■ Aziliz Le Corre (©ROBERTO FRANKENBERG).
Ce livre est un cri du cœur. En tout cas, prenez-le comme tel ! Aziliz Le Corre, journaliste, diplômée de philosophie, écrivain, est aussi mère de deux enfants. Enfin, est-ce bien utile de le préciser ? Beaucoup d’entre nous sont parents, et combien n’ont pas connu les hauts et les bas, – surtout les bas ! - de la parentalité ? Alors pourquoi en faire toute une affaire ? Le premier essai de l’auteur s’intitule L’enfant est l’avenir de l’homme (Albin Michel, 2024). Et dès le titre de cet ouvrage, on sait à quoi s’en tenir. D’ailleurs, est-ce bien raisonnable ? Serait-ce une provocation ? Une hérésie ? Ce que l’on sait, du moins, avant même de se plonger dans ces deux-cents cinquante pages, c’est que cette réponse d’une mère au mouvement « No kids », comme on peut le lire sur la couverture, n’est pas moins qu’une violente déflagration dans le petit monde feutré de la bien-pensance.
Pourquoi Aziliz est-elle de la dynamite ?
Si la journaliste au JDD et mère de deux enfants dérange, si une partie de la presse boude son livre, c’est très certainement parce qu’elle appartient à cette jeunesse de droite décomplexée qui est une sorte de poil à gratter pour le magistère politique et moral de gauche qui a régné jusqu’ici depuis pas moins de cinquante ans. C’est aussi, parce que du haut de sa petite trentaine, son érudition et son intelligence dérangent les images d’Épinal que les gens de gauche aiment à se répéter, voyant le militant de droite comme une personne « bas-de-plafond ». Qui plus est les bien-pensants n’aiment pas qu’on leur réponde !
Ce livre est pourtant une réponse à une forme de pensée irréfléchie qui se nomme « No kids ». Le fameux discours des « sans enfants par choix ». Réponse au mouvement Childfree, ou tout simplement salve cinglante contre le conformisme moral de l’époque qui préfère s’occuper de soi, de son égoïsme et de son confort, enfermé dans sa bulle (trottinette, Quinoa, écouteurs, téléphone portable, Uber Eats, Netflix) : le repli sur soi comme refuge contre la vie ! À cela, Aziliz Le Corre se demande : « Qu’avons-nous fait de la beauté du monde ? » dans ce monde qu’elle désigne dès la première partie de son livre comme « inhabitable ».
Si donc Aziliz se fait de la dynamite pour notre époque, c’est parce qu’elle dit de manière simple des choses simples. Surtout dans une période qui n’aime pas entendre le contraire de ce qu’elle veut penser. En quelques courts chapitres, Aziliz Le Corre balaye les dogmes et croyances de l’époque : l’écologie, le non-désir d’enfant, le féminisme.
Du féminin absolu au féminisme relativiste
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de dénigrer les gens qui ont fait le choix de ne pas avoir d’enfants. Le livre d’Aziliz Le Corre n’est pas, comme on peut le dire aujourd’hui avec ce vilain mot, clivant. Il s’agit plutôt de porter une voix alternative, d’apporter, prenant l’exemple du débat dialectique grec puis français, la contradiction plutôt que la controverse, en démasquant les incohérences et les éléments de langage, la mauvaise foi des uns et des autres, et pourquoi pas, de dégonfler la baudruche dans un monde où même Narcisse serait humble devant autant d’auto-brossage de l’égo ; les écolos qui ont fait « le choix de ne pas avoir d’enfants pour sauver la planète » et qui peuvent d’ores et déjà « revendiquer le label GINKS (Green Inclination No Kids pour « engament vert, pas d’enfants »), en bref, ceux qui sont influencés par cette « idée tenace qui lie démographie et écologie » ; mais aussi toutes les féministes qui sont encore dans « la dénonciation de l’instinct maternel » qu’affirmait Simone de Beauvoir dans son Deuxième sexe, essai faussement philosophique et réellement idéologique datant de 1949. Une « déconstruction du lien entre la mère et l’enfant » qui sera continuée par Élisabeth Badinter dans toute son œuvre, et notamment dans L’amour en plus, un livre paraissant, quarante ans après sa parution, bien militant aujourd’hui.
Si donc Aziliz Le Corre répond aux deux féministes de la première heure, c’est parce que, depuis Beauvoir, au lieu « de défendre les particularités féminines [...] (le) rejet du corps qui perdure au sein de la pensée féminine se joue en réalité (d’)une obsession égalitaire. » Or, précisément, la vraie question que l’auteur ose se poser ne doit-elle pas être celle du féminisme lui-même ? Cela fait longtemps qu’on se demande si le féminisme n’est pas depuis le début une négation du féminin. Bien sûr, il ne s’agit pas d’être absolu dans son attaque, et la nuance est toujours bonne à prendre, mais tout de même, on ne peut être qu’en accord parfait avec la journaliste quand elle écrit que les féministes ont « toujours préféré les femmes soumises au marché qu’à leur époux ». Une formule qui n’a rien à envier à celle de Chesterton en son temps.
Résultats des courses : d’un côté le Childfree, de l’autre le mumminstagram, ou les féministes versus les tradewives.
Ainsi donc, vous en avez marre de vos moutards ? Préférez le bovarysme ! « Lointaines héritières de Madame Bovary ces femmes [...] désirent leur désir, lui courant après, espérant vainement combler leurs difficultés sociales et émotionnelles. »
Liquider la société liquide ?
Ne faut-il pas préférer liquider la société liquide, dissoudre la dissolution, déconstruire la déconstruction ? Le narcissisme moderne en consommateur a, comme le dit Gustav Anders, cité par l’auteur : « l’esprit [...] toujours déjà prêt à être modelé, à recevoir l’impression de la matrice » correspondant à la « forme qu’on lui imprime ».
Refusant d’« être et de faire famille » dans une société qui a transformé l’individu en un homme poursuivant tous ses désirs, la moralité ambiante et les combats des femmes pour la libération ou l’indépendance, qu’elles ont souvent assimilés à l’émancipation, furent surtout autant de coups de boutoir contre l’idée même de la famille qu’on assimile beaucoup aujourd’hui à un mot étrange et dévoyé : le patriarcat. Sans compter la « mère qui devient père dans un couple homosexuel ». Le panorama que nous dresse Aziliz Le Corre est plus qu’inquiétant, d’autant que ce monde en crises, comme elle le montre très bien, est surtout la crise de ses grandes structures qui lui donnaient sens. La crise du monde moderne s’est transformée en une condition postmoderne, comme l’écrivait Jean-François Lyotard, dans laquelle personne n’y retrouve ses petits (si je puis dire !), et avec pour conséquences désastreuses, un délitement du commun.
Une réponse à la réponse
Mais il ne s’agit pas de terminer cette chronique sur ces notes, comme si l’auteur serait une femme déjà aigrie du haut de ses deux enfants. On y trouve non seulement une touche d’espoir, mais un fort vent de bonheur dans le miracle d’être mère selon elle. Et, ses propos qui, loin de critiquer les femmes qui ne veulent pas être mères, ou de les caricaturer, préfèrent nous montrer que la maternité apporte comme lot de satisfaction au milieu des difficultés à être parents (et non de consolation !). Nous l’avons tous été, nous savons combien il a été difficile de se décentrer de nos propres objectifs, de lâcher avec nos désirs de jeunesse, d’en finir avec notre égoïsme enfantin pour s’occuper d’un autre, de ce soi-même comme un autre pour reprendre une formule de Ricœur.
Car il n’est pas facile d’être parent, de répondre de, notamment avec toutes les injonctions morales de l’époque, comme celle de la parentalité positive, qui semble a fortiori négative pour les enfants et leurs parents. Mais on peut aussi guérir de ses dogmes ; on peut se laisser surprendre et apprendre de soi par notre propre enfant.
Ce livre, qui est donc moins une critique acerbe de l’esprit du temps qu’une ode à l’amour, à la famille, à l’enfant, et à ce que Jankélévitch appelait joliment le « faire-être », nous redonne un peu d’espoir dans un monde qui sème plutôt le désespoir. On dira que c’est de l’espoir au-delà du désespoir ! Et, si « les enfants sont le sel de la terre », alors lisons la lettre qu’Aziliz Le Corre adresse à une amie qui ne veut pas d’enfant, citant au passage cette phrase judicieuse du regretté Jean d’Ormesson : « Chacun d’entre nous a eu au moins une chance : celle d’être né ». Une réponse en forme de pied de nez à Cioran, et une réponse à sa propre réponse aux architectes du néant, qui considèrent très curieusement que le nec plus ultra de l’émancipation c’est de vivre pour soi-même et les caprices de ses désirs, en éliminant leur descendance.
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