Projet de loi sur la fin de vie : Rendez-vous avec la mort

 Assemblée nationale.


Près de dix ans après que la loi Claeys-Leonetti ait permis la généralisation de la sédation profonde et continue pour les patients dont l’espérance de vie se mesure à court ou moyen terme, le sujet de la fin de vie s’apprête à être à nouveau présenté au Parlement. Le projet de loi qui avait fait l’objet de débats publics houleux avant la dissolution de l'Assemblée Nationale continue d’attiser les passions. Et pour cause, s’il est question d’améliorer l’accès aux soins palliatifs en créant notamment des établissements médico-sociaux dits « maisons d’accompagnements », le sujet controversé de la légalisation de l’euthanasie ne cesse de diviser responsables politiques, acteurs sociaux et représentants religieux. Aussi, le Premier Ministre François Bayrou, a décidé de scinder le projet de loi en deux parties distinctes, séparant les soins palliatifs de l’euthanasie / suicide assisté, afin de calmer la vox populi mais également d’opérer une réforme profonde sur le sujet. Car si garantir un accompagnement respectueux de la dignité humaine est moralement essentiel, éviter tout abus l’est tout autant.

Amélioration de l’accès aux soins palliatifs

Nous sommes en mars 2002 lorsqu’est votée la loi Kouchner introduisant la notion jusqu’alors abstraite d’acharnement thérapeutique. Renvoyant à l’alinéa sur la bienfaisance du serment d’Hippocrate - « Primum non nocere » se traduisant par « D’abord ne pas nuire » - le patient peut refuser des traitements qu’ils jugent inutiles lorsque son espérance de vie se compte en jours ou en mois. Il faudra cependant attendre avril 2005 et la loi Leonetti pour que l’acharnement thérapeutique soit officiellement interdit en France. Le principe de « sédation profonde et continue » est alors énoncé, permettant aux malades qui le souhaitent d’être soulagés de leurs souffrances. Il s’agit d’une avancée majeure en matière de soins palliatifs jusqu’alors tabous dans la société française. Par ailleurs, l’apparition des directives anticipées directement inspirées du modèle américain offre aux patients la possibilité d’exprimer par écrit leurs souhaits concernant les soins qu’ils désireront recevoir si leur situation devient irrémédiable. Le mandat du Président Chirac aura permis de solides avancées au sujet de la fin de vie, toutes centrées sur le respect de la dignité humaine mais également la bientraitance en milieux hospitaliers et palliatifs. Il demeure néanmoins un flou autour des patients dont l’état ne permettrait pas de formuler des directives anticipées, lequel est régularisé en 2016 par la loi Claeys-Leonetti. En effet, la fiche LATA - TAP s’inscrit dans des protocoles spécifiques où le patient en fin de vie - ou à défaut d’un discernement suffisant son représentant légal - peut choisir ses traitements. Ainsi, peut-on envisager des soins infirmiers de confort ( toilette, rasage etc) tout en refusant des protocoles plus invasifs. La fiche LATA-TAP amorce la question du suicide assisté puisqu’elle permet de cesser l’alimentation et l’hydratation de patients dont l’espérance de vie se mesure parfois à moyen terme. Elle renvoie à l’autorisation du Conseil d’Etat de donner la décision à un médecin d’interrompre la nutrition et la sédation si ceux-ci – faute de soulager le malade - lui octroient davantage de souffrance. Ainsi la fiche LATA-TAP entend régulariser ce protocole en allégeant les dispositions requises. En 2016, il est établi que l’accord de deux soignants doit se coupler à celui de la famille, lesquels pouvant être des infirmiers dont le niveau de compétence ne permet objectivement pas la prise d’une décision de cet ampleur ou encore un médecin réanimateur qui ne connaîtrait que superficiellement le dossier. Ce protocole, mal géré, peut ouvrir la voie à de nombreuses dérives comme à l’hôpital privé Vert Coteau ( Marseille-10). En effet, en novembre 2023, Henry Biaggi, un patient victime de négligences au sein du service hybride de soins continus, avait contracté un staphylocoque. Trop âgé pour être soigné par un personnel discriminant le troisième âge, il a vu son état se dégrader pendant son séjour jusqu’au point de non-retour. Pour ne pas être signalé à la CNIL et éviter de mettre en lumière l’éthique douteuse de l’établissement, un des médecins réanimateurs du service de soins continus avait dissimulé la contamination à sa famille tout en élaborant une fausse fiche LATA-TAP où était préconisé l’abandon de tous les soins. Le praticien, avec la complicité d’une soignante, avait fallacieusement ordonné l’arrêt des traitements et l’interdiction de toute réanimation en prétendant s’appuyer sur la décision de ses ayants-droits. Afin de ne pas ternir les statistiques de l’hôpital déjà entaché en 2020 pour les fraudes de son directeur Bruno Thiré, le patient était sorti en hospitalisation à domicile (HAD) dans le coma avant de s’en aller mourir cinq jours plus tard dans un hôpital concurrent. L’affaire a été portée devant le Conseil de l’Ordre des Médecins régionaux puis nationaux en 2024.

Le projet de loi qui nous concerne actuellement, dans son premier volet envisage l’amélioration de l’accès aux soins palliatifs sous un prisme s’attachent particulièrement à l’accompagnement familial. En outre, les « maisons d’accompagnements » permettraient de pallier à l’éviction des malades en fin de vie des structures hospitalières ne disposant pas de services palliatifs. Ainsi, l’HAD se révélant fort délétère pour des patients en fin de vie attendu que celle-ci se contente de deux passages infirmiers quotidiens, laissant malades et proches dans un désarroi inextricable. Dans le cas de Monsieur Biaggi, l’unique soignant référent ( IDE) n’avait pas su déceler un coma, invitant sa famille à davantage le stimuler afin de le tirer de son sommeil.

Les « maisons d’accompagnements » offriraient ainsi un Salut à la fois aux patients et à leurs proches attendu que des soins en adéquation avec la pathologie concernée sans oublier la présence constante d’un médecin sur place.

Si la création de ces structures notamment dans des régions rurales dépourvues de services dédiés est essentielle pour le bien-être des personnes en fin de vie, d’autres propositions entourant ce volet se montrent davantage discutables. Rendre accessible les filières palliatives à des bénévoles ou confier la direction des étages consacrés à des infirmiers dans les EHPAD, autant de stratégies visant à pallier au manque de personnel qualifié qui pourrait s’avérer funeste. En effet, si l’accompagnement et la bientraitance sont les moteurs de ce versant du projet de loi, encore faut-il avoir les moyens humains nécessaires. Or, autant dans la banalisation de l’hospitalisation à domicile que dans la définition de la mention « professionnel de santé », il semblerait que la mention « Primum non nocere » du serment d’Hippocrate ait été sacrifiée sur l’autel du manque de moyens.

Chronique d’une mort annoncée

Les années 2010 ont été le théâtre d’une affaire médico-judiciaire qui a ouvert le débat sur la question de l’euthanasie. Le jeune Vincent Lambert, dans un état végétatif suite à un accident de la route, sensibilisait la France entière contre l’acharnement thérapeutique. Durant plus de six ans, sa famille s’est déchirée quant à la marche à suivre. Arrêter d’alimenter artificiellement le jeune homme ou continuer le traitement. Tel était le dilemme des époux Lambert. Le retentissement médiatique ne cesse de croître au point que le Président Macron ainsi que l’association des évêques de France sont appelés à se positionner. Le débat sera finalement tranché en 2019 par le médecin responsable du service de soins palliatifs du CHU de Reims qui décidera de cesser l’hydratation et la nutrition artificielles. Les parents de Vincent Lambert parviendront à faire annuler la mesure par le Comité des droits des personnes handicapés (CRDPH) avant d’être déboutés durant l’été 2019. Vincent Lambert décède le 11 juin 2019 au CHU de Reims. L’engouement médiatique et populaire autour de l’affaire ont confirmé la volonté d’ Emmanuel Macron - déjà exprimée lors de sa campagne de 2017 - de réformer en profondeur la législation sur les questions de la fin de vie et de l’euthanasie.

Les discussions actuelles s’inscrivent dans la lignée d’apporter des réponses aux problématiques éthiques, sociales et médicales entourant les démarches palliatives. La question de la légalisation du suicide assisté s’inscrit dans la lignée d’une décision du Conseil d’État en date de 2014 autorisant la suspension de la sédation et de la nutrition par un médecin référent, ce qui revient à une euthanasie tacite. François Bayrou propose aujourd’hui une réflexion en deux temps :

• D’un côté le suicide assisté où le patient exprimerait une volonté claire et explicite de mettre fin à ses jours. Dans ce cas, il faudrait lui fournir une substance létale qu’il s’injecterait lui-même. Si la possibilité de nommer un tiers a été évoquée, elle est désormais écartée.
• De l’autre, l’euthanasie en milieu hospitalier où le praticien administrerait la même solution suite à la volonté du malade. Si ce dernier n’était pas en mesure de se prononcer, les directives de sa fiche LATA-TAP rédigée par les ayants-droits ou à défaut des soignants feraient foi. Or, nous savons que ce dit-document a ouvert la porte à des dérives. Entre de mauvaises mains, de possibles abus pourraient voir le jour.

Si jusqu’à présent la loi Claeys-Leonetti interdit l’euthanasie et le suicide assisté sur le sol français, l’adoption de ce projet de loi engendrerait une profonde refonte sociétale. Et pour cause, seule est acceptée la sédation profonde et continue bien que l’administration de morphine à haute dose puisse, dans certains cas, diminuer les souffrances du patient et précipiter sa mort. Légaliser l’euthanasie ne servirait donc qu’à concrétiser ce qui est d’ores et déjà en usage. Si on excepte évidemment les cas particuliers incluant les pathologies auto-immunes et autres maladies orphelines.

L’exemple de Paulette Guinchard Kunstler, secrétaire d’état du gouvernement Jospin, s’inscrit dans cette lignée. Celle qui fut à l’initiative de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) s’est fait euthanasiée en Suisse suite à l’aggravation de sa maladie auto-immune. Ne voyant aucune possibilité de guérison tout en endurant des souffrances morales et physiques incommensurables, seule la mort pouvait la délivrer. Deux ans seulement après la mort de Vincent Lambert, la question de la fin de vie se pose à nouveau avec Paulette Guinchard Kunstler dont les proches témoignent de l’errance médicale. La méconnaissance de sa pathologie ainsi que de son issue l’ont empêché d’être admise dans un service palliatifs et de bénéficier de traitements soulageant ses souffrances. Ainsi a-t-elle dû prendre, en désespoir de cause, rendez-vous chez nos amis frontaliers, davantage au fait des questions d’immunité. Un échec cuisant pour le service de santé dont on perçoit les limites. En 2021, 96% des français se revendiquaient favorables à l’euthanasie, principalement pour des vertus humanistes et de respect de l’autodétermination des patients. Si les opposants soutiennent qu’il est crucial de préserver le caractère sacré de la vie humaine en occultant les cas particuliers comme ceux des maladies orphelines et des états végétatifs.

Le projet de loi sur la fin de vie, divisé en deux sections, propose une réévaluation de la législation tout en encadrant la question délicate de l’euthanasie, qui, si elle est majoritairement acceptée par les français s’heurte à de nombreuses faiblesses pratiques et idéologiques. Car si vouloir maintenir le respect de la dignité humaine est louable, il faut également que les protections nécessaires soient mises en œuvre pour éviter dérives, abus et manquements. Pour que l’euthanasie ne viole pas le serment d’Hippocrate, il faudrait que dignité, bienfaisance et transmission des connaissances soient au rendez-vous lors du protocole. Pour que le serment d’Hippocrate ne soit pas entaché, il faudrait qu’il engage la responsabilité unique d’un seul médecin référent sans que nul manque de personnel, nul décret et nul conflit d’intérêt n’interfèrent. Il est néanmoins évident, qu’en l’état actuel de la santé en France, ce n’est pas encore gagné.

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