Gauche, droite ! Noir, blanc

 Aquarelle de François Guery

Par François Guery - Ancien élève de l’École normale supérieure (promotion 1964 Lettres), professeur émérite de philosophie, ancien doyen de la Faculté de philosophie de l’Université Lyon-III, ancien producteur sur France Culture.

Beaucoup pensent que la logique binaire suffit en politique, alors que ce domaine fondamental des activités humaines mériterait le meilleur et le plus raffiné.


Ou bien, ou bien ? Un propos, une mesure, un personnage public, une pensée même, serait ou bien de gauche, ou bien de droite ?

Pour tester cette idée si répandue et mise en pratique, on peut essayer des allégories, et j’en trouve une dans ma pratique de dessinateur amateur, soit à la plume, soit à l’aquarelle.

La logique binaire dans ce domaine, c’est noir ou blanc, et la blancheur du papier associée à la noirceur de l’encre donne des résultats merveilleux, Dürer, Goya, Picasso en ont usé pour leurs plus célèbres oeuvres.

Je remarque immédiatement que cette logique binaire repose sur une complémentarité, étant donné qu’il faut les deux pour que le troisième terme, le dessin, la gravure souvent, puisse en sortir. Le blanc pur est la page vierge, la tâche, le moment préliminaire, qu’un premier trait ou entaille engage dans un processus de création, une performance. C’est ce côté irrémédiable, fatal qui excite et stimule, au rebours de la peinture à l’huile ou au plus décevant acrylique, qui ne connaît pas le remords, puisque une touche s’efface avec une autre qui la masque. Je dessine sur le papier blanc, avec mon encre, pour le meilleur et pour le pire, ni gomme ni correcteur ne sauveront un ratage.

Est-ce que le « gauche pur » est une valeur ? Lénine l’affirme avec son « tout le pouvoir aux soviets », dans un cadre encore pluriel et parlementaire, à la Douma. Il en résulte le paradoxe logique du « Parti unique », LE Parti, poison éthique dont on n’est pas sorti. Une partie nie les autres, se veut « tout », comme ces hâbleurs de 68 qui écrivent « ce que nous voulons, tout », aveu ingénu d’une soif de domination sans partage qu’on peut excuser chez des enfants.

Il y a un combat du noir et du blanc sur le papier, les ombres envahissent les parties de l’espace qui indiquent le défaut de lumière, et font ressortir celles qui la reçoivent, le noir sculpte de ce fait des formes en trois dimensions avec les deux dimensions du support. Des hachures ou bien, des taches dégagent les formes comme si la lumière crue et violente écrasait toutes les nuances, ce qui arrive en plein soleil, comme les corridas de Picasso, à midi.

Encore ce type de gravure ou de dessin à la plume, avec l’encre de Chine si noire, est-il une schématisation, puisqu’il efface exprès, omet les nuances que la lumière diversifie à l’infini, hors des cas d’aveuglement par excès de soleil. Le dessin à la plume permet aussi de nuancer de gris les transitions, les frontières de la lumière. Le crayon encore plus, on l’appuie plus ou moins, on crayonne avec des degrés, des abstentions suivies d’insistances.

La logique binaire est une relation : plus de ceci EST moins de cela, sans quoi, ce n’est rien, de l’illisible, un passage à la limite qui anéantit tout possible. Peindre en noir, c’est dégager des reflets, des nuances subliminales, c’est donc peindre. Le tout noir réveille du blanc et même des coloris. On ne peut sortir du jeu.

La surenchère en politique a ce caractère de tendre à une limite qui anéantit l’adversaire au prix d’anéantir du même geste le jeu même, coup de pied rageur dans l’échiquier. A gauche toute, mais on sort de la route, on ne joue plus. Or, ce jeu-là est un tiraillement fécond, un réglage, qui doit maintenir et non faire craquer la tension.

La récente séquence en France, qui a finalement abouti à la nomination d’un homme d’État au milieu d’un chahut lassant, orchestré par des hommes d’âge mûr qui ne sont plus des majorettes (cheerleaders, « chefs de claque »), a le sens d’un jeu d’élastique qui remet au centre une excessive tension. Horaces et des curiaces : on fuit un poursuivant menaçant, un tueur, on le sort du jeu, puis on passe au suivant, on revient au calme. On sauve le jeu même.

La logique binaire n’est pas nécessairement celle du jeu politique, qui de fait, déborde sa simplesse forcée, son manichéisme. On dessine à l’encre noire sur papier blanc, mais aussi, on peint à l’aquarelle, on recouvre le blanc, on le remplace par la multiplicité des coloris. Le film en noir et blanc est un film en grisés, le film en couleur donne des valeurs aux gris, les personnalise. On touche aux apparences de la perception, qui chez l’homme, est colorée ou colorante, tandis que bien des animaux voient seulement des degrés de chaleur, des rouges. Pourquoi la vie politique démocratique ne serait-elle pas en couleurs variées, en nuances et contrastes ? Là encore, les couleurs ne sont pas des opposés, mais des complémentaires, qui représentent plus finement les jeux de lumière, on ombre en vert le rouge d’une pomme, en violet le jaune du raisin, etc. Aucune couleur ne nie l’autre, chacune joue dans une harmonie.

Pour ma part, j’admets qu’en dessinant, on a davantage l’expérience de l’harmonie qu’en suivant les nouvelles du monde...

Laissez-nous un commentaire

Plus récente Plus ancienne