François Bayrou s’est extrait jeudi 16 janvier grâce à son habileté politique des griffes de la censure qui menaçaient de se refermer sur lui et son gouvernement. Du moins est-ce la lecture que beaucoup de commentateurs ont voulu donner après son discours de politique générale. Mieux, il s’agirait là d’une victoire tactique du béarnais, voire une validation de sa méthode qui permettrait de rouvrir un cycle de stabilité. Le propos relève largement du récit politique et exagère factuellement et politiquement largement les mérites d’un Premier ministre qui reste enserré dans l’étau puissant de la démocratie minoritaire.
Il faut en effet constater que le RN, qui bénéficiait d’une position pivot à l’époque du gouvernement Barnier ce qui lui avait permis de déclencher la censure selon ses intérêts propres, avait cette fois annoncé très en amont qu’il ne voterait pas celle consécutive au discours de politique générale du Premier ministre. Dès lors, la motion de censure déposée par LFI ne revêtait plus d’enjeu vital pour le gouvernement puisqu’elle ne pouvait être arithmétiquement adoptée. Son rejet est donc dans l’ordre des choses.
Ce serait alors le refus du PS de se joindre à la censure qui serait le coup de maître de M. Bayrou ? Là encore c’est l’inverse qui aurait été étonnant, tant la direction du Parti socialiste, à l’aube de son congrès, a besoin recouvrer une apparence d’autonomie stratégique vis-à-vis de LFI. Le discours de politique générale de M. Bayrou qui visait avant toute autre chose à gagner du temps plutôt qu’à présenter une vision, une orientation, ou même un plan d’action, a pourtant bien failli les renvoyer dans le camp de la censure. Pris de panique, le chef du gouvernement a dû, dans les 48h de battement avant le vote, consentir des concessions bien plus larges que ce qu’il escomptait pour éteindre l’incendie. Mais ce faisant, c’est une bombe à fragmentation qu’il vient d’introduire au sein du "socle commun" où désormais chacun va faire les comptes et exiger des gages en retour. Il faut ainsi se souvenir que le gouvernement Barnier, avant de succomber le 5 décembre à une motion de censure, s’est vu fragilisé dès l’instant où ce sont d’abord ses propres composantes (via M. Attal pour le groupe EPR et M. Wauquiez pour LR) qui se sont lancées dans une surenchère interne sur les non-baisses d’impôts et la politique de l’offre.
Quant au musellement du PS, le répit pour M. Bayrou ne peut être que de courte durée. Car laisser-aller le gouvernement, c’est se mettre dans le casse-noix de l’élection suivante. LR l’a payé d’un échec électoral en juin 2024 (passage de 62 à 47 députés et une scission interne, ce que ne saurait occulter sa sur-représentation gouvernementale fruit de la démocratie minoritaire) et le RN savait dès le lendemain des législatives qu’il devrait se soustraire à ce piège, ce qu’il a fait en votant la censure de décembre. C’est au PS d’être désormais confronté à une telle situation. Pour l’heure, M. Faure s’en tire en présentant son parti comme « dans l’opposition » mais « ouvert au compromis ». Pour autant, le vote à venir sur le budget fixera comme c’est l’usage la ligne de démarcation des oppositions. Le moment ne sera alors peut-être pas encore venu pour le PS, au regard de son agenda interne, de rejoindre les rangs de la censure, mais c’est une étape qui le rapprochera nécessairement de l’inéluctable. Le répit n’est donc que ponctuel. Sauf à ce que PS refuse de joindre ses voix à celles du RN le moment venu, argument difficilement défendable maintenant que la chose a été faite en décembre dernier…
Le coup de force de M. Bayrou viendrait donc plutôt d’avoir sorti le PS du NFP. Sauf qu’il est loin d’être certain que ce soit électoralement profitable à l’espace politique auquel appartient M. Bayrou, tant la gauche labellisée NFP restait figée dans des étiages sous les 30% depuis 2017, ce qui gelait pour elle toute perspective et laissait le champ libre à la polarisation exercée par le bloc central. Le rassemblement de la gauche sous le totem de l’unité était une rente de situation pour les partis lors des législatives mais pas un élément de dynamique politique, bien au contraire. Elle était donc sous cette forme une assurance-vie du bloc central en ne représentant pas une menace électorale mais en lui garantissant une réserve de voix comme on l’a vérifié lors des législatives de 2024 où le second tour a permis de ressusciter une macronie moribonde. Mieux, c’est le NFP qui détrônait peu à peu le RN pour le rôle de « diable de confort » du bloc élitaire. L’élection législative partielle du 19 janvier dans la 1ʳᵉ circonscription de l’Isère en atteste. Alors que LFI l’avait emporté en juillet, son candidat LFI a été très sèchement battu alors même que la participation a progressé entre les deux tours.
Mais finalement là se situe peut-être paradoxalement le principal mérite de l’action de M. Bayrou. Il a incidemment enfoncé un coin dans la tripartition de l’espace politique et l’acceptation par les partis qui s’y sont ralliés de la logique minoritaire comme raccourci électoraliste. En poussant le PS à se démarquer pour que lui se donne du temps, M. Bayrou vient de modifier la carte de l’offre électorale qui était figée depuis 2017. Un tel mouvement ne sera pas sans conséquences sur son flanc droit. Alors bien sûr une offre électorale qui se construirait sur les reliquats de l’ancien n’entrerait pas en résonnance avec la volonté populaire. Mais la dislocation dans chaque espace du granit tripartite est un premier pas nécessaire. Peut-être cette modification n’est-elle d’ailleurs que d’apparence et l’arithmétique électorale reprendra-t-elle ses droits la prochaine élection venue comme ce fut le cas au soir de la dissolution. Mais force est de constater que depuis 2018 et le début de l’ère de la démocratie minoritaire au sein de l’espace européen (c’est à dire le moment où la majorité des pays de l’UE deviennent dirigés par des gouvernements de coalitions qui sont minoritaires au sein de leur parlement national), nul pays ne parvient à sortir de la situation de blocage institutionnel électoralement construit sauf à remodeler les espaces politiques. Si la tectonique des plaques redevient active, où se situeront demain les prochaines zones de subduction ?
■ Le Premier ministre François Bayrou devant les députés lors de son discours de politique générale, le mardi 14 janvier 2025 (Crédits : capture d’écran Assemblée nationale).
Par François Cocq - Analyste politique, essayiste, auteur de L’impératif démocratique, Alerte à la souveraineté européenne et de La laïcité de l’insoumission à l’émancipation.
Enregistrer un commentaire