Islam-Occident : le poids de l’histoire

 Un juif et un musulman jouant aux échecs dans l’Andalousie du XIIIe siècle.

Par Yves Montenay - Centralien, Sciences Po, docteur en démographie politique. Il a eu une double carrière de chef d’entreprise et d’enseignant en grandes écoles. Il est l’auteur d’ouvrages de démographie et de géopolitique et tient le blog de géopolitique yvesmontenay.fr.

En 2004, j’ai écrit le livre Nos voisins musulmans du Maroc à l’Iran, 14 siècles de méfiance réciproque à l’époque où j’enseignais l’histoire du monde arabe à l’ESCP. Il s’est passé beaucoup de choses en 20 ans, mais rien n’a changé concernant le poids de l’Histoire et les incompréhensions qui en découlent.

Parmi ces faits nouveaux, il y a eu la naissance puis la mort (pas totale) de l’État islamique, ses centaines de milliers de victimes, ses millions de déplacés, notamment chez les Arabes chrétiens. Il y a eu aussi la libéralisation relative du régime saoudien : quelques libertés pour les femmes, dont le droit de conduire, l’autorisation des cinémas…

Il y a aussi l’examen critique de l’histoire musulmane qui va très loin en disant que le Coran et la naissance de l’islam sont des récits fabriqués après coup. Il est difficile de savoir si cette thèse est réaliste ou non, d’autant qu’elle est très peu débattue puisque les enseignants de l’histoire de l’islam ont peur de se faire violenter par des islamistes.

Pour le reste, on est plutôt dans la permanence des idées, par exemple ces deux perceptions occidentales :

  • La première est celle de musulmans empêtrés dans leur archaïsme et rattrapés par la modernité : les plus éclairés s’évadent discrètement de la religion, les autres seront tôt ou tard laïcisés comme l’ont été les chrétiens. Les islamistes sont furieux de cette évolution et réagissent violemment.
  • L’autre, pour une certaine gauche, est que « cet autre monde » peut jouer un rôle révolutionnaire pour nous aider à mettre fin à notre exploitation par le MEDEF, les Américains, les GAFAM…

Une autre illustration de poids de l’histoire est le conflit millénaire israélo-palestinien, omniprésent dans les médias et objectivement d’une grande importance économique, politique et sécuritaire pour le monde entier par le terrorisme qu’il suscite (voire, selon certains, qu’il justifie).

Ce conflit hante les peuples de la région, arabes bien sûr, mais aussi turc et iranien. Mais, visiblement, ce ne sont pas leurs dirigeants que cette question dérange, sauf ceux de l’Iran pourtant a priori moins concernés. On l’a vu par exemple lors de la conclusion des accords d’Abraham entre Israël et certains pays arabes dont le Maroc. Cela dérange aussi les gouvernements occidentaux qui voient le conflit entre Israël et le Hamas s’introduire dans leur politique intérieure, alors qu’ils s’inquiètent plutôt du conflit russo-ukrainien.

Le poids de l’histoire a redoublé avec la scolarisation

Comme partout, mais aussi plus qu’ailleurs, l’histoire a un poids considérable dans les mentalités.

Car de même que les soldats français ont tenu quatre ans dans leurs tranchées de 14-18, avec la vie et la mort épouvantable que nous savons, parce que l’école primaire leur avait enseigné l’amour de la France, le devoir de récupérer l’Alsace et la Lorraine, l’exemple de Jeanne d’Arc, de Bayard et de bien d’autres. De même, pour les musulmans, l’histoire, qu’elle soit vraie ou fausse, structure leur personnalité et explique une bonne part de leurs réactions. Et ce facteur devient d’autant plus important que l’éducation primaire, voire secondaire s’est considérablement renforcée chez nos voisins. Nous pensions que cette scolarisation nous rapprocherait, mais elle nous éloigne encore plus.

Cette histoire enseignée à nos voisins musulmans comporte deux parties opposées :

  • L’une, en gros antérieure au milieu du XIXe siècle, décrit les musulmans arabes puis turcs dans un état de supériorité au Moyen Âge, défini comme un âge d’or. Cette histoire passe rapidement sur les huit à neuf siècles d’isolement intellectuel et politique qui ont suivi, qui pourtant explique leur décrochement par rapport à l’Occident.
  • La deuxième, décrit l’irruption des Européens comme une période d’humiliation, de doute et de réactions désordonnées.

Dans ce contexte, toute fenêtre sur l’extérieur est, pour certains de nos voisins, la possibilité d’échapper à des traditions pesantes, et, pour les autres, une agression insupportable de la part d’étrangers, par ailleurs méprisables.

Or, pour une bonne partie des traditionalistes, les étrangers ne sont supérieurs économiquement et militairement que parce que Dieu veut punir les musulmans de n’avoir pas été suffisamment religieux ou de s’être laissé dévoyer. C’est l’argument de base des partis islamistes ou salafistes : revenons à la pureté de l’islam d’origine !

En face, les historiens occidentaux, non musulmans et laïcs, connaissent l’histoire de l’islam mieux que les pays musulmans, souvent aveuglés ou empêtrés dans des interprétations paralysantes.

Nous traversons donc une période délicate des relations que nous avons avec nos voisins musulmans : il faut à la fois diffuser les connaissances historiques en général ignorées ou grossièrement déformées, tout en évitant de choquer frontalement, ce qui les mènerait à l’islamisme. Or ce dernier est un fléau non seulement pour les Occidentaux, mais surtout pour la masse des musulmans.

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