Lettre ouverte : « M. le Président, le sort de Boualem Sansal est aussi entre vos mains »

 Boualem Sansal aux côtés de son ami, le chroniqueur au Contemporain, Michel Dray.

Depuis plus de trois mois, l’écrivain Boualem Sansal est prisonnier dans les geôles du pouvoir totalitaire algérien. Le Comité de Soutien à Boualem Sansal  vient d’adresser une lettre ouverte au président de la République le 18 février 2025. Le Contemporain s’associe à cette action.

Par le Comité de Soutien à Boualem Sansal.

Monsieur le président de la République,

Depuis plus de trois mois maintenant, un homme de 80 ans, écrivain francophone, l’une des plus grandes voix de la littérature française et algérienne, notre compatriote et ami Boualem Sansal, est retenu en otage.

Il est d’abord l’otage d’un régime qui en Algérie bafoue la liberté d’expression, « le bien le plus précieux de l’homme » aux termes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ce régime a littéralement kidnappé Boualem Sansal. Les motifs de son arrestation à l’aéroport d’Alger ne relèvent d’aucun droit, si ce n’est de la force brutale d’un pouvoir militaro-policier. La France est une grande démocratie dont les Lumières se sont projetées et continuent de se projeter sur le monde, et c’est d’ailleurs le message principal qui transparaît dans les écrits de Boualem Sansal.

Aussi, devons-nous dire les mots : il s’agit de la séquestration arbitraire d’un homme que vous connaissez, dont le seul tort est d’écrire en français, de publier en France et d’alerter sur les risques d’un basculement tel que celui qu’a connu l’Algérie lors de la guerre civile. Boualem Sansal est puni d’être un défenseur de la liberté. Il paie de sa personne pour défendre la nôtre. Eu égard aux liens entre la France et l’Algérie, il est impossible d’accepter l’éventualité d’un procès qui s’inscrirait dans la pire des traditions staliniennes.

La victime sacrificielle d’une relation empoisonnée

Si tant est que Boualem Sansal, gravement malade, survive à son incarcération, ce simulacre ne pourrait que conduire à la rupture des liens entre nos deux pays. Vos interlocuteurs algériens vous expliqueront qu’il y va de la souveraineté de l’Algérie que d’incarcérer qui elle veut sous tous les prétextes, que la justice est indépendante et qu’il n’y a rien à faire d’autre que d’attendre une condamnation : une condamnation pour des faits gravissimes et inventés, mais punis de la peine de mort ! Est-ce au nom de la souveraineté que le pouvoir algérien met au cachot des missionnaires religieux ou fait condamner des caricaturistes réfugiés en France, tel Ghilas Aïnouche, à des peines hallucinantes de 20 ans de prison pour de simples dessins ?

Boualem Sansal est français et a droit comme tout autre citoyen à la protection des autorités françaises

Pour notre comité de soutien, formé de 1300 membres d’une vingtaine de nationalités, dont des personnalités politiques de premier rang, ces actes sont proprement insoutenables et ce, d’autant plus, concernant Boualem Sansal, que ce dernier est français et a droit comme tout autre citoyen à la protection des autorités françaises. Sinon, que vaut la naturalisation si elle ne permet pas de bénéficier de la même protection en cas de danger sur sa personne que tous les autres Français ? Il s’agirait donc d’une naturalisation de papier ?

Boualem Sansal est la victime sacrificielle et emblématique d’une relation empoisonnée par une mémoire hémiplégique que vous avez fort justement qualifiée en octobre 2021 de « rente mémorielle ». Par votre bienveillance constante qu’il utilise comme de la faiblesse, le pouvoir algérien s’est engouffré dans la brèche pour tirer à boulets rouges contre ce que vous avez appelé, non sans raison, la « falsification de l’histoire ». Devez-vous renoncer à la position de la France sur le Sahara occidental sous la pression de l’Algérie ou devons-nous plutôt défendre nos principes face à un pouvoir qui, à travers Boualem Sansal, cherche à humilier la France ?

Le risque d’une tache indélébile

Solder ses principes n’est pas une option pour la France. Si Boualem Sansal a perdu sa liberté, est-ce parce que nous ne nous repentions pas assez de notre histoire commune avec l’Algérie ? Ou est-ce parce que nous sommes testés par un régime résolu à nous obliger à nous renier nous-mêmes pour faire de cet abandon un trophée ?

Passer l’incarcération et peut-être la disparition définitive de Boualem Sansal par pertes et profits n’est pas non plus une option pour la France.

Quand certains responsables enjoignent à notre Comité de soutien de faire preuve de « discrétion » au moment où notre ami gravement malade souffre dans sa chair et son esprit et voit peut-être sa fin prochaine, nous sommes abasourdis. Pire encore : quand certains nous expliquent qu’en réalité « il l’a bien cherché », nous sommes révoltés. Quelle est la stratégie de ces partisans du « dos rond » ? Elle ressort sans doute de cette pente naturelle de ceux qui s’imaginent que la soumission à l’adversité est d’un moindre coût que toute forme de résistance. Mais derrière la soumission, l’histoire nous enseigne qu’il peut y avoir l’infamie et en l’occurrence le risque d’une tache indélébile dans l’histoire des relations entre la France et l’Algérie.

Refusons que Boualem Sansal puisse demeurer l’otage de relations diplomatiques qui n’appartiennent qu’à la décision de la France

Le ton comminatoire du président Tebboune, dans sa récente interview au journal L’Opinion qui « met en garde » contre « l’irréparable » d’une relation franco-marocaine qu’il vous interdit d’entretenir, n’a échappé à personne. Notre comité de soutien pense quant à lui que l’irréparable serait l’incarcération sans fin de Boualem Sansal, voire sa mort.

Amadouer le pouvoir algérien ne fonctionne pas

Sortons de cette « étrange défaite », comme le préconise la résolution adoptée par la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale le 5 février dernier. Refusons que Boualem Sansal puisse demeurer l’otage de relations diplomatiques qui n’appartiennent qu’à la décision de la France. Délivrons la France d’un chantage qui, de l’autre côté de la Méditerranée, s’accompagne de propos et de gestes manifestant une hostilité d’une violence inédite à l’encontre de notre pays. Au fil du temps qui passe, naît une « affaire Sansal » que ceux - connaisseurs de l’Algérie - qui saisissent notre comité déplorent amèrement, estimant que la diplomatie de l’ombre, dans le monde ouvert qui est le nôtre, est en l’espèce improductive, si jamais elle a été véritablement efficace dans l’hypothèse d’une prise d’otage.

Vous disposez de nombreux leviers, Monsieur le président, dans une relation franco-algérienne qu’il est temps de rééquilibrer pour que, dans le rapport de force qu’a voulu instaurer l’Algérie, la France défende ses valeurs et ses intérêts vitaux tant économiques que politiques.

Amadouer le pouvoir algérien ne fonctionne pas. Ce dernier continue à dénier purement et simplement à Boualem Sansal sa nationalité française en interdisant à notre ambassadeur à Alger de le visiter. Il le prive du défenseur de son choix. Il terrorise ceux qui voudraient en Algérie le défendre. Seuls les leviers à notre disposition peuvent être opérationnels et ils ne manquent pas : depuis la dénonciation de l’échange de lettres de 2007 entre MM. Kouchner et Medelci sur l’exonération de visas pour les détenteurs algériens de passeports diplomatiques jusqu’à une remise en cause du régime favorable des visas consenti à l’Algérie par l’accord du 27 décembre 1968, vous avez toutes les cartes en main.

Monsieur le président, nous en sommes tous conscients, le sort de Boualem Sansal est aussi entre vos mains.

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