■ Gravure de Watteau
Il y a, tout au bout d’un étroit sentier qui monte lentement dans la forêt, des planches clouées les unes contre les autres, ordonnées entre elles de manière à structurer ce qui soutiendra les semelles aux pas des comédiens, le théâtre.
Les rideaux de velours bordeaux tombent suspendus – et les larges plis qui les ondulent se préciseront lorsqu’ils seront tirés ou dès lors que des corps les fendront.
Ainsi l’attente, ainsi la fin de ce qui commencera lorsque des comédiens de la troupe en éprouveront de pair aux spectateurs ce qui se donne enfin à voir comme à entendre, comme un souffle d’ailleurs désormais présent à qui veut bien s’en complaire.
Il est autant de poètes lyriques qu’il est de situations réelles, mais peu de ceux-ci sont disposés à en avoir l’air circonspect au point d’en pouvoir mettre en scène par le Verbe la perspective qui nous vient des corps comme des noms.
À Claudel et Racine d’être venus à la situation théâtrale par le verbal, et à Molière de s’y être rendu par la poésie du corps en la situation.
Une façon commune en somme d’articuler à ces trois poètes – la langue française comme le corps; deux façons d’en extraire la richesse de la situation et des actes – l’une comme ce qui se rapporte à l’ailleurs du corps, et l’autre comme à son ici désormais présent.
Claudel et Racine rendent tous liens aux corps à partir d’un Logos, d’une transcendance du domaine de l’Esprit; Molière en vient aux liens des corps par une interprétation d’une situation de la réalité transposée dans le domaine de l’Esprit.
Et c’est de cette attention circonspecte, ou de cette capacité d’intuition interprétative, que la situation que nous voyons présente à nos yeux toujours – ce moment présent – peut déployer ce qui s’en peut induire de sens théâtral.
Si la position de la machine en l’espace est de la cause mathématique de l’esprit de l’homme, la situation de l’homme en son lieu vient de son corps à l’esprit – de la cause poétique en somme. Et c’est tous ces éléments comme tout de ces corps que Molière transpose en son Jeu, puisque c’est bien du théâtre de nous montrer cela – comme dans un miroir vrai au fond d’une toile peinte, les situations qui nous parlent en effet du Réel.
Il n’y s’agit non par d’imiter ce qui ressort de vivre, mais d’interpréter à partir de l’expérience de vivre ce qui parvient à notre joie - Molière n’imite rien du réel, comme la musique n’imite rien du chant des oiseaux, cela comme Racine et Claudel d’ailleurs.
Le théâtre a ses manières de nous montrer les situations qui lient les corps en acte d’articuler, comme la peinture a ses manières de nous montrer les situations qui lient les corps aux couleurs de la matière.
Il nous renvoie l’effet vivant du Réel, il est la somme de tout ce que nous pouvons savoir, puisqu’on y voit des comédiens soumis au présent d’être, de dire comme de faire, devant l’attention d’être, vus comme entendus, des autres; cela ne se peut que par le regard de l’autre.
Un spectacle n’a comme commencement que les yeux de l’autre et n’a, comme fin, que son entendement à être vu : à montrer ce que c’est que d’être vu, et ce que c’est qu’en dire cela.
Les oiseaux font quoui quoui, et l’air frais agite les feuilles des arbres. La foule est devant le théâtre. Lorsqu’enfin, les rideaux subissent une secousse, une main en tire une part et le Docteur traverse et passe devant les regards, il paraît, seul en scène avec trois beaux livres de maintes pages reliées dans le repli du cuir – de la même teinte que celui du masque.
Il articule gestes et sons. Il est convaincu, de quelque chose sans doute. On l’écoute; on le voit lire, parler tête en l’air.
Sa main se glisse par la fente de sa toge, et retire de devant son cœur un miroir ceint dans l’étain et une page pliée sur elle. Apercevant une jolie dame au premier rang, il lui remet le miroir, lui souhaitant bon conseil de santé. La dame au joli chapeau piqué d’une rose en rit, le recevant, et le Docteur dépliant sa feuille en partage sa recette de blanquette de veau.
Le comédien retire son masque. On applaudit.
Il y a, tout au bout d’un étroit sentier qui monte lentement dans la forêt…
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