La banalité de la catastrophe


L’actualité incroyablement dense des derniers mois (dissolution, élections législatives puis feuilleton de la nomination du Premier Ministre, Jeux Olympiques, guerre en Ukraine, embrasement au Proche Orient…) a relégué au second plan les thématiques liées au dérèglement climatique. Pourtant inexorablement, tous les indicateurs virent au rouge vif et les conséquences du réchauffement se font sentir un peu plus chaque jour.

Concrètement les émissions de CO2 continuent à augmenter– environ +1% au niveau mondial sur les 8 premiers mois de l’année selon Carbon Monitor -, alors qu’elle devraient baisser d’environ 5% pour espérer atteindre les objectifs des Accords de Paris, et les émissions de méthane – le deuxième gaz à effet de serre le plus important après le dioxyde de carbone, qui contribue pour un tiers au réchauffement global – sont aussi en croissance et conduiraient en tendance à un réchauffement de plus de 3°C selon le Global Carbon Project, notamment du fait de la quasi-inexistence de politiques d'atténuation.

En même temps la capacité d’absorption naturelle du CO2, ce qu’on appelle les puits de carbone, semble en baisse significative, notamment dans sa composante terrestre ( étude internationale parue en juillet 2024 coordonnée par Philippe Ciais du CEA ). Ainsi Les forêts et les sols ont seulement absorbé entre 1,5 milliard et 2,6 milliards de tonnes de CO2 en 2023, loin derrière les 9,5 milliards de 2022, en partie en raison des immenses feux de forêts en Sibérie et au Canada, ou encore de la sécheresse en Amazonie. Pour situer les ordres de grandeur, les émissions anthropiques, liées aux activités humaines, de CO2 sont autour de 40 milliards de tonnes par an, donc une baisse des capacités d’absorption de 6 ou 7 milliards de tonnes est énorme.

Ici on observe donc un terrible cercle vicieux : la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère augmente, la température monte, les phénomènes extrêmes comme les feux géants sont amplifiés, cela contribue encore plus à accroitre cette concentration, et ainsi de suite. Le dérèglement s’autoalimente pour aboutir à la catastrophe. Une catastrophe provoquée par un réchauffement qui s’annonce largement au-delà des 2 degrés.

Et les mesures scientifiques sont là pour en témoigner : 2024 sera sans doute l’année la plus chaude jamais enregistrée et en août pour la treizième fois en quatorze mois, le thermomètre planétaire a franchi la barre des 1,5 °C de réchauffement, comparé aux niveaux préindustriels (1850-1900). La température des océans est à l’unisson. Le mois de juin a été marqué par les températures moyennes à la surface des océans les plus élevées jamais constatées, avec des records locaux sur tout le globe. En Floride par exemple, les eaux ont atteint 38°C ! soit plus que la température du corps humain. La mer Méditerranée a elle atteint 28,7 °C, un record absolu.

Le résultat de ce réchauffement : des vagues de chaleur terribles au Pakistan, en Inde, ou encore en Europe de l’Est cet été. Une intensification des ouragans avec par exemple Hélène qui vient de dévaster le sud-est des Etats-Unis. Des feux de forêt ravageurs dans l’ouest canadien... Et on pourrait multiplier les exemples.

S’il est difficile de quantifier précisément les effets sur la mortalité humaine de ces phénomènes qui étaient extrêmes et désormais se banalisent, on peut déjà parler de centaines de milliers de morts par an. Pour la seule Europe – continent a priori développé et donc mieux préparé – l’OMS parle déjà de 175 000 décès liés à la chaleur tous les ans. En cas d’une augmentation des températures de 2° à la surface du globe une étude de l’université du Western Ontario au Canada parue en 2023 évoque même le chiffre ahurissant de 1 milliard de décès à horizon 2100.

Et pourtant devant ces périls immenses, l’espèce humaine, collectivement en danger, semble regarder ailleurs pour reprendre l’expression de Jacques Chirac prononcée en 2002 (« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs »).

Ici, en tant qu’individus et citoyens, il nous revient justement de ne pas regarder ailleurs. Il nous revient d’éviter que la catastrophe devienne apocalypse. Il nous revient d’agir à notre échelle personnelle, et surtout de nous assurer que nos gouvernants et décideurs fassent réellement du sujet climatique et environnemental une priorité, une absolue nécessité. Cela devra passer par un débat exigeant sur nos choix, nos modes de vie, notre façon de faire société. Un débat global et non pas sur telle ou telle mesure, telle ou telle taxe, telle ou telle incitation. Un débat difficile car vital. Ce débat est plus qu’urgent et c’est à ce prix que la catastrophe ne pourra pas s’imposer dans nos vies, notre quotidien, comme une banale certitude.

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