Budget de l’État français : Les Leçons du Privé

 Bercy (©Paul Chemetov, Borja Huidobro).

Par François Petitjean - Consultant et analyste de la communication politique, auteur de Adworld sur la publicité, Toxic sur les médias et Sine capita sur le numérique et l’IA aux éditions du Panthéon.

A la suite de la présentation du budget 2025 à l’Assemblée Nationale, et des multiples avis sur les mesures à prendre ou à éviter, le constat reste identique, et presque invariable : on s’accorde sur des résultats négatifs.

Ce phénomène, propre à la gestion de l’argent public, s’affranchit de toute règle comptable dans une éternelle recherche de rattrapage des dépenses souvent suivie d’une nouvelle période de dépenses d’un quinquennat à l’autre. On ne découvre rien. En 1789 déjà, les recettes de l’Etat (500 millions de livres) étaient largement inférieures aux dépenses (630 millions de livres). Et les siècles suivants n’ont rien changé à cet invariant, maintenant ancré dans la mémoire collective comme un dû, hors de toute logique économique. On se congratule au Gouvernement lorsque le déficit se réduit, et on s’étripe à l’Assemblée Nationale lorsqu’il grandit.

Mais jamais personne n’ose sortir de sa poche un exercice à zéro, voire un exercice bénéficiaire.

Comme si ces deux axes étaient éternellement maudits.

Le second est pourtant la pierre angulaire de l’économie privée, grâce auquel le PIB existe et perdure.

Etat et Europe :
On peut comparer sur le sujet « budget » l’Etat français à une filiale française d’un groupe privé européen. Si cette filiale proposait un -6% ou même un -3% à son management européen, la sanction serait un licenciement économique massif pour revenir au positif. Un chiffre un peu magique d’objectif de résultat avant impôts pour des groupes privés internationaux est +15% avant impôts. Quand on arrive à 8 ou 10 ça passe. Il y a donc bien deux mondes qui s’ignorent entre l’administration de l’Etat et les groupes privés, grands ou petits, qui font fonctionner la machine économique française.

Administration publique : La comparaison pourrait être celle de départements d’une entreprise. La direction générale (le Gouvernement) répartit les tâches et les objectifs par département. Dans n’importe quelle entreprise, l’un de ces départements est exempt de rentabilité. Il s’agit du contrôle de gestion, de la direction financière, des RH et des services généraux, « hors objectifs » et représentant un coût brut. Ce serait l’équivalent de l’administration globale de l’Etat, incluant Bercy et tous les « guichets » innombrables des services sociaux, fiscaux, ou associatifs. Cela représente 57,3% du PIB en France, soit 8 points de plus que la moyenne européenne. Inutile de dire que de tels chiffres dans une entreprise n’attireraient pas le moindre actionnaire. Ce ne serait d’ailleurs plus une entreprise mais une association à but dépensier.

Ministères et stratégies : On peut comparer 3 d’entre eux aux fers de lance d’une entreprise à savoir la Stratégie d’innovation et de développement (Transition Ecologique et cohésion des territoires), la lutte concurrentielle et le développement commercial (Défense Nationale), et la stratégie prospective et structurelle (Education Nationale). Cela semble un peu tiré par les cheveux, mais si ces ministères ne sont pas là pour fabriquer du profit, leur immense surface doit pouvoir s’adapter aux nouvelles donnes conjoncturelles du moment. Les outils numériques et le support de l’Europe sont indispensables pour évaluer des scénarios d’économies, d’adaptation ou parfois d’investissement. Le futur dépend de ces 3 ministères (entre autres). Dans les entreprises, les fonctions de ce type constituent souvent des « task force » intellectuelles ou/et commerciales pour anticiper le monde. Ils sont la clé de la survie dans les marchés quels qu’ils soient. L’Etat joue le court terme, mais le réel terme n’est pas celui-là. Et le court terme finit toujours par coûter plus cher.

Etat et Communication : On peut simplement parler, pour les entreprises, de leur publicité et des événements marketings ou promotionnels qui sont calibrés, calculés, ciblés, et parfois gagnants. Ce n’est pas une science mais la publicité mensongère est punie par la loi, donc les entreprises disent une vérité améliorée avec plus ou moins de talent. L’Etat a une médiatisation plus complexe car elle est en direct et multiple ce qui occasionne obligatoirement gaffes, contresens, faux pas, mauvais timing etc… Mais ce qui a fait le succès d’Amazon n’est pas sa publicité, c’est sa capacité à livrer. Le problème de l’Etat reste l’immense gouffre qui existe entre ses paroles et ses livraisons. C’est le piège des promesses. Cela explique en grande partie la médiocre image des politiques, et en particulier l’effondrement de popularité des gouvernants, une fois l’enthousiasme du début de mandat avalé. La frugalité de paroles de M. Barnier est en cela un progrès notable.

Aujourd’hui, le nouveau gouvernement, quels que soient ses bons ou mauvais choix (chacun jugera), propose de casser l’habitude culturelle du déficit. Pas entièrement ni de manière entrepreneuriale mais au moins dans un sens compréhensible pour le monde du travail (monde qui inclut les retraités, au courant du sujet). La tâche est ardue, mais les leçons qu’on peut tirer du monde du privé face à la fonction publique sont innombrables. Sans remettre en cause les compétences des politiques aujourd’hui aux manettes, il serait bon d’infuser du « privé » dans le « publique ». L’idée n’est pas nouvelle, il faut juste le faire.

On ne gagnerait pas d’argent car ce n’est pas le but, mais on cesserait d’en perdre.

Note de l’auteur

Cet article ne représente pas une critique sur le fond des personnes publiques, mais une analyse des choses perçues, des risques liés aux communications du monde politique et des enjeux de celles-ci. Les noms cités ne le sont que pour comprendre leur impact au travers de décisions, de déclarations ou de comportements médiatisés.

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