« Les chroniques de l’Empire » : Talleyrand, diable boiteux ou prince des diplomates ?

 Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (1754-1838)

Par Werner Legrand-Montigny - Chroniqueur du Contemporain.

« Je veux que pendant des siècles, on continue à discuter sur ce que j’ai été, ce que j’ai pensé, ce que j’ai voulu. » Ainsi s’est exprimé Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord. Grand aristocrate, fin diplomate, homme d’argent, non moins débauché et doté d’une rouerie à nulle autre pareille, ce personnage a ses admirateurs tout comme un nombre incalculable d’ennemis. Comment a-t-il pu survivre après tout ce qu’il a fait ? Ces actes de trahisons sont bien connus, on le sait capable du meilleur comme du pire.

Et pourtant, oui, pourtant, il s’en sort toujours. Au-delà des prérogatives qui sont les siennes, les princes qu’il a servis, n’ont-ils pas subodoré qu’il pouvait apporter quelques bienfaits à la France ? Talleyrand n’a-t-il pas dit de lui-même à Louis XVIII, qui s’étonnait de lui avoir connu tant de régimes : « Mon Dieu, Sire, je n’ai vraiment rien fait pour cela, c’est quelque chose d’inexplicable que j’ai en moi et qui porte malheur aux gouvernements qui me négligent. » A Sainte-Hélène, l’Empereur lui reconnaissait pourtant quelques qualités mais aussi ses trahisons. « Mais il est d’une grande maison et cela efface tout : voilà l’avantage de la noblesse. » Laissons à ce grand homme la responsabilité de son propos.

Talleyrand est une personnalité complexe et ce n’est pas en quelques lignes que nous pourrons le déchiffrer ou le connaître. Mais tentons de nous y intéresser quelques instants.

Portrait de Talleyrand par Gérard

Issu d’une famille de haute noblesse, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord voit le jour en février 1754 à Paris, fâcheusement affligé d’un pied bot. Mal probablement héréditaire, connu sous le nom de « syndrome de Marfan », provoquant cette déformation. Toutefois, plusieurs biographies mentionnent « une chute du dessus d’une commode » où l’avait planté sa nourrice.

Vers l’âge de quatre ans, il est exilé en Charente, chez son arrière-grand-mère : Anne-Françoise de Rochechouart, princesse de Chalais. Il semble qu’il reçut là, durant ce court séjour, cette affection que jamais il n’obtint de ses parents. Moqué par d’autres enfants, victime des quolibets puisés dans les jeux de l’inconsciente cruauté enfantine, il se forge un caractère et une impassibilité dont il ne se défera jamais.

De par son infirmité, la carrière militaire lui échappe et sa famille décide qu’il doit donner dans la prêtrise. En 1762, Charles-Maurice entre au collège d’Harcourt de Paris, puis envoyé à Reims, chez son oncle Alexandre qui est évêque. C’est là en 1769, qu’il revêt la soutane. Admis au grand séminaire de Saint-Sulpice, il en fréquente quotidiennement la bibliothèque et conservera toujours la plus vive admiration pour ses maîtres.

En qualité de sous-diacre, il assite en juin 1775 au sacre de Louis XVI. Par décret royale, il est propulsé abbé de l’abbaye de Saint-Denis. Inscrit à la Sorbonne, il décroche une licence de théologie en mars 1778.

Prêtre à vingt-cinq ans et plus tard évêque à Autun en mars 1789, il n’en demeure pas moins assidu avec la gente féminine. Amant pressant et empressé, il cumule bien des maîtresses.

En règle générale, dès la passion éteinte, il ne s’en fait pas des ennemies, et conserve avec certaines d’entre-elles des liens d’amitié.

De ses œuvres avec Adélaïde de Flahaut de la Billarderie, naît Charles de Flahaut. Ce dernier entretient une relation privilégiée avec Talleyrand, ce qui laisse peu doute sur sa filiation.

En avril 1789, il quitte son diocèse avec bonheur et gagne Paris. Il se complait dans une existence libertine, au milieu de ses lectures philosophiques, tout en côtoyant les personnes de la meilleure société et la moins bonne également. Il s’adonne au jeu avec ferveur, où il risque de grosses mises. Un soir, il parvient à emporter « chez Mme de Montesson » plus de 500.000 écus.

Franc-maçon à ses heures, il atteint le grade d’apprenti au sein de la « Loge impériale des francs chevaliers » en 1805. Mais peu présent lors des cérémonies et autres rituels durant des années, il en cesse toute fréquentation en 1808.

Elu aux Etats généraux, il est vu comme traître à son ordre, car il exprime l’idée de céder les biens de l’église à la nation. C’est un scandale, un tollé général ! Il attire et repousse à la fois mais ne laisse personne indifférent. Il continue sur sa lancée, fidèle à lui-même.

Grand prince, il continue de « tenir table ouverte et d’inviter qui il veut ou peut le servir ». Il s’oriente vers les personnes utiles pour ses vues politiques et entretient avec elles, les meilleures relations.

A quelques temps de là, Talleyrand remet au roi sa démission d’évêque, qui est acceptée le 21 janvier 1791. Mais un mois plus tard, le voici qu’il sacre deux évêques constitutionnels, donc élus. Toutefois, il explique dans ses Mémoires, avoir été contraint de s’exécuter, sous peine de mort. La chose est bien plausible car peu avant cet épisode, il fit déposer son testament chez la comtesse de Flahaut, qu’il instituait unique héritière.

Mais enfin libéré de la soutane, il prend un nouvel élan, grâce à Mirabeau, qui l’introduit dans le milieu des affaires et de la politique. Mirabeau et Talleyrand sont bien différents. Le premier est un tribun, « un monstre d’éloquence », tandis que le second est un « politicien supérieur », qui ne possède pas la faconde de Mirabeau. Quant à Talleyrand, il détient et maîtrise bien les qualités du diplomate. « L’un et l’autre, si différents, sentaient le besoin de s’appuyer l’un sur l’autre. »

Mirabeau s’éteint début avril 1791 et Talleyrand s’attache « à mettre ses pas dans les pas de celui qu’il considérait comme son prédécesseur, se faisant élire membre du Directoire du département et président du Comité diplomatique, situation occupée par Mirabeau. »

Sitôt fait, il travaille au rapprochement avec l’Angleterre qui, Talleyrand l’ayant toujours pensé, est le complément naturel de la France. Il s’acharne, dès ses premiers instants de diplomate, à cette alliance durable entre nos deux pays.

Pourtant, la guerre menace et Talleyrand est envoyé en janvier 1792 pour sonder les cœurs anglais et particulièrement celui du roi Georges III. L’accueil est plutôt frais et l’Angleterre n’est pas aussi réceptive que souhaité, mais Charles-Maurice ne se tient pas pour battu.

Il écrit ceci : « Un rapprochement avec l’Angleterre n’est pas une chimère… Deux nations voisines dont l’une fonde sa prospérité sur le commerce, et l’autre sur l’agriculture, sont appelées par la nature éternelle des choses à bien s’entendre, à s’enrichir l’une et par l’autre. »

Rien qu’avec ces propos, nous constatons déjà l’écart qui deviendra béant entre Talleyrand et Napoléon. Les vues de ces deux hommes seront diamétralement opposées sur l’Angleterre, l’un souhaitant la conquérir et la soumettre, l’autre souhaitant s’en faire une alliée de choix.

C’est au cours de son second voyage en Angleterre qu’il obtient en mai 1792 une déclaration de neutralité du cabinet anglais. Mais les événements se précipitent, la journée du 20 juin de la même année, Louis XVI perd tout contrôle. Les émeutes sont partout dans les rues de Paris.

Puis, le 10 août 1792, signe la Chute de la monarchie. La journée est sanglante, des sans-culottes investissent le palais des tuileries, le roi et sa famille sont jetés en prison.

Sentant les choses tourner, Talleyrand sait que sa vie est en danger, il doit quitter le pays, mais pas n’importe comment. Il subodore qu’il a encore un rôle à jouer pour la France. Mais pour l’heure, il doit sauver sa peau. Il met à l’abri quelques-uns de ses amis, Narbonne et Beaumetz, qu’il conduit lui-même à la frontière.

Il sait que ses jours sont comptés s’il ne se hâte pas vers l’exil, vers sa chère Angleterre. Mais il ne veut pas être englobé, perdu avec la foule des émigrés. Il demande à Danton, alors ministre de la Justice mais qui officie plutôt comme chef du Conseil exécutif, un passeport. Talleyrand veut cette pièce, ce sésame, qui lui permettra de passer les frontières sans encombre, sans être inquiété.

Empreint d’une joie mauvaise, Danton s’amuse à effrayer « l’évêque », se complait avec gourmandise à le faire languir. Les premiers jours de septembre 1792 sont marqués par de terribles massacres dans les prisons et des multiples atrocités qui accompagnent cette époque troublée.

Enfin, le précieux papier lui est remis au terme de plusieurs jours d’attente. Talleyrand quitte temporairement la France en septembre 1792, pour quatre années d’exil. A Londres, il réside à Kensington Square, les journées sont longues et sans éclats. Il y a bien quelques amis parmi les exilés qu’il fréquente mais guère plus. La bonne société londonienne le tolère, il parvient à se créer des relations. Mais dès qu’il a le dos tourné, on évoque son goût disproportionné pour l’argent, argent qui finit par lui manquer cruellement d’ailleurs. Pour survivre, il est contraint de vendre sa bibliothèque aux enchères, ce qui est un déchirement. Son goût pour la trahison, le jeu et ses liaisons tumultueuses, autant que sulfureuses, font l’objet des conversations. On se gausse de lui, on le brocarde en imitant sa démarche bancale…

Bien sûr, Talleyrand n’ignore rien de ce que l’on colporte sur lui. Mais impassible, il continue son chemin, sans jamais se soucier de ce que l’on peut bien dire ou penser de lui. C’est probablement ce trait de caractère qui, entre autres, contribue à lui forger cette réputation de traître impassible, de « Diable boiteux ».

Son visage de marbre, où ne transparaît pas la moindre réaction, décontenance. Son esprit, son indépendance irritent, ses mots caustiques, cinglants, sont bien mal vécu par ceux qui les reçoivent.

Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, par Pierre-Paul Prud’hon

Courant janvier 1794, et en vertu d’une « Loi sur les étrangers », le roi Georges III l’expulse. En mars, il quitte donc l’Angleterre par « la petite porte », et gagne les Etats-Unis.

« Mes livres vendus, écrit Talleyrand à Mme de Staël, j’ai en tout 750 livres sterling ; à quoi cela est-il bon ? » Toutefois, c’est avec cette modeste somme qu’il survit jusqu’à son départ pour l’Amérique.

Il s’établit à Philadelphie, où il entreprend de « refaire fortune », via diverses spéculations sur des marchandises, des terrains.

« La vie intense et énergique » du peuple américain lui procure un sentiment mitigé. Il est confronté à un réalisme et une aventure qu’il ne peut qu’accepter. Ce fils des Lumières, d’un naturel placide, admire certes l’esprit d’entreprise mais ce tourbillon continuel d’activité grouillante lui est parfois pénible. Mais il devint un homme d’affaires averti, tout comme un politique avec lequel il allait falloir compter. Ce séjour forcé de dix-huit mois en Amérique lui aiguise les idées et forme encore un peu plus son caractère.

Il veut revenir en France. La Terreur est morte en même temps que Robespierre et une nouvelle ère de jouissance voit le jour. Et c’est aussi grâce à Madame Germaine de Staël, « son habile avocate », que Charles-Maurice revient « en cour ». Elle fait valoir dans les milieux du pouvoir, tous les bénéfices qu’il y aurait à tirer de son protégé. Germanie de Staël travaille bien et quelques semaines plus tard, voilà Talleyrand rayé de la liste des émigrés.

Il passe par Hambourg, où il retrouve de nombreux amis, exilés comme lui. Amsterdam, Bruxelles et enfin Paris, le 20 septembre 1796. Charles-Maurice retrouve ses vieux amis, et reste étroitement surveillé par la police.

C’est sous le Directoire et dans un Paris aux milles plaisirs qu’il débarque. Aux temps sanglants, des terreurs révolutionnaires et de l’échafaud qui vomissait à tous crins les têtes des malheureux suppliciés, succèdent des temps extravagants. Spectacles, bals feux d’artifices, repas somptueux, tout cela va bien avec les « nouveaux riches » qui dilapident sans compter.

Les femmes sont affolantes avec les nouvelles modes, le luxe est à tous les étages, on hurle sa joie d’être vivant et d’être sorti de la révolution. C’est un déséquilibre général, une atmosphère grasse et démentielle, auquel Talleyrand n’est pas sensible, ces mœurs nouvelles finiront par passer. Il n’abandonne toutefois pas son humeur libertine, les plaisirs raffinés, qui se conjuguent également avec la plus grande débauche, comme il se doit !

Sans toit, sans bibliothèque, il accepte l’hospitalité de Mme de Boufflers, dans le village d’Auteuil. A quelques temps de là, le voici élu membre de l’institut, nommé dans la classe des Sciences morales et politiques, section « Economie politique ».

Son bon ange, Germaine de Staël, ne cesse de plaider la cause de son ancien amant. Influente, elle glisse le nom de l’évêque apostat aux Directeurs, en recherche d’un adjoint au ministre des Relations Extérieures, Charles Delacroix, afin de conclure la paix avec l’Angleterre. Les deux hommes se connaissent, Charles-Maurice et lui fréquentent la même femme, l’épouse de Delacroix. A ces jeux d’alcôve, nait Eugène Delacroix, qui dit-on, présente une étonnante ressemblance physique avec Talleyrand.

En revanche, les Directeurs poussent de hauts cris à la candidature que présente Madame de Staël. « Talleyrand ?! Jamais ! C’est la nullité empesée, et la friponnerie incarnée ! »

Mais Germaine ne désarme pas, elle sait qu’elle doit compter avec Barras, l’homme fort du présent régime. « C’est, je vous l’assure, le plus fidèle des amis », lui dit-elle. « Il brûle de se consacrer au service de la République et de la Liberté. Il vous sera tout dévoué, vous pouvez compter sur lui comme sur moi. »

La rencontre entre les deux hommes est glaciale. Ils se jaugent, se reniflent et s’observent avec politesse retenue, obséquieuse. Il se passe pourtant bien quelque chose et les impressions sont malgré tout favorables. La nomination met du temps à parvenir et aurait sans doute été plus longue sans les incessantes manœuvres de Germaine. Mais enfin, la chose est faite au 15 juillet 1797.Talleyrand est à l’hôtel Galliffet où il prend ses quartiers, et obtient le très convoité ministère des Relations extérieures du Directoire.

Il devient « le maître de la diplomatie consulaire », et les grandes décisions gouvernementales ne lui échappent pas.

Début décembre 1797, Talleyrand et Bonaparte se rencontrent et dès lors, leurs existences sont liées. Comme pour une étrange histoire d’amour à rebondissements et qui ne mène à rien, ces deux êtres ne peuvent se passer l’un de l’autre, ils s’aiment et se détestent à la fois.

Les années passent du Consulat à l’Empire, et la collaboration reste productive entre Bonaparte et Charles-Maurice. L’Empereur le comble d’honneurs, de bienfaits et le fait titrer prince de

Bénévent en juin 1806. L’Empereur l’aide également financièrement à l’achat du château de Valençay. Il se marie avec une femme divorcée, Catherine Grand, le 10 septembre 1802 à Paris. Il est dit qu’elle « brillait par sa beauté : silhouette parfaite, cheveux blonds, yeux verts. »

Madame Grand, par Élisabeth Vigée Le Brun

L’Empereur et Talleyrand forment un curieux duo, digne d’un roman. Elle est contée en partie, dans le film de Sacha Guitry de 1948 : « Le Diable boiteux », d’une manière tout fait probable. (Lien de l’extrait du film : « De la m... dans un bas de soie ») L’acteur Emile Drain, qui incarne Bonaparte, est particulièrement convaincant et Sacha Guitry l’est tout autant.

https://www.youtube.com/watch?v=VKM9QL0qa3E


Sacha Guitry et Emile Drain

Les relations et les vues de l’Empereur et du prince de Bénévent coïncident plusieurs années. Charles-Maurice n’abandonne pas ses entrevues et autres rencontres équivoques qu’il se fait rémunérer auprès des consuls, et autres personnages attachés aux ambassades. Notre homme aime l’argent et il a de gros appétits.


Cela dit, les rapports se dégradent, Talleyrand prône un rapprochement avec les anglais et un ménagement des autrichiens. Il en vient même à s’opposer à l’Empereur, lui indiquant qu’il n’approuve plus les conquêtes militaires et la distribution des trônes de l’Europe aux membres de la famille impériale. L’entrevue d’Erfurt en fin d’année 1808 marque un franc tournant dans leurs relations, c’est le temps de la disgrâce. Renvoyé de son ministère, Napoléon le garde toutefois à portée de vue, en le nommant vice-Grand-Électeur de l’Empire, le consultant lors de certaines décisions.

Talleyrand entretient des relations proches avec Metternich et les conseillers d’Alexandre Ier. Il donne des avis orientés, des renseignements sensibles contre de fortes rémunérations. Bien sûr, Napoléon n’ignore rien de ces manœuvres, des tractations secrètes avec les ennemis de l’Empire, mais il a besoin de lui.

A noter qu’il renoue des contacts avec le comte de Provence, Louis XVIII et futur roi de France. Celui-ci n’oubliera pas son rôle dans l’exécution du malheureux duc d’Enghien et ne lui pardonnera jamais cette odieuse trahison, une de plus.

Au printemps 1814, c’est la chute de l’Empire et Louis XVIII monte sur le trône de ses glorieux ancêtres. Le roi envoie le prince de Bénévent, aussi pour se débarrasser de lui, au congrès de

Vienne. Dans ses bagages, il emporte Dorothée de Courlande, duchesse de Dino, l’épouse de son neveu Edmond. Brillante autant que séduisante, intelligente et spirituelle, elle sait évoluer dans la haute aristocratie et rehausse d’un éclat particulier les endroits où elle paraît. Talleyrand ne pourra plus s’en passer, il en fait sa conseillère, sa secrétaire et confidente.

Ne nous y trompons pas. Si certains esprits malavisés entretiennent des rumeurs scabreuses, la relation charnelle n’existe pas. « Madame de Dino connait les habitudes du grand homme, meuble son intérieur, apaise ses nerfs. Et c’est tout… »


La duchesse de Dino, par Catherine-Caroline Thévenin

Charles-Maurice réside au palais Kaunitz où l’on se presse pour l’apercevoir ou obtenir audience. Les fêtes données y sont fastueuses, les arts de la table poussés à leur paroxysme. Mais entre les parties de whist et les valses, que lui interdit son pied bot griffu, Charles-Maurice joue une formidable partition.

Le prince de Bénévent redonne à la France, une place prépondérante dans le concert des nations européennes. La France sort enfin de son isolement où les dernières années de l’Empire l’avait menée. Fin diplomate et fin consulaire, c’est là le grand œuvre de Talleyrand-Périgord.

Le congrès de Vienne, par Jean-Baptiste Isabey

Il convient de souligner que le retour de Bonaparte de l’île d’Elbe faillit tout compromettre. Cependant, même durant les Cent-Jours et les multiples batailles remportées, il reste fidèle, cette fois, au roi Louis XVIII.

A la mort de Louis XVIII, Talleyrand sert son frère, le comte d’Artois et futur Charles X. Mais ce monarque le tient à l’écart. La seconde révolution française de juillet 1830 porte Louis-Philippe Ier vers le trône. Ce dernier l’envoie à Londres comme ambassadeur, pour rechercher et instaurer la paix et la confiance entre nos deux nations. C’est un succès diplomatique !

A 80 ans, couvert d’or et d’honneurs, jouissant d’une renommée internationale, le temps est pourtant venu de se retirer des affaires. Il passe son temps entre Paris et Valençay, accompagné de la duchesse de Dino qui veillera sur lui jusqu’à la fin. Il meurt le 17 mai 1838 dans sa demeure parisienne.

Nous vous conseillons le film « Le Souper », film français réalisé par Édouard Molinaro, sorti en 1992. Ce film, avec les acteurs Claude Brasseur et Claude Rich, relate un dialogue entre un Talleyrand et un Fouché, négociant un régime à la France. C’est un huit clos de grande qualité, servi par des acteurs d’exceptions.

Liens du film, partie une et partie deux :

https://www.youtube.com/watch?v=gGV3jAO_TXc

https://www.youtube.com/watch?v=PawRJcs8FQA

Enfin, arrêtons-nous sur les quelques propos de notre diable d’homme. Il déclare : « Je réfléchis longtemps et je m’arrêtai à l‘idée de servir la France, comme France, dans quelque situation qu’elle fût ; dans toutes il avait quelque chose de bien à faire. »

A ce stade, que penser de cet homme ? Voici un traître envers les hommes mais fidèle à la France. Voilà qui questionne en ces temps troublés…

Ce diable boiteux ou prince des diplomates, a vu l’entêtement de l’Empereur, lui faisant respectueusement remarquer qu’il pouvait entrainer la France vers sa chute. Bonaparte s’est montré, disons, moins urbain avec le temps. Dès lors, vexé par son attitude froide et distante, Talleyrand ne l’a plus servi, recherchant le salut de la France et la préservation de ses intérêts.

Lui qui a traversé en claudiquant plusieurs époques, savons-nous enfin, ce qui se passait réellement dans son esprit ? Bien sûr que c’était un débauché, bien sûr qu’il était âpre au gain, bien sûr qu’il avait du talent, bien sûr qu’il avait une répartie et un esprit d'à-propos à nul autre pareil.

Enfin, bien sûr que c’était un grand seigneur, prêt à des compromis terrifiants.

Mais ceci est une autre histoire.

Références de l’auteur
  • « Napoléon », Dictionnaire historique, de Thierry Lentz, universitaire et historien, directeur de la fondation Napoléon.
  • « Le congrès de Vienne », de Thierry Lentz, universitaire et historien, directeur de la fondation Napoléon.
  • « Dictionnaire Napoléon », de Jean Tulard, universitaire et historien, membre de l’Institut de France.
  • « Talleyrand, le prince immobile », de Emmanuel de Waresquiel, historien, auteur, ingénieur de recherche de l’École Pratique des Hautes Etudes
  • « Napoléon à Sainte-Hélène », de Las Cases, Montholon, Gourgaud, Bertrand.
  • « Talleyrand et la Franc-Maçonnerie », de Jean Boussu, journaliste et historien.
  • « Talleyrand », de Jules Bertaut, écrivain et historien.
  • « Talleyrand », de Louis Madelin, historien, homme politique et membre de l’Académie française.

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