Amères vendanges au Proche-Orient

 Soldats israéliens à lEst de Rafah (©IDF).

Par Paul Vallet - historien et politologue franco-américain, résident à Genève où il est Associate Fellow du Geneva Center for Security Policy. Diplômé de, et a enseigné à Sciences Po Paris, la Fletcher School of law and diplomacy de Tufts University. Il a reçu son doctorat en histoire de l’Université de Cambridge.

Guère plus éloigné de l’Afrique, le Proche-Orient n’est séparé de l’Europe que par un bras de Méditerranée. Hier il y portait sa civilisation, aujourd’hui ce sont ses bruits et fureurs qui nous parviennent à quelques heures d’avion. Les trois religions du Livre y ont trouvé leur source, et si leur tradition a imprégné ce qui deviendrait la culture européenne, on ne saurait ignorer qu’elles portent aussi de terribles sentences. Au cœur de l’Ancien Testament qui veut conter la première alliance du Dieu unique avec les hommes se trouve la loi du Talion : « Mais si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure. » (Exode, 21 :23-24-25) Celle-ci semble caractériser les guerres de la région, même si on n’y voit pas trace du principe d’égalité du châtiment face au tort commis voulu par cette célèbre citation biblique.

La semaine précédant le premier anniversaire de l’attaque d’Israël le 7 octobre 2023, ouverture du nouveau chapitre des hostilités qui durent depuis, a ainsi vu s’accumuler les actes de rétribution que la partie adverse s’est efforcée ensuite de surpasser. C’est dans ce contexte qu’ont été exprimées par la communauté internationale les craintes d’escalade et d’extension régionale du conflit. La France ayant, entre les autres pays européens, un destin singulièrement lié à la région par la longue histoire, a donc été au nombre des pays tentant d’éviter ces développements par la médiation diplomatique. En s’exprimant publiquement samedi, Emmanuel Macron rappelait ces efforts, et laissa échapper une pique, visant plus certainement les Etats-Unis qu’Israël, en ironisant sur le fait de jouer sur les deux tableaux, de s’engager pour un cessez-le-feu tout en poursuivant les livraisons d’armes à l’Etat hébreu. Tout en restant au stade des mots, on vit alors s’illustrer la dynamique de réplique telle qu’illustrée par le Talion. Le premier ministre israélien Benyamin Netanyahu s’indigna, dans sa propre conférence, suivant celle du président français, de la prise de distance que Macron semblait suggérer vis-a-vis de ce qui est considéré comme une guerre contre le terrorisme. Au passage, Netanyahu supposait ainsi que la France ne compterait plus au nombre de ceux qu’il considère comme des « pays civilisés ». Frappe, puis frappe de retour, un peu plus fort.

Le propos ici n’est pas de refaire l’historique précis du 7 octobre et de ce qui s’est déroulé depuis, mais on peut utilement renvoyer à de précédentes chroniques du Jet d’Eau qui ont traité du « complexe de Massada » chez les Israéliens, et de la spirale meurtrière du terrorisme. On peut en revanche s’intéresser à dresser un état des lieux tel qu’il apparait au premier anniversaire de l’attaque et du pogrom du 7 octobre.

I. La destruction de Gaza a aussi été la destruction de la réputation d’Israël

Israël a été surpris comme il ne l’avait guère été depuis l’offensive foudroyantes des armées égyptienne et syrienne entamée le 6 octobre 1973, précisément cinquante ans auparavant. Sous la direction d’un gouvernement de coalition de la droite nationaliste et religieuse avec une majorité très ténue à la Knesset, Israël a improvisé une réplique militaire d’une brutalité bien vengeresse, destinée à frapper les esprits autant qu’à éliminer militairement les forces menaçantes. Un rappel considérable de réservistes a véritablement mis le pays sur le pied de guerre, soulignant par là que la menace n’était pas uniquement comprise comme émanant de la seule bande de Gaza. Il y a un an déjà, la plupart des commentateurs militaires observaient que c’était pour parer aux menaces d’autres fronts qu’un tel nombre de réservistes ont été rappelés pour activer quantité d’unités et ainsi permettre à l’élite des forces israéliennes d’intervenir avec un maximum de flexibilité et de disponibilité.

Certes, les offensives israéliennes se sont en premier lieu concentrés sur Gaza, d’autant que la capture de plusieurs centaines d’otages imposait d’aller les chercher. On sait qu’en définitive, le plus grand nombre qui ait pu être libéré l’a été pendant une trêve de deux semaines, survenue en novembre 2023. Les efforts internationaux menés avec la médiation active des Etats-Unis, du Qatar et de l’Egypte entre autres, ont été impuissants pour en obtenir d’autres depuis. Fort peu d’otages ont été libérés vivants par les troupes israéliennes en intervention ; beaucoup ont été retrouvés morts. Un détail touchant peu commenté la semaine dernière est qu’on a retrouvé à Gaza une jeune yézidie originaire du nord de l’Irak. Enlevée par les forces de l’Etat Islamique au Levant et en Irak en 2014 alors qu’elle n’avait que 14 ans pour servir d’esclave sexuelle aux jihadistes, elle a été par la suite donnée à leurs compères de la bande de Gaza. C’est après dix ans de captivité qu’elle vient d’être rendue à sa famille. Son histoire pourrait être édifiante mais, il faut le reconnaitre, les ruines de Gaza dont elle vient d’être arrachée sont, elles, un sujet qui préoccupe bien plus la communauté internationale. C’est ainsi que, malgré le choc qu’avait causé la description, partielle, des atrocités commises par le jihadistes le 7 octobre, dans les semaines qui ont suivi, Israël a déjà largement perdu la bataille de l’opinion mondiale.

Intervenir à Gaza, comme les forces israéliennes l’ont fait à plusieurs reprises depuis la prise du pouvoir du Hamas dans cette petite enclave, suppose une pratique de la guerre urbaine qui est le cauchemar de toute force armée régulière. Si les rappels aux obligations que font les conventions internationales sur l’usage de la force armée sont indispensables, force est aussi de reconnaitre que l’environnement urbain des combats rend très difficile un respect strict et minimal de ces obligations. C’est surement en connaissance de cause que l’armée israélienne a entamé le pilonnage impitoyable de la bande, assortie à un blocus impénétrable, avant d’y mener des incursions appuyées par les blindés et l’aviation. Un an après, on connait encore fort peu le détail des opérations menées et de leurs objectifs, puisqu’on sait aussi que le combat de surface ne représentait qu’une partie de l’effort. Le Hamas possédant une infrastructure gigantesque de tunnels servant plus au combat qu’au refuge, c’est autour des points d’émergence de ces conduits que se sont produit de terribles combats et bombardements. Tsahal s’est attaqué successivement à diverses « tranches » du territoire, procédant du nord vers le sud, quitte à reprendre les combats dans les parcelles supposées « nettoyées » un peu plus tard. Sur le court terme, l’armée israélienne peut sans doute se prévaloir d’avoir tué près de la moitié des combattants estimés du Hamas dans la bande. De leur côté, les Palestiniens et leurs soutiens assurent que le spectacle de la destruction de la bande ainsi que les dizaines de milliers de morts civils qui l’ont accompagné ont assuré le recrutement de futures générations de jihadistes.

II. Où d’autres acteurs régionaux sont impliqués dans le conflit

Le second souci du commandement israélien dans les suites du 7 octobre, qui a motivé le très largement mouvement de rappel des réservistes, était un possible soulèvement des Palestiniens de Cisjordanie. Ce soulèvement paraissait d’autant plus dangereux que les éléments extrémistes israéliens, avec la bénédiction du gouvernement, ont multiplié les incidents, provocations et attaques contre les Palestiniens de cette région afin de pouvoir faire progresser l’expansion de leurs colonies illégales. Plus qu’un raid lancé depuis Gaza sous couvert des pluies de roquettes Qassam, c’était l’exaspération des Palestiniens de Cisjordanie souffrant des attaques impunies de colons issus des franges religieuses juives les plus fanatiques que bien des experts en sécurité israéliens étaient venus à redouter. Cela survenait d’autant plus dans le contexte de polarisation extrême en Israël, lors des manifestations de l’opposition contre la tentative, lancée par Benyamin Netanyahou et ses associés politiques, de mettre fin à l’indépendance du pouvoir judiciaire pour mieux se prémunir de poursuites lancées contre le premier ministre. La situation aurait même pu dégénérer encore davantage après le 7 octobre lorsque le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben Gvir, ténor politique des colons israéliens, leur distribuait ouvertement des armes. L’action a fait suffisamment de bruit pour que le gouvernement américain suspende une livraison notable de fusils d’assaut prévus pour les forces de sécurité mais dont on ne pouvait plus être sûr qu’ils ne seraient pas donnés par Ben Gvir à ses activistes, qui se sont rendus coupable de plusieurs meurtres gratuits de civils palestiniens. En définitive, en raison non seulement du bouclage des Territoires opéré par l’armée, mais peut-être aussi des actes de terrorisme de certains colons, la Cisjordanie n’est pas entrée dans une guerre de haute intensité comparable à celle qui s’est abattue pour Gaza.

La situation est tout autre, en revanche, sur la frontière nord d’Israël face au Liban et à la Syrie. Sur ce front, Israël peut aussi se targuer d’une très longue expérience opérationnelle. La conquête du Plateau du Golan en 1967 a été essentielle à la profondeur stratégique de l’Etat hébreu en contrôlant des hauteurs desquelles l’artillerie syrienne pouvait pilonner la Galilée. S’assurer également le contrôle des zones sources du Jourdain était à peine moins important. Au prix d’une épique bataille de blindés, Israël a pu conserver ce territoire en octobre 1973 et en a proclamé l’annexion unilatérale en 1981, annexion qui n'a été reconnue que tout récemment par le gouvernement américain lors de la présidence de Donald Trump. Parce que la Syrie a été ravagée par la guerre civile à partir de 2012, et que le régime de Bachar el Assad n’a tenu que par l’intervention décisive de l’Iran et de ses alliés chiites libanais, sans parler de la Russie, ce pays n’a plus guère de forces militaires représentant un grand danger pour les Israéliens. Ce qui focalise donc l’attention de ces derniers plutôt sur le Liban.

Le Liban a été, de tous les voisins d’Israël, le pays de la région le plus déstabilisé par l’apparition de l’Etat hébreu. Quantité de réfugiés palestiniens s’y sont installés dès la fin des années 1940, en plus des combattants expulsés de Jordanie en 1970. Le fragile équilibre communautaire du pays, inscrit dans sa constitution, n’a pu se maintenir et a donné lieu à la guerre civile de 1975-1990. Dès les années 1970, l’armée israélienne montait des expéditions punitives dans le sud du pays pour y traquer l’OLP. Les Nations Unies y ont créé une force d’interposition, la FINUL, où ont fréquemment servi des contingents français, sans que le Sud-Liban ne soit effectivement démilitarisé. Après une première offensive limitée au sud du Litani en 1978, en 1982 c’est une invasion d’ampleur qui fut ordonnée dans des circonstances controversées par le ministre de la défense israélien de l’époque, l’ex-général Ariel Sharon. Si cette invasion parvient à faire quitter le Liban par l’OLP, il en émergea une autre force combattante résolument opposée à Israël, le « parti de Dieu » ou Hezbollah, recrutant parmi l’ancienne minorité chiite du Sud-Liban et parfaite alliée du régime alaouïte de Damas comme de la république islamique d’Iran. Le Hezbollah a su au fil des années devenir un Etat dans l’Etat, exerçant un contrôle de fait du Liban une fois les milices chrétiennes et sunnites vaincues. Il a pu émerger à l’ombre de l’occupation syrienne de l’Est et du Nord du pays, tandis que les Israéliens demeuraient au sud.

Or, les forces israéliennes ont abandonné le Sud-Liban en 2000 et les forces syriennes en 2005. Le Hezbollah, lui, est resté, jouant à la fois de son identité chiite pour prétendre s’inscrire dans le spectre politique libanais et y imposer ses conditions ; et de son identité « libano-palestinienne » pour prétendre continuer à mener la lutte frontalière contre Israël depuis le Sud-Liban. La tentative israélienne de 2006 de neutraliser militairement le Hezbollah s’est soldé par un échec sanglant, et une victoire tactique qui a affermi l’hubris de ce mouvement et de son sponsor iranien, pourvoyeur en instructeurs, combattants des Gardiens de la révolution, ainsi que des armes balistiques à toujours plus longue portée. C’est à dessin qu’il est ici question de l’hubris du Hezbollah car si l’on parle beaucoup ces jours-ci de l’hubris israélienne, la vérité des faits historiques recommande de leur faire aussi pour leurs adversaires qui ont mis le Liban en coupe réglée et se sont parfaitement affranchis de la résolution onusienne 1701 adoptée dans les suites de la guerre de 2006 pour supposément libérer le Sud-Liban de ce groupe armé qui ne cessait de déclencher des confrontations avec Israël. On rappellera même qu’à l’époque, une ministre française de la défense prétendait que le contingent français de la FINUL pourrait aller jusqu’ abattre des appareils israéliens s’ils étaient pris à partie par eux. Non seulement la FINUL n’a jamais affronté l’aviation israélienne, elle a encore moins nettoyé le Sud-Liban de la présence du Hezbollah et cela fait presque vingt ans…

Le 8 octobre 2023, le Hezbollah s’est joint par ses tirs de roquette à l’offensive lancée par le Hamas depuis Gaza. Bien que les relations entre groupes armés intégristes chiites et sunnites ne soient jamais simples, dans ce cas, il n’y avait clairement aucune divergence de vues. Les autorités israéliennes ont très tôt pris la décision inédite, une de celles qui reflètent le plus clairement que des leçons ont été tirées du 7 octobre, de faire évacuer et mettre à l’abri la population de la bande frontalière avec le Liban, ce qui représente plus de 60000 personnes. Une forte concentration de troupes a été déployées sur la frontière nord, les Israéliens prenant autrement au sérieux, en particulier du fait des expériences amères de 2006 sur les redoutables capacités antichars des combattants Hezbollah, les capacités militaires de la milice chiite. Cette dernière s’est aussi considérablement aguerrie dans des rudes combats menés contre les rebelles syriens depuis 2013…

Néanmoins ce n’est que depuis cet été que le commandement israélien s’est senti prêt à reporter son effort militaire principal de Gaza vers le Liban. D’aucun parmi les commentateurs parlent à nouveau d’hubris… Il faudrait remarquer cependant que le Liban, malgré lui, s’est trouvé entrainé dans le conflit plus fondamental qui se déroule entre Israël et l’Iran, conflit où l’Iran bénéficie aussi d’un soutien venant non pas des pays arabes, mais de puissances extérieures à la région qui servent leurs propres besoins. La Russie, bien entendu, assiste l’Iran depuis longtemps sur le plan nucléaire, et se fournit désormais chez les Iraniens en drones d’attaque pour sa guerre en Ukraine. La Chine, qui prétend être autrement plus neutre, est une consommatrice essentielle du pétrole iranien et se vante d’avoir négocié l’apaisement entre la république islamique et le royaume saoudien, jusqu’à peu son principal ennemi régional. Enfin il convient de rappeler que ce n’est pas uniquement par le truchement du Hezbollah que l’Iran attaque Israël, mais il a aussi mobilisé ses alliés yéménites, les rebelles houthis, qui ont lancé depuis l’automne de l’année dernière une dangereuse campagne d’attaque contre le trafic maritime international en Mer Rouge et Golfe d’Aden. Les Houthis tirent aussi des engins vers Israël malgré la grande distance qui les sépare.

La philosophie de frappe préventive israélienne est certainement l’une des plus difficiles à suivre et à corroborer pour les amis occidentaux de l’Etat hébreu. Ainsi fait-on remonter à la décision israélienne de tuer, à Damas, dans un consulat iranien, un haut cadre des Gardiens de la Révolution iranienne, l’origine de l’escalade irano-israélienne actuelle. En revanche pour les Israéliens il est un but stratégique qu’ils estiment légitime de contrecarrer au mieux les coopérations militaires entre l’Iran, la Syrie et le Hezbollah, et depuis le début de la guerre civile en Syrie l’aviation israélienne a souvent frappé des objectifs en territoire syrien. À ceux qui ont déploré qu’un consulat soit frappé, on rappellera le nom de Louis Delamare, ambassadeur de France au Liban, abattu en 1981 par des commandos à la solde du régime de Damas. La région est donc, hélas, coutumière du viol des immunités diplomatiques…

L’Iran a répliqué, comme il l’avait déjà fait, par des frappes sur les positions américaines en Irak et en Syrie commanditées à ses agents sur place. Plus spectaculairement, en avril, il a lancé pour la première fois une salve de missiles balistiques directement contre Israël dans une envergure qui a largement dépassé celles de Saddam Hussein en 1991. Ce tir a d’ailleurs été largement intercepté par des moyens coalisés de défense aérienne, les Américains, Britanniques et Français ayant mobilisé leurs forces dans la région pour cet effort. On a cru, un moment, avoir échappé au pire et qu’on en resterait là… Par la suite, ce n’est rien moins que le chef politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, pourtant pourchassé sans succès pendant des décennies, qui a été tué en plein Téhéran où il était venu assister aux obsèques du président iranien, fortuitement décédé dans un crash d’hélicoptère.

Pendant l’été, l’effort militaire israélien s’est accru en direction du front nord, et c’est ici aussi que les commentateurs étrangers y voient le désir du gouvernement Netanyahou de poursuivre le combat pour assurer sa survie politique et retarder encore la tenue d’élections et de commissions d’enquête sur les faillites du 7 octobre. On accuse aussi volontiers l’armée israélienne d’être ravie de redorer son blason par un succès additionnel contre une force qui l’a tenue en échec il y a 18 ans. Ce que l’on sait en certitude, c’est que la tactique israélienne a commencé par « décapiter » le commandement du Hezbollah par des frappes aussi massives que spectaculaires, destinées, aussi, à créer des dissensions entre la milice chiite et ses parrains iraniens. Les circonstances dans lesquelles les services israéliens ont pu piéger des milliers de bipeurs et radios portatives utilisées par les cadres du Hezbollah, en tuant mais surtout en blessant grièvement des milliers, seraient explicables par une faille de sécurité qu’on trouverait du côté de l’Iran.

Des bombardements féroces se sont abattus sur les dépôts d’armes et lieux supposés de concentration des combattants du Hezbollah dans tout le Sud-Liban et jusqu’à Beyrouth, ce qui a provoqué un déplacement massif de population dans des conditions aussi dramatiques que lors des offensives israéliennes contre Gaza. Comme à Gaza, d’ailleurs, Israël dit se livrer à une guerre contre les infrastructures souterraines. Le Hezbollah s’en est doté moins pour les trafics et la manœuvre opérationnelle, comme l’a fait le Hamas dans Gaza, et, il semble, plus pour entreposer son formidable stock de roquettes et de missiles lourds fournis par les Iraniens. Il y a même été question que des spécialistes tant iraniens que nord-coréens, bon connaisseur dans l’art d’enterrer des installations stratégiques comme leurs infrastructures nucléaires respectives, ont aidé à l’aménagement de ces tunnels dans les fiefs du Hezbollah au Liban. Ça n’augure d’ailleurs guère des chances réelles de l’aviation israélienne d’en venir à bout par la seule voie du bombardement… Et l’intervention terrestre de se profiler à nouveau.

Puis, fin septembre, le coup israélien ultime : l’élimination en bombardement, dans le sud de Beyrouth, du chef spirituel et politique du Hezbollah depuis sa fondation, Hassan Nasrallah, réputé intouchable. Ni la France ni même les Etats-Unis n’avaient osé s’en prendre au commanditaire du double attentat de 1983 contre les parachutistes français et marines américains de la Force Multinationale au Liban. Cependant, Israël a osé, tuant en même temps encore un autre cadre des Gardiens de la Révolution, venu tenter de convaincre Nasrallah qu’il pouvait se réfugier en Iran malgré le sort de Haniyeh… On a dit que cette fois l’Iran ne pouvait pas ne pas répliquer, et il l’a fait en tirant une salve encore plus conséquente de presque 200 missiles, comprenant, semble-t-il, des modèles hypervéloces que leur usage par les Russes contre des cibles ukrainiennes a rendus tristement célèbres.

Il reste encore difficile de juger les vrais dégâts causés par cette frappe. Les médias iraniens clament que les défenses aériennes israéliennes ont cette fois été débordées et prétendent avoir endommagé gravement des bases aériennes, voire détruit au sol des F-35… Ces mêmes médias iraniens disent que si les Israéliens n’en parlent pas, c’est tout simplement qu’ils cachent l’ampleur des dégâts. Or une fois de plus, les forces occidentales sont intervenues en défense aérienne de l’espace israélien et si les dégâts avaient été aussi importants que proclamés par l’Iran, cela aurait été plus amplement constaté, le territoire israélien n’étant certainement pas une zone aussi catégoriquement fermée à la presse internationale que ne l’est la bande de Gaza… d’où sortent des images et témoignages, d’ailleurs. Depuis, on semble davantage s’inquiéter des formes que prendrait une contre-frappe israélienne.

III. Sensation de vertige

C’est ainsi qu’on aboutit au fatal anniversaire, marqué de diverses façons le 7 octobre. Malgré la dispute très médiatique entre Emmanuel Macron et Benyamin Netanyahou il y a à peine 48 heures, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot est venu sur place, notamment au regard du nombre important de victimes françaises de cette journée. On sait aussi que les divisions internes françaises autour de ce conflit sont désormais exploitées politiquement et sans vergogne, en particulier par la France Insoumise, sans que ses alliés du Nouveau Front Populaire, qui avaient pourtant fait des positions de LFI après le 7 octobre un cas de rupture avant les élections européennes, ne trouvent à y redire. Le conflit moyen-oriental s’est bien entendu invité dans les politiques intérieures de quantité d’autres pays, à commencer par les Etats-Unis. On y critique le louvoiement opéré par l’administration Biden, entre soutien instinctif à un allié de toujours qu’on soupçonne parfois d’influence occulte sur les institutions américaines, et des efforts infructueux pour modérer la réponse militaire israélienne. L’ironie du sort verrait aussi de nombreux électeurs arabes-américains, et certains électeurs de la jeunesse, s’abstenir de voter pour la candidate démocrate, au bénéfice de Donald Trump, certainement pas le meilleur ami de la cause palestinienne.

Des vendanges amères ne finissent plus depuis le 7 octobre 2023. Non seulement des équilibres, certes fragiles car fondés sur la non-résolution du conflit israélo-palestinien, y ont été rompus. Autant que l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, cette attaque et le conflit qui s’ensuit sont devenus des menaces importantes pour la sécurité internationale, et les efforts de médiation qui n’ont pas été minces n’en sont pas venus à bout. On craint qu’à chaque dérapage, une action pire ne succède, à cause de cette supposée « hubris » qui fait que la moindre impression de succès autoriserait à mener des frappes encore plus meurtrières pour finalement soumettre l’adversaire. La loi du Talion semble avoir de beaux jours devant elle…

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