■ Pont Betsy Ross en Pennsylvanie (©Delaware River Port Authority).
Bon sang ça n’avance pas !
Comme tous les quatre ans il s’y prend à la dernière minute mais il n’a jamais raté une élection depuis qu’il a l’âge de voter. Il se souvient de la campagne de 1984 quand son grand-père Patrick l’avait emmené pour la première fois dans un bureau de vote. A l’époque il avait 10 ans et Ronald Reagan pour les Républicains et Walter Mondale pour les Démocrates se disputaient les faveurs des américains. Son grand-père lui avait alors fait promettre de toujours remplir son devoir de citoyen « car c’est ça l’Amérique, la plus grande des démocraties ». L’enfant qu’il était n’avait pas complètement compris ce que cela voulait dire mais il avait acquiescé, et là, il va peut-être faillir à cette promesse, 40 ans après ! et tout ça pour une histoire de bouchon.
Tiens la file de droite semble enfin bouger!
Et puis, comme pour se trouver une excuse, pour justifier sa situation inconfortable, Ed se dit que cette fois c’est vraiment, vraiment, très compliqué. Après des mois de campagne il ne sait toujours pas qui choisir. Un coup il se dit Harris, un coup il se dit Trump ; un matin c’est Trump, le soir c’est Harris. Il est perdu. Avant songe-t-il c’était simple ; dans la famille Dunnegan, on votait démocrate, de père en fils, comme la grande majorité des ouvriers de la région. Et puis en 2016 pour la première fois il avait voté Républicain ou plutôt il avait voté pour Trump. Il n’avait pas pu se résoudre à soutenir Hillary Clinton ; trop hautaine, trop lointaine, et l’impression désagréable qu’une aristocratie gouvernait le pays. Alors oui Donald Trump était outrancier, imprévisible, mais malgré sa fortune il parlait simplement et semblait s’intéresser au sort des gens. Alors va pour Trump.
Oui, là ça semble se débloquer.
Mais en 2020, après son mandat, Trump avait montré qu’il était trop clivant, et peut-être même dangereux pour le pays et Ed était revenu à un vote plus classique. Il avait choisi Joe Biden, sans grande conviction, mais le type était rassurant. Et puis là, cette élection de 2024 c’est le brouillard.
Kamala Harris, on ne sait toujours pas qui elle est vraiment, quel est son programme. En tant que vice-présidente elle a été très effacée, trop, et elle ne semble pas non plus vouloir être associée au mandat de Joe Biden. Et ça Ed n’apprécie pas, non vraiment pas, car ce n’est pas loyal. Et puis a-t-elle vraiment l’étoffe d’un « Commander in Chief » capable de défendre le pays face à des ennemis de plus en plus nombreux ? Oui le brouillard.
Parce que Trump, comment dire, et bien Ed ne sait plus trop comment le qualifier. Le candidat républicain a poussé tous les curseurs de sa personnalité à l’extrême. Il semble de plus en plus erratique, caricatural, et obsédé par quelques thématiques. Et puis il a cautionné l’assaut contre le Capitole et ça ce n’est pas la démocratie. Mais en même temps il pose des bonnes questions comme celle de l’immigration, a montré son courage lors de sa tentative d’assassinat et puis il a déjà été président et semble pouvoir tenir tête à des types comme Poutine. Et par les temps qui courent ça peut être utile. Alors oui Ed est perdu. Et il ne sait toujours pas ce qu’il va faire.
L’horloge tourne, sa voiture a enfin avancé dans le flux routier de cette fin d’après midi et Ed va maintenant prendre la sortie vers Richmond Street. Il prie pour arriver à l’heure, car désormais tout se jouera à quelques minutes près.
Et ce qu’il ne sait pas encore c’est que c’est l’État de Pennsylvanie qui fera basculer l’élection, à quelques centaines de voix près, et que sa voix à lui, Ed Dunnegan, ou son absence de vote, décidera du sort des États-Unis et donc du monde.
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