Écrivains en résistance troisième volet : Stefan Zweig, l’homme qui se cachait tragiquement derrière les mots

 Stefan Zweig.

Par Michel Dray - Historien, chroniqueur au Contemporain.

L’énigme Stefan Zweig. Sous ce titre mystérieux, Francis Huster avait signé en 2010 un ouvrage affûté comme le couperet d’une guillotine, contre l’écrivain autrichien. « Huster ne doute pas un instant que Zweig fût un grand écrivain, il doute qu’il fût un grand homme » écrit malencontreusement Eric Emmanuel Schmidt dans la préface qu’il consacra à l’ouvrage du comédien (1) faisant en cela référence à son attitude plutôt timorée vis-à-vis du nazisme. Son essai n’est pas inintéressant, et même aurait pu contribuer à mieux comprendre ce personnage complexe. Mais le livre a beaucoup perdu en crédibilité car il ne cite aucune source sur les faits qu’il avance.

La célébrité ne change pas le caractère d’un homme.

Tout au plus modifie-t-elle sa perception du monde comme elle modifie la perception que les autres ont de lui. La gloire, n’est rien moins qu’un prisme déformant, image mensongère, vision erronée de la réalité. Aussi la mort de Zweig en 1942 ne peut-elle se comprendre qu’en décryptant les sinuosités d’une existence tragique et extraordinaire à la fois.

Né en 1881 au cœur d’un empire austro-hongrois croulant sous six siècles d’histoire, issu de la grande bourgeoisie juive de Vienne, Zweig a toujours été nostalgique de cette monarchie qu’il a si bien décrite dans le Monde d’Hier. Il a mis fin à ses jours en 1942. C’était au Brésil à Pétropolis. 1881-1942 : six décennies torrentueuses ! Il n’a que 14 ans quand meurt Pasteur, 29 quand décède Koch, son alter ego allemand. Il a été un proche de Freud. Et, face à ces hommes qui ont éclairé l’humanité, Mussolini, Hitler, Staline, eux, l’ont obturée. Zweig, avant d’être juif, se veut citoyen du monde. Son cosmopolitisme est humanisme dans un monde noirci par la haine raciale.

L’écriture est sa quatrième dimension, son unique raison de vivre. Et, bien qu’il soit l’auteur le plus lu de sa génération, le monde lui fait peur (2).

Son Marie-Antoinette, son Fouché, ou encore son portrait de Calvin dans Conscience contre violence ne sont pas seulement des essais historiques, ce sont surtout des sortes de « séances littéraires de psychanalyse » Marie-Antoinette, mère humiliée, Fouché, âme sanguinaire, Calvin fanatique de Dieu, Zweig « couche » tout ce monde sur la page blanche tel un divan (3) Son amitié avec Freud n’est pas un hasard.

Richard Strauss, un ami encombrant.

Zweig signe le livret de la Femme Silencieuse, opéra de Richard Strauss dont le soutien au nazisme est largement connu. L’amitié qui lie les deux hommes est ancienne. Strauss, malgré l’ire de Hitler maintient le nom de Zweig sur l’affiche comme librettiste. Pourtant, on est en droit de se poser des questions, car la célébrité de l’écrivain aurait fait de lui un chef de file non négligeable dans la lutte anti-nazie comme ce fut le cas de la famille Mann (4).

Le syndrome de glissement de Stefan Zweig.

Zweig est un homme du monde, un « dandy-fin-de-siècle » Mais c’est surtout un dépressif (5). Le monde qui s’écroule autour de lui le déstabilise et le pousse aux limites de l’égarement. Son arme c’est la plume. Qu’elle fasse mouche dans son extraordinaire exploration de l’âme féminine (lettre d’une inconnue, la Pitié Dangereuse), qu’elle se distingue dans la biographie par le biais de la psychanalyse (Fouché, Balzac, Dostoïevski) qu’elle nourrisse sa nostalgie du judaïsme (le Chandelier enterré, le bouquiniste Mendel) on retrouve toujours la tolérance et la fraternité comme murs porteurs de sa pensée. Zweig a été aux côtés de Romain Rolland et de Heinrich Maria Remarque dans son combat pacifiste contre la Première guerre mondiale. A 58 ans, usé, désabusé surtout, il se laisse partir. Les médecins appellent cela le syndrome de glissement contre lequel on ne peut rien faire. Est-ce parce qu’il ne croyait plus à l’espèce humaine qu’il s’est suicidé ? La lettre qu’il a laissée est écrite de telle manière qu’on peut imaginer plusieurs grilles de lecture.

Zweig laissera à l’humanité la seule œuvre (posthume) qui dénonce clairement le nazisme : le joueur d’échecs.

Et si résister c’était aussi laisser des mots ?

Notes

(1) L’énigme Stefan Zweig, 2015 Edition le Passeur.
(2) À lire avec profit « correspondance de Stefan Zweig, réédité en plusieurs volumes dans le Livre de Poche.
(3) Freud aurait confié à Thomas Mann : « Zweig est le seul qui pourrait me psychanalyser» Aucune preuve à ce jour pour confirmer le mot même si, à Vienne, au Musée Freud des documents y font référence.
(4) Klaus Mann, fils de Thomas avait créé à Amsterdam une revue ouvertement anti-nazie intitulée Die Sammlung (la collection) Sollicité, Zweig ne donna pas suite jugeant la revue « trop engagée » Cette affaire a terni définitivement les relations entre Mann et Zweig
(5) Zweig a pensé plusieurs fois au suicide durant son existence.

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