80e anniversaire de la libération d’Auschwitz : Hommage à quatre écrivains en résistance.

 Toile calligraphique de Moulid Nidouissadan.


Préface à la littérature concentrationnaire

Qu’est-ce qui pousse à écrire ?

Question centrale pour un écrivain, mais existentielle pour un rescapé des camps. Rien de plus éprouvant que de raconter ce que le numéro tatoué sur un avant-bras empêche de DIRE. « Un rescapé n’est qu’une apparence, une illusion à face humaine, qui continue à manger, à travailler, à penser. Comme une dent dévitalisée. Elle est morte et continue sa fonction, mordre, dévorer, mais à l’intérieur c’est creux, vide » écrit Joseph Bialot (1). Pour tous les rescapés d’une catastrophe, d’une épidémie, d’un génocide, d’une guerre ou d’un massacre, survivre relève de l’insurmontable. Au lendemain du pogrom du 7 Octobre, on a enregistré une vague de suicides chez les survivants. On eût dit que le temps s’était inversé, qu’une jeunesse issue de la quatrième génération venue après allait connaître les mêmes peurs, les mêmes angoisses, la même vie désarticulée que les victimes d’Auschwitz 80 ans plus tôt.

Transmettre est une lourde responsabilité.

Seule une très forte douleur peut faire qu’un individu réfléchit sur les conséquences qu’elle peut avoir sur son organisme et sur son mental. Auschwitz est une très forte douleur, un trauma majeur, qui nous touche tous, sans exception, juif ou non. Etrange théodicée que la Shoah car elle peut transformer un athée en religieux et inversement. L’agnostique que je suis aime à ouvrir de temps en temps, au hasard de mes humeurs, l’un des dix volumes de la Bible qui, sous la conduite du grand André Chouraqui, a réuni les textes fondamentaux des trois grandes croyances monothéistes. Sur chaque couverture de l’édition originale sont inscrits ces mots : « Mettez ces paroles sur votre cœur, sur votre être et enseignez-les à vos fils ». Combien de temps, combien de questions sans réponses et combien de courage il aura fallu pour que les rescapés puissent enfin libérer la parole ? J’ai eu l’immense chance de connaître la grande résistante Marie-Madeleine Fourcade, tout à la fin de sa vie. Elle qui ne tarissait pas de souvenirs sur les actions héroïques de son réseau, devenait tragiquement silencieuse quand je lui demandai d’évoquer Ravensbrück. On peut avoir un caractère blindé, il y a des brûlures que rien ne peut calmer.

Bientôt les témoins encore en vie s’en iront,

Alors, la Shoah deviendra un sujet d’Histoire là, où elle est encore, grâce aux rescapés, un sujet de mémoire. Ce jour-là sera terrible. Il ne restera que des mots gravés dans le marbre de la littérature mondiale. Comme j’ai eu à le dire voilà quelques années à Berlin, la Shoah est le miroir brisé de l’humanité, difficile de recoller les morceaux. J’entends d’ici les négationnistes tant à l’extrême-gauche qu’à l’extrême-droite, cette même engeance qui, bien que n’ayant pas les mêmes fréquentations objective la même haine du peuple d’Israël. La troisième génération qui aura la lourde charge de transmettre et à qui on demandera de raconter une mémoire qu’elle n’a pas vécue, saura-t-elle répondre à la meute ?


L’histoire, une discipline scolaire dangereuse ?

Il ne faut pas être grand clerc pour dire que, dans la guerre que se livre les réseaux sociaux la première victime c’est la vérité. Confrontée à toutes sortes de désinformations, la jeunesse se trouve entre mille feux. Si un professeur, sans la moindre arrière-pensée, évoque la Shoah en insistant « un peu trop » sur le génocide juif, il sera taxé de sioniste à la solde de Netanyahou — et peu importe qu’il soit un adversaire du premier ministre israélien. Si, au contraire, il passe rapidement sur le sujet, il sera catalogué d’islamo-gauchiste ou de négationniste : dans tous les cas de figure, l’enseignement de la Shoah n’est guère une tâche aisée pour l’enseignant.

Apprendre ne suffit pas. Encore faut-il comprendre.

En Israël, un rescapé des camps m’a dit un jour : « à l’instant où, sans même chercher à mal, vous qualifiez une personne en insistant sur ses origines ethniques, vous êtes sur le chemin d’Auschwitz ». Il n’y a pas une douleur plus respectable qu’une autre. Un Arménien, un Tsigane, un homosexuel, un handicapé mental ou qui que ce soit de différent mérite autant de mémoire que les six millions de juifs, peuple dont je suis issu. Cela m’a valu beaucoup de critiques sauf précisément en Israël où des rescapés de la Shoah m’ont remercié d’élargir ainsi le débat. Car, la Shoah nous interpelle tous autant que vous sommes. Auschwitz nous renvoie à ce que nous avons de plus animal en nous et, à la fois de tout ce que nous avons de plus humain — sujet de choix pour un philosophe.

Quatre auteurs à découvrir ou redécouvrir.

Dans le cadre de « Écrivains en Résistance », chronique où je rends hommage à des auteurs courageux. J’en ai choisi quatre parce qu’ils ont marqué mon adolescence : Vercors, Primo Lévi, André Schwartz-Bart et Jorge Semprun. Tous ont été confrontés à la barbarie nazie. À travers ces quatre écrivains marquants de la littérature concentrationnaire, je voudrais démontrer que finalement, la vraie question n’est pas interroger l’histoire mais bel et bien de s’interroger soi-même.


Prochain article  : Vercors, Le silence de la Mer (1942)  


(1) Joseph Bialot La Care sans nom Le Seuil 1998

Illustration - Moulid Nidouissadan est un calligraphe marocain vivant au Maroc. Il a calligraphié cette planche pour commémorer le jour de la Déportation. Moulid est très attaché aux valeurs de tolérance de son pays et est très profondément religieux. Son œuvre tourne autour de la tolérance. Bel exemple de promesse de paix entre Juifs et Arabes.

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