■ Donald Trump (Rawpixel).
Les premières semaines de la présidence Trump ont été chaotiques, avec un enchaînement ininterrompu d’annonces et de signature d’«executive orders » dont on discerne le potentiel ravageur mais dont on peine à voir la cohérence. L’improvisation et les humeurs aléatoires du président américain semblent régner en maître.
Il nous semble pourtant qu’il y a une ligne directrice qui est à l’œuvre, peut-être pas impulsée directement par Trump, lui dont les seuls moteurs sont apparemment un ego démesuré et l’appât du gain – ces deux éléments réunis expliquant la fascination qu’il peut avoir pour un Elon Musk ou un Vladimir Poutine qui sont bien plus riches que lui -, mais par son entourage et ceux qui ont préparé son retour au pouvoir comme la Heritage Foundation avec son « Projet 2025 ».
L’enjeu pour la caste de ploutocrates qui gouverne avec Trump – « les trumpocrates » - c’est de réussir à maintenir en vie la forme actuelle du capitalisme, que je désigne pour ma part comme le capt/alisme, et qui recouvre et/ou s’appuie sur des concepts comme le capitalisme de prédation ou encore le techno-féodalisme tel que décrit par Cédric Durand. Concrètement ce capt/alisme est caractérisé par une dérégulation massive de nombreux marchés, une financiarisation croissante de l’économie et une déformation de la richesse produite au profit du capital notamment dans l’univers des technologies numériques. Dans sa forme la plus « aboutie » le capt/alisme produit les multi milliardaires de la Silicon Valley.
Or ce capt/alisme doit faire face à deux problèmes majeurs qui le remettent profondément en cause : la montée croissante des inégalités et les questions environnementales.
Aux Etats-Unis la hausse des inégalités est chaque jour plus criante ; l’indice de Gini qui mesure le degré d'inégalité des revenus d'un pays y est quasiment à un plus haut depuis 50 ans – 0,488 en 2022 selon le US Census Bureau -, et désormais 19 % du revenu national (source : World Inequality Database) est détenu par les 1 % les plus riches – ceux qui influencent vraiment la politique -, soit le même pourcentage qu’en Afrique du Sud ! et ce chiffre est lui aussi à son plus haut depuis 1946. Le « risque » est donc que les américains finissent par prendre vraiment conscience du problème et agissent en conséquence en demandant un réel changement de politique.
L’autre menace existentielle pour le capt/alisme c’est la problématique environnementale et son volet le plus visible à court terme c’est-à-dire le dérèglement climatique. Dans un monde fini la croissance infinie est impossible et la course aux ressources va devenir de plus en plus compliquée et violente. Il faut d’une part s’assurer de l’accès aux matières premières qui permettent d’alimenter la machine capitalistique – particulièrement gourmande quand on parle des technologies du numérique -, et d’autre part s’assurer que les questions climatiques sont reléguées au second plan, pour éviter la mise en œuvre de politiques de sobriété et donc une réduction de la demande potentielle et des profits qui vont avec.
Les « trumpocrates » sont évidemment conscients de ces risques, quasi existentiels pour eux, et ont élaboré une stratégie adaptée ; dans ce cadre la meilleure réponse qu’ils ont trouvée c’est de forger de l’ignorance. Massivement, à très grande échelle, de façon industrielle.
Pour cela ils ont recours à plusieurs tactiques qui se combinent et se renforcent :
- Tout d’abord saturer l’espace médiatique d’informations. Elles peuvent être de toutes natures, ridicules ou importantes, justes ou fausses, cohérentes ou contradictoires, cela n’a aucune importance. Il faut juste rendre impossible toute prise de distance et entraîner le citoyen dans un maelstrom hypnotique. La forme prime sur le fond et toute prise de parole publique bascule dans le « show ». Ici la maîtrise, au sens propre, des réseaux sociaux est un enjeu fondamental et on peut aussi voir la question de la propriété de TikTok à cette aune.
- Il faut ensuite s’attaquer à toutes les formes de critique des inégalités pour éviter toute remise en cause du système tel qu’il fonctionne. L’obsession « anti wokiste » de Trump vient aussi de là, car les sciences sociales, au soubassement de l’analyse des questions de genre ou de race, sont au cœur de la remise en cause des inégalités. Il faut donc purger toute référence à ces générateurs d’inégalités, d’où la publication de listes de mots interdits et la fin de toutes les politiques dites DEI (Diversité Equité Inclusion), et au-delà il faut rendre quasi impossible l’expression d’un contre discours.
- Enfin il faut s’attaquer à la science climatique, celle qui documente la catastrophe en cours. Cela veut dire quitter les instances internationales qui traitent de la question, réduire drastiquement les financements aux équipes universitaires et de recherche et entretenir un narratif opposant « progrès » et « régulation du climat ». Certains ont postulé une «attitude anti-science » de l’administration Trump, mais qui peut croire qu’un Elon Musk ou un Jeff Bezos – qui font tous les deux décoller des fusées – ou qu’un Mark Zuckerberg ou un Sam Altman – qui s’appuient sur des mathématiques pointues pour créer des IA – sont contre la science ou climato-sceptiques ? Ils savent pertinemment ce qui se passe mais ils veulent rendre l’accès à la connaissance sur le sujet très difficile et rendre tout production de nouvelle connaissance impossible. La question climatique doit être reléguée au second plan, et dans le déluge informationnel que j’évoquais plus haut une opinion aura désormais valeur de fait, et un fait pourra être nié puisqu’il sera de plus en plus difficile de s’y référer. A défaut de pouvoir arrêter le dérèglement climatique faisons le disparaître de l’agenda médiatique. En somme cachez ces mauvaises nouvelles que je ne saurais voir !
Ainsi dans le monde de Trump, pour que la « fête continue », au détriment de l’immense majorité de ses concitoyens voire des habitants de la planète, il faut que les masses restent silencieuses, amorphes, dociles, et pour cela rien de tel que de fabriquer de l’indifférence ou mieux encore de l’ignorance. Et tous les jours nous avons de nombreux exemples de décisions prises par Trump qui visent à en produire toujours plus. Et si cela ne suffit pas à éteindre toutes les critiques, les instruments d’un régime autocratique, voire pire, seront là pour y remédier. Quant à nous face à cette politique terrifiante nous avons toujours les mêmes armes qu’il nous faut brandir encore et encore: l’information et l’éducation.
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