Fééries, tout court

 Paris accueille depuis le 26 juillet les Jeux olympiques 2024.

Par François Guery - Ancien élève de l’École normale supérieure (promotion 1964 Lettres), professeur émérite de philosophie, ancien doyen de la Faculté de philosophie de l’Université Lyon-III, ancien producteur sur France Culture.

« Je suis l’esprit qui toujours nie. »

Méphisto… comment croire Hegel, qui fait d’elle, la négation, l’unique moteur d’une histoire eschatologique, préparant sans cesse la venue du Messie ?

Poser, s’opposer, reposer, déposer ; purs jeux de pouvoir, destructions prétendues fécondes, affirmation de soi toujours conflictuelle, avancée vers une apocalypse : c’est ce qu’on retient du christianisme ? Faut-il le suivre ?

Schopenhauer appelle ce penseur « lourd charlatan », et dénonce la ritournelle des dépassements bornés, des escamotages logiques qui semblent de la prestidigitation. Feuerbach repère l’artifice consistant à aligner sur une échelle temporelle, seulement temporelle, ce qui coexiste, cohabite, le jeu des relations entre contemporains qu’Hegel présente comme escalade vers un futur où les autres sont « dépassés ».

L’accent mis sur le conflit de pouvoir, l’épreuve de force, semble un noyau de cette « dialectique » empruntée en effet, un peu plus tard, par les tenants de la lutte des classes comme « moteur de l’histoire », les fanatiques de la guerre civile qui sans cesse ont imaginé des accouchements au forceps d’une société imaginaire, délivrée des hommes avec leurs faiblesses, et confiée à leur avant-garde meurtrière.

Ici, je me permettrai d’éclairer mon propos par des souvenirs et des anecdotes, radotage sur lequel peut-être on aura l’indulgence de fermer les yeux.

Sorti jadis de mon Ecole, rue d’Ulm, et plongé dans l’enseignement d’abord secondaire, puis supérieur à Besançon, je tombe, en visitant la bibliothèque, sur Benny Lévy, le charismatique dirigeant du groupuscule UJCML,et qui semble très en forme. Il se lance dans une sorte de gesticulation signifiante : « ferme sur les principes » ! clame-t-il, en singeant ses adversaires idéologiques, les trozkistes. campé sur ses jambes et les poings levés ! « Oh pardon » ! continue-t-il, montrant ces adversaires faisant volte-face, reculant devant la force de ses propres arguments ! « Moi j’adore la guerre des idées, la guerre de classe ! » Et en effet il semble dans les conflits post-soixante-huit comme un poisson dans l’eau. Je suis déjà un peu ailleurs, et il le sait. Il enchaîne sur un propos que je retiens : en ce moment, me dit-il, « ils », ses adversaires non maoïstes quoique révolutionnaires, toujours ces trotzkistes d’obédiences variées, sont « fous de politique », autant dire, précise-t-il, « fous de pouvoir ». Je précise que pendant cette pantomime, Benny, mon camarade, a un sourire fendu jusqu’aux oreilles, il est plein d’une gaîté contagieuse, irradiante.

Je passe à Besançon où j’ai été élu en 1970 « assistant » ; la faculté des Lettres et sciences humaines a un département de philosophie où je vais passer sept ans. Parmi les étudiants, il y en a de fantômes, inscrits pour les avantages sociaux, présents le jour de l’examen. Parmi ceux-ci il y en a un mémorable quoique invisible, le jeune Jean Luc Mélenchon. Le portrait-charge dressé par Benny Lévy lui convient bien, fou de pouvoir déjà, il entre à l’OCI et mène une carrière, non d’enseignant mais d’apparatchik, montant les échelons, payé pour apprendre l’agitprop, la lutte de classes, en vue du Pouvoir. A l’époque il a la barbiche de Léon Trotzki, et se sert d’un faux nom, tellement le pouvoir de la bourgeoisie est dangereux, sous Pompidou. Interviewé entretemps, il se raconte : peu doué en général sinon pour haranguer ses camarades, pour subjuguer par le verbe, il a trouvé sa niche écologique parmi les lambertistes, et ne fera que cela jusqu’au jour d’aujourd’hui, passant par la case « secrétaire d’Etat » sous Mitterrand, jusqu’aux présidentielles manquées, mais de peu.

Les groupuscules des années 60 et 70 sont comme des pépins minuscules, soit ils périclitent comme le pépin maoïste, soit ils donnent des arbres géants, qui projettent sur la vie publique une ombre mortifère. Toujours niant, polémiquant, accusant, ils s’agrègent les malheurs et les frustrations du « peuple » en colère, rivalisent avec l’extrême droite dans la rage anti-système, ne reculent devant aucun faux-semblant pour donner de nos régimes politiques modérés et légaux l’image de l’enfer.

Prendre le pouvoir est un but borné, égocentrique, dont l’Union soviétique a montré sur des générations la nuisance atroce, déportations, enfermements, psychiatrisation des opposants, mépris des droits humains dans toute leur extension, sur un mode différent du nazisme, mais aussi pernicieux. Davantage sans doute même, puisqu’on y croit encore.

On devrait aujourd’hui s’émerveiller que dans un contexte pourri par les polémiques forcées, des Jeux olympiques aient pu s’ouvrir sur des prodiges de mise en scène, dans le décor des berges et du courant de la Seine, cet endroit où les amoureux du monde entier rêvent de s’unir. Et ce monde entier a navigué dans les rires et les danses, ses délégations agitant ses drapeaux, oubliant les haines et les négations. Une accalmie, un hâvre préparé sur des années, une mise en valeur de Paris et de la France qui la sort de l’ostracisme et du blocus idéologique fomenté par Poutine et d’autres dictateurs.

Finalement, Kant a eu raison contre Hegel : le monde va en tanguant dans des courants contraires, mais il va, et il va vers la liberté et la paix !

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