■ Maître Jean-Philippe Carpentier.
Par Maître Jean-Philippe Carpentier - Avocat au barreau de Paris, consul honoraire du Luxembourg avec juridiction sur la Normandie et Président du Corps consulaire de Normandie.
Le ministère de l’Économie exprime publiquement que la création d’une deuxième « journée de solidarité » est une proposition très intéressante, actuellement à l’étude.
En 2004, la suppression d’un jour férié devenu une « journée de solidarité » visait à répondre au traumatisme des morts de la canicule de 2003 par la création de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) qu’il fallait financer.
L’idée avait alors germé que ce financement serait trouvé par une journée supplémentaire de travail effectuée mais non rémunérée pour les salariés et une contribution de 0,3% de la masse salariale annuelle pour les employeurs.
Vieux comme le monde, l’impôt en nature catégoriel était à nouveau mis en place.
Ce type d’impôt porte un nom, la corvée, et il avait alors fallu trouver un habillage plus acceptable, celui de la solidarité.
En effet, l’histoire s’oublie vite et dans l’imaginaire collectif, les corvées, au nom à connotation péjorative, avaient été abolies le 4 août 1789, mais est-ce bien exact ?
Avant toute chose et pour comprendre la notion de corvée, au sens fiscal, il faut commencer à définir le concept, l’affiner et supprimer les idées reçues.
Le Larousse concourt à conforter l’imaginaire collectif en définissant la corvée comme un « travail collectif gratuit qui était dû au seigneur ou au roi par le paysan », une sorte de concept rétrograde et qui ferait partie du passé.
Wikipédia y ajoute un saupoudrage de colonialisme et précise : « La corvée (du latin corrogare, « demander ») est un travail non rémunéré imposé par un souverain, un seigneur, un maître ou un système colonial à ses sujets et dépendants, qu’ils soient de statut libre ou non ».
Jean Sévilla, dans son ouvrage Historiquement correct : pour en finir avec le passé unique précise que, sous l’Ancien régime, la corvée personnelle, c’est-à-dire le travail non rémunéré en guise d’impôt représentait trois jours par an.
Contrairement aux idées reçues, la corvée en nature avait été abolie par Louis XVI, avec l’ordonnance du 27 juin 1787.
Cependant, la corvée privée a perduré en France au profit des propriétaire fonciers après le 4 août 1789, pour les paysans, jusqu’au statut du fermage issu de la loi du 13 avril 1946.
La corvée publique a été instaurée en 1824 pour l’entretien des chemins vicinaux et porté de deux à trois jours par Adolphe Thiers, celui-là même qui en 1848, écrivait « je suis du parti de la révolution ».
Cette corvée a été supprimée seulement dans les années 1950.
Mais en avait-on vraiment fini avec les corvées publiques catégorielles comme les corvées d’entretien des chemins vicinaux français qui ne pesaient que sur les habitants des campagnes ?
La réponse est visiblement non.
La journée de solidarité, déjà présentée, issue de la loi du 30 juin 2004 « prend la forme d’une journée supplémentaire de travail non rémunéré pour les salariés ».
Il s’agit ni plus ni moins d’une corvée, de surcroît, catégorielle puisqu’elle n’est due que par les salariés et leurs employeurs.
Le législateur n’a pas imposé, par exemple, aux retraités ou aux bénéficiaires d’aides sociales de renoncer au paiement d’une journée de prestation sociale ou de retraite.
Paré des vertus de la solidarité, le système séduit encore aujourd’hui, puisque l’actualité fourmille d’articles sur le projet de mise en place d’une seconde journée de corvée catégorielle identique pour combler le déficit abyssal des finances publiques.
Il n’est pas ici le lieu de porter un jugement de valeur sur l’opportunité de la suppression d’un jour férié, mais plutôt de le mettre en perspective historique.
Plusieurs questions se posent dans notre monde moderne et j’avais rappelé les risques en lien avec l’augmentation des impôts qui risquait d’en faire diminuer le rendement, l’effet Laffer et la maxime trop d’impôt tue l’impôt.
Et bien pour les corvées modernes, je rappellerai la position exprimée par Joly de Fleury dans un lit de justice de 1776 qui s’opposait aux corvées en expliquant que le peuple « n’a droit de se plaindre de la corvée, que parce que chaque jour doit lui rapporter le fruit de son travail pour sa nourriture et celle de ses enfants ».
L’imagination et le revival fiscal risquent d’être une nasse pour qui n’y prend pas garde.
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