La chronique de Chem Assayag : « Tabou »

 Chem Assayag.

Par Chem Assayag -
Essayiste, Blogueur.

Dans 1984 George Orwell démontrait magistralement comment la maîtrise du langage permettait de mettre en place un contrôle des esprits et au-delà de la société toute entière. Le langage c’est le pouvoir. Dès lors les batailles pour imposer ses mots, son champ lexical, ses images – au sens littéraire – sont primordiales dans la sphère politique. Dans ce contexte certains mots sont dévitalisés, neutralisés, d’autres connotés, et certains complètement dénaturés.

Ainsi ces derniers jours mon attention a été attirée par le mot « tabou », utilisé dans le contexte d’éventuelles hausses d’impôt, ce qui reviendrait justement à le briser. Mais c’est quoi un tabou ? A quoi renvoie ce mot ?

En anthropologie un tabou c’est « [une] Interdiction de caractère sacré qui pèse sur une personne, un animal, une chose » (in Trésor Informatisé de la Langue Française), par extension c’est ce qui ne peut être fait, prononcé, touché par crainte, par respect, par pudeur. Le tabou c’est ce qui est hors champ, qu’on ne doit même pas concevoir. L’invisible et l’imprononçable.

Ainsi une augmentation des impôts – en tout cas pour une partie de la classe politique – serait un tabou, quelque chose qui ne serait même pas de l’ordre du pensable. Dès lors frapper une augmentation des impôts de l’infamie du « tabou » c’est rendre la discussion tout simplement impossible. C’est reléguer ceux qui osent l’évoquer dans le camp des criminels ou des blasphémateurs, auxquels bien évidemment on ne veut pas se mêler.

Il y’a ici un déplacement vertigineux de ce qui serait dicible, discutable, dans le cadre d’un débat politique et l’utilisation du mot « tabou » vise à produire un double effet de sidération et de stigmatisation sur ceux qui oseraient vouloir en parler. Vous n’y pensez pas on ne va pas mettre un tabou sur la table !

Or, au contraire, s’il y a bien un thème qui devrait faire constamment l’objet d’une discussion politique c’est l’impôt. Son niveau, son utilisation, ses payeurs. Ses hausses, ses baisses. Sa répartition. Si une question ne devrait pas être taboue mais bien au contraire souhaitable c’est celle de la contribution de chaque citoyen au budget de la Nation. En faire un tabou ce n’est qu’affirmer un prisme idéologique caricatural et refuser la confrontation légitime des idées. Ici ce qui devrait être tabou ce sont les tabous.

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