Amos Oz, un écrivain qui faisait pousser les mots dans le désert

 Amos Oz (Photo : Francesca Mantavani/Gallimard via Leemage)

Par Michel Dray

Né en 1939 dans une Jérusalem sous domination britannique, issu de parents ayant fuit l’Ukraine des pogroms, puis soldat dans la jeune armée israélienne, et enfin connu par la suite comme l’un des fondateurs de « La Paix Maintenant » l’existence d’Amos Oz, sans doute l’un des écrivains les plus représentatifs de la société israélienne d’après 1967, a eu une existence balloté par les soubresauts de l’Histoire. Jusqu’à sa mort il n’a eu de cesse dans ses livres de mettre en scène des personnages déchirés entre espoir et désespoir. Ses héros nous ressemblent beaucoup. Formidable galerie d’anti-héros, suite extraordinaire de personnages dans le genre de Monsieur-tout-le-monde avec en toile de fond la guerre, la déshérence, l’angoisse du lendemain et la peur du jour présent. Aussi, laisse-t-il à chaque fois une bonne partie de lui-même d’un roman à un autre.

I. Amos Oz, poil à gratter de l’establishment israélien

Oz n’a cessé d’observer ses contemporains sans la moindre concession. Il sait qu’écrire ne veut pas dire juger, mais peindre, ressentir. Dévoiler surtout les diffractions sociales. Fortement arrimé à la gauche sans états d’âme il a toujours milité pour une solution à deux Etats. Dans ce pays où tout se construit avec douleur, Oz ne s’est pas fait que des amis, à droite bien sûr mais aussi à gauche. Qu’on relise La Boîte Noire (1) roman épistolaire dans lequel il ne ménage ni les ultra-religieux ni les bobos israéliens, ou bien qu’on redécouvre le texte d’une conférence prononcée en Allemagne et ironiquement intitulé Comment guérir un fanatique (2), et on comprendra les soubassements du personnage. Oz regarde les choses en face. Or donc, ceux qui ont de lui une image de « gaucho-pacifiste bohème » n’ont finalement rien compris à son combat.

II. Comment Amos Oz aurait vécu le 7 octobre ?

En Allemagne où j’ai fait sa connaissance puis à New-York où je l’ai revu deux ou trois fois, j’ai compris que cet homme était tout sauf un rêveur. Le pogrom du 7 octobre était un acte que personne n’aurait jusque-là imaginé, une chose impensable même pour un cerveau comme celui d’Amos. Les 364 raveurs assassinés et les 40 jeunes kidnappés (dont beaucoup ont été exécutés) étaient très majoritairement proches de Chalom Archav (la Paix Maintenant. Amos Oz ? ils connaissaient, beaucoup l’avaient lu et tous s’identifiaient à son combat. Si l’un des plus grands écrivains israéliens du XXème siècle avait été face à cette horreur, sans nul doute il aurait-il été chaviré au plus profond de lui-même au risque pour beaucoup de perdre ses illusions. On peut poser toutes les questions qu’on veut, il n’est plus là pour répondre. A l’instar d’un Yaïr Lapid, chef de l’opposition et farouche adversaire de Netanyahou qui, au lendemain du pogrom du 7 octobre remet en question l’idée d’un règlement politique israélo-palestinien, à tout le moins à moyen terme, gageons que Amos Oz aurait épousé la même problématique. « Israéliens, Palestiniens. Aucun des deux n’est une île ni ne peut non plus se fondre complètement dans l’autre ». (3)

Tout est dit et comme on est loin de l’image lisse, intellectualisante et utopiste de l’Amos Oz généralement connu ! Pour dire les choses, en Israël, être de gauche ne signifie pas être anti-patriote, mais servir une réflexion social-démocrate qui n’a rien à voir avec le travail de démolition du Nouveau Front Populaire à la Française…fortement insoumise » Quant au 7 octobre, Amos Oz, si attentif aux choses de la vie, l’aurait vécu comme un traumatisme majeur faisant même remonter en lui, les souvenirs de ses parents rescapés des pogroms ukrainiens sans pour cela lui faire taire ses idées de paix.

III. Chaque mot est une mémoire

Ecrire dans un pays en guerre c’est un peu comme s’ouvrir les veines de la raison. Les conflits incessants depuis 1948 ont scarifié sa personnalité. Et comment pourrait-il en être autrement ? Amos Oz a passé sa vie à zigzaguer entre espoir et désespoir.

IV. Amos Oz, tu es parti emportant dans la tombe tes plus belles illusions

« Le sens de l’humour, le pouvoir d’imaginer l’Autre, de reconnaître la presqu’île peuvent être en partie le moyen de lutter contre le gène du fanatisme » (4) Cette phrase ne cesse de résonner dans ma tête. Je pense aux victimes de la rave-party Nova du 7 octobre, aux bébés dans les fours, aux femmes violées, aux enfants égorgés. Je pense aux victimes du Bataclan, aux 58 militaires français assassinés par le Hezbollah en 1983. Je pense à toute une génération égorgée qui croquait la vie à pleine dent qui aimait la musique, la danse, l’humour, l’amour, la liberté.

Amos Oz nous a quittés le 28 décembre 2018.

Références de l’auteur  

1. La Boîte Noire, édition française chez Calmann-Lévy, 1988.
2. How to cure a fanatic (Comment guérir un fanatique), conférence prononcée en 2002 à Tübingen.
3. Conférence citée
4. Conférence citée

Gallimard (collection Quarto) a publié les principales œuvres de Amos Oz. 1728 pages, 35€

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