Coups de tonnerre

 Illustrations de François Guery.


Certains coups de tonnerre sont en fait les échos d’un coup de tonnerre plus ancien, ou une répétition. Ainsi du coup de théâtre de l’entretien-attentat du couple Trump et Vance, exécutant en direct leur invité Zelensky. Bas les masques, le président élu, pour la deuxième fois élu, des Etats Unis passe du côté de Poutine, défend le même point de vue impérialiste que lui sur les droits des grands empires sur leurs vassaux, vante même la patience et la résilience du dictateur face aux agressions, de plus coûteuses, de l’Ukraine. Le clash est mis en scène, donné en spectacle, le rideau s’ouvre tout grand sur ces obscénités.

Toutefois, ce coup de théâtre a été prévu, anticipé dès la campagne électorale de Trump, au point que Poutine lui-même attendait cette élection pour triompher, et que chacun dans la presse internationale appréhendait l’évènement à venir, certain que le sort du conflit était joué dès que Trump reviendrait aux affaires.

Il en va d’une psychologie dans ce cas, car il y a une psychologie de Trump, qui pèse sur la géopolitique davantage que dans d’autres cas : une enflure de l’ego de cet ancien animateur de shows télévisuels avec des girls empanachées, cet homme d’affaire aux affaires calamiteuses, ce président perdant sa réélection. C’est ce dernier point qui compte le plus : élu une première fois, il perd, au profit d’un candidat plus âgé, moins star que lui. Il n’a de cesse de proclamer qu’il a perdu par ruse, injustement, la tricherie est pour lui la seule raison, l’alibi pour un ego blessé qui ne tolère pas la perte de prestige.

Réélu, il fait comme si la parenthèse n’avait pas existé : rien de ce qui a été décidé par l’autre, l’imposteur, n’a de valeur. Il revient sur quatre ans de politique, reprend l’histoire à sa défaite. Il aurait fait autrement, donc, l’histoire reprend autrement, s’annule, se nie. Les choix de l’autre ne comptent pas, on fait du rattrapage. Le soutien à l’Ukraine n’a pas eu lieu, des dépenses absurdes doivent être remboursées. On recommence, on annule, y compris les gens impliqués, on raye Zelensky, on le renvoie à son néant.

Le côté avantageux de cette opération psychologique en même temps qu’elle est géopolitique tient à l’impasse de la guerre d’Ukraine. Revenir en arrière a un sens réaliste, cynique, cela ressemble à de la realpolitik. Quelque chose a raté : le blocus économique a eu des conséquences non seulement négatives, mais catastrophiques. La Fédération de Russie a souffert des sanctions économiques, mais a compensé en nouant des alliances inouïes, tous les pays voyous du monde sont entrés en danse contre l’Occident libéral, et le « Sud global » en a bénéficié en se soudant contre lui. Cela ne fait l’affaire de personne, du côté des démocraties, et en sifflant la récréation, la star Trump semble revenir paradoxalement à la raison, et dissiper un cauchemar.

Suivant sa nature comptable, comme un boutiquier écrit dans son livre de comptes, il présente les additions, il monnaie l’erreur initiale de son échec aux élections en réclamant à chaque fauteur ce qu’il lui doit, à lui. Il apure les comptes du monde, il solde tout, renvoie à leur néant ceux qui l’ont nié.

Le « parler valeurs » se trouve bien embarrassé devant cette situation où il faut payer, tandis qu’on défendait autre chose que des profits immédiats, et qu’on escomptait des jours meilleurs. Le rideau se lève sur un brouillard épais, sur une absence de chemin. Parler de virage, de demi-tour même, supposerait quand même une route, donc, une destination. Une route va d’ici à là, mais où va-t-on réellement, dans cette conjoncture non prévue, même si on croyait la comprendre, sinon l’accepter ?

On parle de « loi du plus fort », on annonce son retour après l’idylle durable d’une après guerre où on a multiplié les protections, qu’elles soient sociales, éthiques, légales .

Me trouvant être l’auteur d’un ouvrage nommé La loi du plus faible, je voudrais en développer l’argument autrement que dans le livre.

Le plus fort ne fait pas la loi, il échappe à toute loi, puisque une loi digne de ce nom s’applique à tous, forts ou faibles. Le plus fort vole la loi et la viole, la singe, la pervertit.

La loi arbitre, elle admet une pluralité de sujets, d’intérêts, de points de vue. On dit la loi, on ne la fait pas.

C’est donc autre chose qui se produit, qu’un « retour » à la loi du plus fort. Si en réalité on veut désigner le nazisme, si on veut dire qu’on en est sorti, qu’on l’a exorcisé, et qu’il revient, on ne peut s’en tenir à l’appeler « fort », puisqu’il a été vaincu, qu’il a implosé. Il a pu être fort, le plus fort, dans des conflits armés, il a aussi été faible, le plus faible, dans leur issue finale. Mais cette faiblesse finale a tenu à la révolte contre son injustice, sous forme de résistances multiples, de résistances à sa « dé-loyauté » de principe, son éthique hors-la-loi . On ne vit pas avec çà, on ne vit pas sous la coupe de çà.

La force n’est pas la réalité, pas la loi des hommes, ni celle de la nature vivante (cela, c’est l’argument de mon livre). C’est une haine agissante de la civilisation, de la « politesse » (de Polis, la ville, le mode de vie urbain). Civiliser le monde est un sens de l’histoire, un défrichage permanent, entrecoupé de régressions. Que des mal-élevés sonnent la charge contre la politesse avec les moyens de grands empires est une pathologie géopolitique, un fourvoiement qui aura contre lui, tôt ou tard, les hommes, dans leur désir de bien vivre. On peut, on doit commencer dès maintenant à résister à ces forces-là.


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