconfortable.

Feng ajouta, comme il l’avait déjà dit plusieurs fois dans les semaines précédentes que Vance était quelqu’un de dangereux. Intelligent et jusqu’au boutiste. Extrémiste et idéologue. Il faudrait anticiper sa possible élection en 2028 et se préparer en conséquence lui répondit Xi JiPing, en renforçant l’équipe spécialisée qui suivait le jeune vice-président. Il jeta un regard vers Cai QI qui acquiesça et comprit qu’il faudrait qu’il supervise ce sujet de près.

A Washington l’entretien semblait s’achever sans décision et dans une certaine confusion. La conférence de presse traditionnelle était d’ailleurs annulée et Zelensky allait repartir pour l’Europe comme un petit garçon qui venait de se faire gronder.

Zhang Hanui fit remarquer que Trump avait repris mot pour mot le narratif russe sur la guerre et que Poutine aurait pu lui dicter son discours avec des phrases identiques. Xi souria ironiquement et rappela que les agents du MSS, les Services Secrets chinois, avaient tous les éléments qui montraient que les russes avaient bâti un dossier très solide pour faire de Trump leur obligé. En fait le MSS avait même une copie du dossier en question. D’ailleurs si le rapprochement entre les américains et les russes allait trop loin il serait temps d’en faire bon usage. Il ne faudrait pas que Poutine oublie tout ce qu’il devait à Pékin…

Il était presque deux heures du matin dans la capitale chinoise et Xi mit fin à la réunion. Il était temps pour lui de se coucher. En repensant au fait que Trump avait été élu à deux reprises il se dit que décidément il y avait quelque chose de pourri au royaume des démocraties.

Laissez-nous un commentaire

Plus récente Plus ancienne