Suspens

 Dessin de François Guery.

Par François Guery - Ancien élève de l’École normale supérieure (promotion 1964 Lettres), professeur émérite de philosophie, ancien doyen de la Faculté de philosophie de l’Université Lyon-III, ancien producteur sur France Culture.

Ces Jeux, qui devraient durer toujours ! Une parenthèse inespérée, un suspens des humeurs noires, des controverses, des chicaneries lassantes, et au lieu de nous horripiler, ces gens venus de partout avec leur génie physique nous ont charmés, divertis, passionnés.

On s’habitue vite et on perdra douloureusement l’habitude d’admirer, on appréhende le retour des grincheux quérulents. C’est nous qui avons gagné et pas eux ! À l’assaut, à l’assassin, etc.

Ce que Hobbes a appelé judicieusement « état de guerre » vaut entre nations, mais aussi bien au sein d’une nation, la guerre civile n’étant pas forcément déclarée pour menacer, pour couver. Ce genre d’état a aussi le nom d’humeur, d’ambiance, de tendance, et aussi de crise. On pique une crise, on flippe...on invective.

Le sport constitue-t-il ce suspens des humeurs quérulentes, cette parenthèse qu’on n’attendait plus, et si oui, quelle est sa vertu ?

Dans le sport, on cherche aussi à gagner, à rivaliser, à l’emporter sur les autres. Mais ce désir est d’avance et à la racine, contredit et limité par plus haut, plus exigeant : celui qui n’a pas été meilleur, le perdant donc, admet par principe la sanction de sa performance. Il s’incline, par esprit sportif, et s’abstient donc de pourrir l’ambiance festive qui entoure les jeux de force et d’adresse qu’on aime admirer.

C’est en effet pourrir quelque chose que de cultiver des controverses où on ne veut pas être meilleur, mais bénéficier du statut qui va avec. Le sportif qui l’est dans l’esprit embrasse le vainqueur qui l’a battu, le congratule, affiche une joie qui peut être sincère. S’il a lui-même fait de son mieux, quel problème, sinon de reprendre l’entrainement ?

On a vu de nos yeux défiler et joyeusement saluer des athlètes des diverses nations, souvent en guerre entre elles, ici pourtant, dans le Paris olympique de cette année grise, participant ensemble et sans réserve à des épreuves où les meilleurs se contentent de gagner des médailles, et une fierté. On a vu suspendu, refoulé l’état de guerre, au profit du sport, et les inimitiés clamées envers la puissance hôte, la France, ont cédé la place aux civilités et à la fête.

Il existe donc des remèdes à l’état de guerre, des adjuvants de l’état de paix. On peut se risquer à les passer rapidement en revue !

La médecine : le serment d’hippocrate garantit une équité dans les soins, prodigués à l’ennemi comme à l’ami. Les médecins scélérats des nazis ne le respectaient pas.

Le commerce : en temps de guerre, les échanges de biens peuvent continuer entre belligérants, et les blocus sont là pour en limiter l’exercice.

L’art : contrairement à l’opinion régnante d’un art « au service », engagé et militant, y compris au service de la lutte pour la planète, il y a, ou pas, art, lorsqu’il y a liberté de création. L’art n’est ni rebelle ni soumis, il est une fin en soi.

L’amour surmonte les conflits et les discriminations, les idéologies, les barrières de race, classe, religion. Eros triomphe toujours.

Il y a donc de l’espoir !

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