Pragmatisme ou idéologie ?

 À l’issue des élections législatives anticipées, le centre de gravité politique du pays semble s’être déplacé à l’Assemblée.

La grande presse décrit une Assemblée nationale composée de trois grands blocs de députés (NFP, centre/droite, RN) dont aucun ne dispose de la majorité absolue de 289 sièges pour gouverner seul. D’où la question : y aura-t-il une crispation idéologique, ou une majorité se dégagera-t-elle peu à peu ? Il faudra vraisemblablement d’abord passer par une période de crispation.

Par Yves Montenay -
 Centralien, Sciences Po, docteur en démographie politi
que. Il a eu une double carrière de chef d’entreprise et d’enseignant en grandes écoles. Il est l’auteur d’ouvrages de démographie et de géopolitique et tient le blog de géopolitique yvesmontenay.fr.

I. Une présentation discutable des résultats

Pour commencer, il n’y a pas un bloc « Nouveau Front Populaire » (NFP) mais une simple alliance électorale. Il y a, à gauche, des partis politiques très différents les uns des autres et plusieurs d’entre eux ont des relations difficiles avec La France Insoumise (LFI) et son patron, Jean-Luc Mélenchon.

Il n’y a pas non plus un bloc « centre/droite », car sous cette étiquette, on rassemble des plus ou moins macronistes et des opposants au président de la République. Le tout est réparti entre plusieurs partis politiques, dont les LR, Horizons …

Donc si l’on regarde les divers partis, il me semble que les députés de « partis de gouvernement » pourraient former une majorité. En effet, un calcul fondé sur le passé parlementaire des différents groupes politiques donne 332 sièges, soit nettement plus que la majorité absolue. Il reste une marge pour ceux qui bouderaient. Cette approximation très grossière exclut le parti communiste, LFI et le RN.

Il y a toutefois un énorme obstacle : celui de l’abrogation de la loi sur la retraite à 64 ans, que le RN et le NFP ont prévu dans leur programme, et qui pourrait donc, selon moi, revenir sur le tapis à l’Assemblée, indépendamment de la composition du futur gouvernement.

II. Le problème des 64 ans

Ces « 64 ans » ont durci l’opposition au président, et une majorité des députés ont été élus pour s’y opposer. C’est une conséquence de la démagogie lancée avec succès en 1981 par François Mitterrand pour se faire élire, et la recette a été bien retenue !

Cette question touche directement des millions de personnes en France : les personnes âgées (16,7 Millions de retraités) et leurs proches (9,3 Millions d’aidants), finalement plus nombreux au total que les smicards (17,3 Millions en 2023).

Mon opinion est que nous devrions monter l’âge de départ à la retraite à 67 ans comme chez nos voisins européens, plus pragmatiques que nous.

Vous savez que j’ai beaucoup écrit sur ce sujet qui me tient à cœur, car je constate que nos hommes politiques eux-mêmes n’y comprennent pas grand-chose...

Un résumé brutal est que nous manquons de bras et de cerveaux pour l’économie en général et pour les soins des personnes âgées en particulier. Et donc que si l
on cesse de travailler plus tôt, ce manque de bras sera encore pire qu’aujourd’hui.

Il faudra donc faire appel aux proches, dès que la période de vieillesse en bonne santé se terminera. C’est très variable, mais prenons un âge optimiste de 90 ans. Cela signifie que les enfants auront autour de 60 ans, donc travailleront et auront du mal à faire face. On dépassera donc largement les 9,3 millions d’aidants d’aujourd’hui !

Si les enfants sont retraités dans le cas de parents plus âgés ou de retraite précoce, adieu les croisières ou séjours au soleil que l’on espérait faire une fois retraité ! Bref, entre les seniors et leurs proches, on déstabilise une grande partie de la population française. De là à dire, comme quelques cyniques, que l’on profitera de la loi sur le suicide assisté…

Autrement dit, mon opinion est non pas de revenir à 62 ans, voire à 60, mais au contraire de monter à 67 ans comme chez nos voisins européens, plus pragmatiques que nous.

C’est évidemment incompréhensible par des électeurs qui pensent qu’il suffit de taxer quelqu’un (« l’autre » de préférence) pour qu’il n’y ait plus de problème.

Comment faire, sans renier « la volonté populaire » ?

Je pense qu’il ne faut plus parler de 64 ans, ni d’aucun âge limite, ni même « pivot ».

Il faut que chacun prenne sa retraite à l’âge qui lui convient en mettant en place un dispositif incitant très fortement à travailler plus longtemps.

Le minimum pour cela est de proposer une retraite fortement progressive de 60 à 70 ans.

Par exemple par des cotisations éventuellement bonifiées jusqu’à la date de départ augmentant massivement la pension ou par tout autre moyen.

L’essentiel est de ne plus faire des 64 ans une question bloquante. Laissons les parlementaires travailler une fois le premier temps de folie passé.

Pour les autres points de désaccord, et ils sont nombreux à commencer par le SMIC à 1600 €, il faudra attendre la constitution d’un nouveau gouvernement et l’élaboration de son programme.

Là aussi, espérons que le débat fera prendre conscience que ce n’est pas le montant du salaire qui compte, mais ce qu’on peut faire avec. Donc qu’il y ait suffisamment de biens et de services à acheter et pas trop d’inflation. Les 1600 € ne vont pas faire surgir ces biens et services par miracle, au contraire ils vont en diminuer la quantité par la faillite de certaines entreprises.

Revenons maintenant à la composition de l’Assemblée nationale.

III. Que font nos voisins ?

La grande presse nous dit qu’ils ont des assemblées également très divisées, ce qui est exact. En général le système électoral est proportionnel ou en est proche.

Seuls les Anglais ont un système encore plus brutal que le nôtre : un seul tour, et celui qui est arrivé en tête est élu. Cela donne une majorité des sièges à un parti, même s’il n’a qu’une majorité très relative dans les votes.

Dans les autres pays, comme il est très rare qu’un parti ait la majorité absolue des suffrages, les parlements étrangers sont en général obligés de monter des coalitions.

Ce système est-il meilleur que le nôtre ? Il n’y a pas de réponse générale, mais à mon avis, c’est loin d’être évident :
  • le gouvernement allemand est quasiment paralysé par la coalition entre libéraux, socialistes et écologistes, coalition formée contre et sans le parti le plus important, celui des chrétiens-démocrates. La présence des écologistes au gouvernement a amené à abandonner le nucléaire, ce dont les Allemands se mordent les doigts aujourd’hui.
  • Les Belges peinent à trouver un accord entre les partis et sont restés plus de 500 jours sans pouvoir monter un gouvernement… ce qui fait dire aux humoristes qu’on pourrait très bien s’en passer !

IV. En conclusion


Soit le pragmatisme l’emportera, et il y aura un gouvernement soutenu par les partis les plus sérieux ou pragmatiques. À ce pragmatisme s’ajoutera la tentation d’accéder à des postes ministériels : l’Afrique du Sud qui vient d
’élire une chambre sans majorité a fait une coalition donnant lieu à un gouvernement de 76 portefeuilles !

Malheureusement, l’épouvantail du départ à la retraite à 64 ans risque de bloquer un certain temps l’évolution vers le pragmatisme. Pourtant, avec un peu d’imagination, on peut trouver des solutions comme celle signalée ci-dessus

Soit 
l’idéologie l’emportera, et chacun voudra se draper dans ses promesses.

Cela pourra-t-il durer ? Les révolutionnaires le souhaitent, mais je ne pense pas que ce soit le cas de la majorité des Français.

Le plus probable est que nous commencerons par des proclamations idéologiques et qu’il faudra du temps pour revenir au pragmatisme. Il faudra ensuite que le compromis finalement obtenu soit économiquement et socialement sérieux, ce qui est une autre affaire !

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