■ Jordan Bardella, en mai 2022.
Grand favori depuis sa consécration aux européennes, le Rassemblement National semblait, plus que jamais, prêt à conquérir Matignon. Après une campagne ratée, l’échec relatif du parti d’extrême-droite lors des législatives anticipées interroge manants et analystes.
Avec une opinion ouvertement hostile à la majorité présidentielle et avide de renouveau politique, la flamme symbolisant le mouvement aurait dû embraser le futur hémicycle au point d’acquérir la majorité absolue. En effet, il aurait fallu 289 sièges à Marine Le Pen et à Jordan Bardella pour constituer un nouveau gouvernement. Nous en sommes loin puisque le parti lepéniste se classe derrière la coalition de gauche regroupée sous l’étiquette de Nouveau Front Populaire (182 sièges) ainsi que l’outsider présidentiel (168 sièges). Alors que les sondages l’annonçait vainqueur, le RN se retrouve, une fois encore, à fêter sa victoire avant de la gagner.
Si Marine Le Pen concède que la rapidité de la campagne a joué contre son camp, il se pourrait que les raisons du refus citoyen soient plus profondes qu’il n’y paraît.
En effet, au sein d’une campagne législative marquée par l’exclusion d’une candidate arborant une casquette nazie et par la polémique de la double nationalité, nous pouvons nous demander si la politique de dédiabolisation du parti amorcé par Marine Le Pen en 2011 n’est pas vaine tant les racines du parti semblent ancrées dans son passé.
Pis encore, l’entreprise de normalisation du parti est-elle réellement efficace pour le sortir de son rôle d’opposition et le rendre enfin présidentiable ?
Rien ne sert de courir, il faut arriver à point !
Le 9 juin dernier, à la surprise générale, le Rassemblement National sort vainqueur des élections européennes, réussissant un tour de force jusqu’alors inédit pour le parti : un score historique – plus de 33% des voix – un record hors second tour.
Alors que Jordan Bardella avait annoncé sa volonté de dissoudre l’Assemblée Nationale en cas de victoire, Emmanuel Macron le prend de vitesse en annonçant lui-même la dite dissolution seulement quelques minutes après l’annonce des résultats.
Coup de poker qui vise à refonder un Parlement en un temps record – moins d’un mois – poussant ses opposants dans leurs retranchements. Et pour cause : qui dit campagne express dit forcément investiture rapide de candidats dénichés sur le pouce pour remplir les quotas demandés. Le RN, en fera les frais, investissant des « brebis galeuses » pour reprendre les termes de Jordan Bardella lui-même, notamment une candidate accusée de tenir des propos antisémitismes et xénophobes (Paule Verne de Soras, 1ère circonscription de Mayenne), une autre arborant les attributs nazis (Ludivine Daoudi, 1ère circonscription du Calvados) ou encore un candidat dont l’élections aurait été illégale en raison de sa curatelle forcée (Thierry Mosca, 2nde circonscription du Jura).
Pour l’heure, enorgueilli par sa victoire aux européennes, Jordan Bardella imagine déjà le second tour des législatives comme « un des plus déterminants de toute l’histoire de la Vème République. » Le jeune homme se voit déjà en haut de l’affiche gouvernementale, « le Premier Ministre de tous les Français », jugeant bon d’ajouter qu’il demeurerait néanmoins « respectueux de la Constitution. »
Nouveau visage du parti, Jordan Bardella parachève la réhabilitation du RN, jusqu’alors fermé au clan Le Pen. Faisant le lien entre la nouvelle génération de votants et l’électorat vieillissant encore marqué par les saillies polémiques de Jean-Marie Le Pen, le jeune homme de vingt-huit ans donne une image nouvelle de l’extrême-droite, lisse et souriante, ambitieuse mais surtout méritante. En somme, le prototype du gendre idéal nationaliste.
Originaire de la Seine Saint-Denis, ayant fait ses classes au sein de l’école publique, Jordan Bardella incarne la parfaite descendance de ces héros balzaciens, rêvant de succès et d’ascension sociale avec la détermination pour unique bagage.
Comme Rastignac avant lui, le jeune homme, dont la naissance n’a pas été à la hauteur de ses ambitions, doit sa position à sa volonté mais surtout à des rencontres providentielles. Il deviendra la tête des affiches qu’il a commencé par coller, grimpant une à une les marches de l’organigramme RN jusqu’à devenir un quasi membre de la famille fondatrice qui voit en lui l’avenir du parti.
En cela, Jordan Bardella s’inscrit comme l’anti Gabriel Attal, l’enfant privilégié de Saint Germain à la réussite déterminée d’emblée par sa filiation. En apparence du moins.
Coup de théâtre. À quelques jours du second tour, le storytelling aux allures de conte dickensien du poulain de Marine Le Pen prend l’eau. En effet, si Jordan Bardella n’est, certes, pas l'héritier d’une quelconque grande fortune française, il aurait néanmoins vécu une jeunesse privilégiée, loin de l’image qu’on a voulu lui donner.
Ainsi apprenons-nous qu’à peine majeur, le jeune homme prenait possession d’un appartement à Garches, cadeau paternel, au sein duquel il vit toujours.
L’année suivante, il recevait une voiture en récompense de l’obtention de son permis de conduire. Il semblerait donc que le fabuleux destin de Jordan Bardella ne connaisse pas un prologue fait de gargouillis et de mansardes étriquées mais bien de confort matériel et d’aisance. Un simili Attal en somme.
Ce travestissement de la réalité quant à la biographie de Jordan Bardella a impacté la confiance des électeurs d’autant plus que le jeune homme était supposé concrétiser la politique de dédiabolisation du parti. D’enfant du peuple promu à la possible gouvernance d’un état souverain, le numéro un du RN devient un homme politique comme un autre et c’est bien là que le bat blesse.
De plus, la mise en avant médiatique de son ex-compagne, Kelly Betesh a produit l’effet inverse de celui escompté. Censée donner une vision « normale » de la vie privée de Jordan Bardella pour susciter la sympathie de son électorat, l’intervention de la jeune femme a rappelé qu’elle avait été autrefois le visage des régionales de 2015. Et avec elle, la polémique qu’elle avait engendré.
À l’époque, en instrumentalisant l’image d’une jeune fille de confession juive, le Front National espérait déjà faire oublier son passé antisémite. C’était sans compter les médias et la vox populi qui s’étaient unis contre ce procédé propagandiste des plus mortifères.
Par ailleurs, la jeune militante avait suscité le scandale en affirmant que le sida n’existait pas, émettant des doutes - avant l’heure de la désinformation covidienne - sur l’intégrité de la médecine qu’elle estimait corrompue par les lobbies pharmaceutiques. La réapparition de Kelly Betesh dont le dessein était de donner de la consistance à un Jordan Bardella un peu trop lisse, a finalement rappelé que le parti était prêt à tout pour redorer son blason quitte à instrumentaliser le judaïsme d’une sympathisante et à adapter à sa sauce le passé de son hériter d’adoption.
À noter que de nombreuses figures de l’extrême droite actuelle entretiennent un climat de défiance vis-à-vis de la médecine traditionnelle. Florian Philippot, ancien employeur de la jeune femme, s’est vivement positionné contre la vaccination covid-19, devenant une figure majeure de la sphère complotiste. Cette position a vite été relayée par les proches du parti, les très médiatisés Francis Lalanne, Pierre-Jean Chalençon et surtout Mickaël Vendetta. Ce dernier invitant même son audience via les réseaux sociaux à suivre les conseils de Thierry Casasnovas, gourou du crudivorisme et poulain de l’essayiste d’extrême-droite Alain Soral.
Le FN est mort, vive le RN !
Après la défaite de Marine Le Pen lors des présidentielles de 2017, la politique de réhabilitation du parti prend un tournant décisif. Si le Front National fondé par Jean-Marie Le Pen en 1972 regroupait différents groupuscules des plus mortifères : catholiques intégristes, nostalgiques d’Hitler et de Mussolini, anciens de l’OAS. Tous unis autour d’idéologies anti-républicaines comme l’antisémitisme, la xénophobie, l’homophobie ou encore le virilisme, le Rassemblement National semble décidé à couper ses racines fondatrices. Changement de nom, rupture avec les préceptes lepénistes, volte-face sur la question de l’Union Européenne, maintien de l’euro, la refonte du légendaire parti d’opposition en un parti possiblement gouvernemental débute. Finies les provocations de Le Pen père, ce patriarche que sa femme Pierrette dénonçait en 1984 comme étant néo-nazi au lendemain de leur séparation. Désormais, le RN pèse ses mots, préférant garder le silence lors de crises majeures telle que la pandémie de Covid-19, s’inscrivant dans une réserve synonyme, pour le grand nombre, de professionnalisme et de sérieux.
Au fil du temps et des gouvernements successifs, nous pouvons noter certaines constantes dans le discours du parti, lesquelles se canalisant essentiellement autour de problématiques sécuritaires et immigrationnistes. Répondant aux besoins d’un électorat rural qui se sent délaissé par le parisianisme qu’il perçoit chez la majorité présidentielle, le RN devient progressivement populaire dans les banlieues et dans les agglomérations de moyennes et de petites superficies.
Le clivage entre Paris et sa province, les métropoles et les campagnes se creuse encore davantage avec la crise des gilets jaunes. Le nouveau visage du RN séduit ceux que la Macronie ne convaint pas, principalement issus du monde ouvrier et de la classe moyenne laborieuse.
Il faudra cependant attendre l’entrée en scène sur l’échiquier politique d’Éric Zemmour pour concrétiser la politique de dédiabolisation du Rassemblement National qui perd, fenêtre d’Overton oblige, son étiquette d’extrême-droite.
L’année 2022 marque un nouveau tournant pour le RN puisqu’après sa nouvelle déconvenue aux présidentielles, la présidence du parti est octroyée à Jordan Bardella. La même année, l’humoriste Dieudonné, proche de Le Pen père, présente ses excuses publiques en annonçant son futur voyage à Auschwitz, symbole de sa rédemption. Le RN semble plus que jamais décidé à écarter ses moutons noirs. Aussi, Francis Lalanne accompagnera t-il Dieudonné lors de son séjour expiatoire et ce, pendant que les cadres les plus virulents migrent doucement vers Reconquête ou les Patriotes de la figure de proue des complotistes, Florian Philippot notamment rejoint, sans surprise, par Kelly Betesh.
Plus aucun nuage ne paraît prompt à obscurcir les ambitions du RN. Les sondages des européennes de 2024 place rapidement Jordan Bardella en tête. Il faut dire que Valérie Hayer, candidate macroniste, peine à convaincre lors des allocutions et autres débats. Nous connaissons la suite. En quelques semaines, le parti d’extrême-droite se propulse au sommet de la sphère politique française avant d’en être écarté lors de la dernière ligne droite.
À l’annonce des résultats du second tour des législatives anticipées, cadres et sympathisants, en dépit des manquements quant aux « brebis galeuses » investies ainsi que l’amateurisme de la campagne sont surpris d’une pareille déconvenue. Dans son incapacité à reconnaître ses failles et à prendre les dispositions qui s’imposent pour y pallier, le RN semble condamné au bas du podium. Si l’énergie déployée pour se donner une image positive se révèle toutefois inépuisable, il semble qu’à trop miser sur la forme en négligeant le fond, on en paie le prix fort.
Par ailleurs, le désistement de candidats de gauche et centristes en cas de triangulaire appelé « Front républicain », a constitué le véritable obstacle à l’avènement du parti. Si la vox populi n’était pas prête a adouber le RN en dépit de la réussite de sa véritable campagne, celle de sa réhabilitation menée depuis près de quinze ans, cette alliance a entériné le choix des électeurs. Sans parler de la polémique autour de la double nationalité visant à inscrire dans la Constitution le refus de certains emplois aux binationaux. Cette mesure rappelant celles du gouvernement de Vichy à ses débuts dont une des premières mesures a été d’exclure les juifs des postes stratégiques a ravivé la mémoire collective ainsi que le sentiment de méfiance envers le Rassemblement National. À noter que « double national » dans le vocabulaire de l’extrême-droite est polysémique, pouvant désigner au besoin musulmans, juifs ou encore africain.
Ceci étant, reconnaissons la propension du mouvement lepéniste à se réinventer. Parti maudit des années 1980, il avait réussi à créer la surprise générale en intégrant le second tour des présidentielles de 2002. Passant de deux députés en 2012 à quatre-vingt neuf la décennie suivante, l’ascension du RN se dessine quand on ne l’attend pas, tirant profit des faiblesses de ses adversaires pour s’imposer peu à peu comme la force tranquille, le rempart ultime contre les frustrations politiques des français.
Ironiquement, c’est le barrage citoyen qui s’est interposé afin d’empêcher le RN de gouverner alors que c’est ce même barrage vis-à-vis du parti présidentiel qui a engendré ces élections anticipées.
Reste à savoir si, en 2027, les français ne confondront pas, une fois de trop, mécontentement avec intronisation, se condamnant à jouer avec les brèches d’un feu pas tout à fait éteint.
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