■ Le barman du Ritz.
Philippe Collin vient de signer un roman dont la construction répond à un savant équilibre entre vérité et fiction, ce qui pour un écrivain est signe de bonne santé tandis que dans la « vraie vie » ce serait plutôt le signe pathologique d’une mythomanie profonde.
Le livre raconte l’histoire de Franck Meir qui fut effectivement barman du Ritz. L’action se situe durant l’Occupation. Franck réputé comme le meilleur préparateur et inventeur de cocktails de l’univers mondial du Luxe, reçoit les confidences du monde très interlope de la Place Vendôme. Officiers nazis, célébrités du théâtre, des lettres ou bien du cinéma, tout le monde défile devant son bar. Une chose n’est pas connue d’eux : Franck Meir est juif ! Tant bien que mal, jonglant avec une société source de danger pour qui ne baisse pas la garde, Meir, acteur involontaire de l’Histoire se trouve au centre d’un conflit dont l’horreur le renvoie à ses origines juives. Il se rappelle le désir d’intégration de ses parents, juifs émigrés en Autriche dans les dernières années du XIXème siècle. Leur profond désir d’intégration passe par leur souhait de se déjudaïser en quelque sorte en ne circoncisant pas Franck. Meir est-il un Israélite par défaut ou un Juif oublieux ?
Philippe Collin suggère la question mais ne s’aventure pas y répondre. Au-delà de personnages hors normes, il nous décrit un monde sans cesse en équilibre entre vérité inavouable et faux-semblant qu’on crie un peu trop fort sur les toits. Et puis il y a au fil des pages, tout une géographie de destins purement imaginaires mais dont l’entremêlement est si bien tissé qu’on ne sait plus qui est vrai et qui ne l’est pas.
Tout droit sorti de l’imagination de l’auteur, il y a ce Luciano, jeune apprenti, juif italien pour qui Franck fera tout jusqu’à le faire passer en zone libre. Bien réelle en revanche, la belle et énigmatique Blanche Auzello née Rubenstein dont le mari a été l’un des dirigeants du Ritz dans les années 20. Et que dire de ce diplomate suédois Fersen pourvoyeur de faux papiers, sinon qu’il n’a jamais existé ? Au centre de ces vies recomposées, une douairière autour de qui cette galaxie de palace se plaît à vibrioner. Elle s’appelle Marie-Louise Ritz dite la Veuve (de feu César Ritz), dite la Vieille (elle n’es plus très fraîche), sorte de mafieuse de luxe, maladivement cupide et opportunément collaborationniste — l’un allant généralement avec l’autre. En contre jour, on retrouve Guitry, Arletty, Coco Chanel, Cocteau, Serge Lifar…entre autres. Face à eux, les officiers allemands leur donnent la réplique et, en arrière plan, l’obèse Göering…entre autres.
Le Barman du Ritz nous plonge dans les eaux troubles de l’Occupation. De la bande à Henri Lafont le gestapiste-voyou de basse extraction aux nazis psychopathes sans scrupules, en passant par les magouilleurs sans remords, univers champion de l’entre-soi, habités par des héritiers hors-sol sans oublier le cortège fantomatique de ces Juifs jetés dans les camps de la mort, Collin brosse une galerie de portraits où chacun, inconsciemment ou pas, s’amuse à survivre à leur vie.
Le Barman du Ritz est le roman de cette folie si parisienne qui, durant quatre années a fait de la Ville Lumière la capitale des ombres. Ce roman deviendra-t-il un jour un film, autrement dit, le scénariste Philippe Collin prendra-t-il le pas sur le romancier ?
Personnellement l’idée ne serait pas pour me déplaire.
À lire - Le Barman du Ritz de Philippe Collin chez Albin Michel.
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