■ Maître Jean-Philippe Carpentier.
Loin de l’agitation politique du moment, je vous propose aujourd’hui une réflexion sur le consensus.
Avant d’aborder une esquisse de méthode pour y parvenir, encore, faut-il s’accorder sur la définition du consensus, qui se distingue, naturellement, en s’en rapprochant, de la recherche d’une sorte d’unanimité, mais permet finalement de prendre des décisions, ce qui peut indubitablement être utile pour dégager des majorités.
Le consensus n’existe qu’à l’échelle d’un groupe et ne procède pas d’un accord sur tout, mais sur quelque chose dans lequel cohabitent des différences que le consensus ne cherche pas nécessairement à éliminer.
Le consensus implique, dans sa mise en œuvre, d’être honnête avec le groupe.
Il recherche des solutions susceptibles de répondre aux besoins de tout le monde et nécessite que chacun puisse entendre ce que les autres membres du groupe, qui cherchent à atteindre un consensus, ont à dire.
Si ces notions peuvent sembler triviales, notre actualité nous montre que les deux qualités nécessaires à un consensus réussi, l’honnêteté, au moins intellectuelle, et l’écoute sont rares et difficiles à réunir.
Divers domaines de la science se sont penchés sur les méthodes à utiliser pour parvenir à un consensus.
S’il n’est pas le lieu ici de faire l’exégèse de ces méthodes ou une revue de littérature, j’en ai sélectionné deux particulièrement intéressantes et surtout applicables dans le concret.
Ces deux méthodes portent le nom de « Ronde Delphi » et de méthode des « groupes nominaux ».
La Ronde Delphi est une méthode qui fut appliquée dans le cadre du « projet de Delphes » dont l’objectif était de décrire les tendances de développement à long terme de la science et des technologies, notamment en termes de percées scientifiques, de contrôle des populations, de progrès dans la conquête de l’espace, mais également de prévention des guerres et d’analyse ou de régulation des systèmes d’armements.
Cette méthode est une procédure d’analyse itérative et interactive. Elle se compose de l’administration et de l’exploitation de questionnaires structurés auto-administrés.
Elle apporte ainsi l’éclairage d’experts préalablement sélectionnés sur des zones d’incertitude, en vue d’une aide à la décision. Cette méthode s’apparente à un exercice de communication de groupe, qui permet de rassembler et de synthétiser la connaissance d’un groupe de participants et donc de dégager les positions qui font consensus.
La formulation des problèmes et le choix des participants sont essentiels et les limites de cette méthode sont ainsi posées.
Cette méthode permet essentiellement de faire émerger des consensus dans un groupe qui s’empare des sujets de société.
La seconde méthode, des « Groupes nominaux », visait initialement à traiter des problèmes nécessitant la genèse ou la hiérarchisation d’informations.
Elle consiste à créer un ou plusieurs groupes de six à dix participants, quasi-« experts », c’est-à-dire très concernés par la question à traiter.
Si plusieurs points de vue doivent être représentés, on constitue des groupes homogènes selon le consensus recherché, le nombre de groupe assurant une vision des différents points de vue complémentaires.
Ces deux méthodes visent à faire émerger des consensus, mais elles ont comme biais majeur de confier ces consensus à des experts et donc, dans la gestion d’un pays, de reléguer l’opinion de la majorité à la portion congrue, derrière la technocratie.
Alors, que faire de cette nécessaire recherche de consensus ?
Les choses sont finalement très simples.
Dans un système parlementaire, où les forces sont fragmentées, un consensus est toujours nécessaire pour éviter blocages et motions de censure.
Les minorités, en tant que minoritaires ne peuvent rien décider, quand bien même elles s’autoentretiendraient dans l’illusion d’avoir gagné en oubliant que seul celui qui est majoritaire a gagné.
Elles n’ont, dès lors, pas d’autre choix que de composer, fusse avec leurs adversaires, dans ce contexte, elles devront se mettre au dialogue, au compromis, accepter des concessions et dégager des positions communes après avoir travaillé avec d’autres sur des points de vue au départ, en apparence antagonistes.
Sauront-elles le faire, en s’écoutant avec honnêteté et en recherchant réellement des points de convergence ?
Lorsque deux tiers d’un groupe veut gouverner, il n’a d’autre choix que le consensus et il encourt, par ailleurs, le risque de voir prospérer et convaincre dans la population le tiers exclu qui devient alors sa seule opposition.
C’est ce que rappelait Louis XIV qui incitait son fils à écouter et à faire consensus en lui apprenant que « c’est sagement fait que d’écouter tout le monde, et de ne croire entièrement ceux qui nous approchent, ni sur leurs ennemis, hors le bien qu’ils sont contraints d’y reconnaître, ni sur leurs amis, hors le mal qu’ils tâchent d’y excuser ».
Si le consensus n’émerge pas, la solution viendra peut-être de la recherche, hors du politique, d’une personnalité consensuelle ou du moins symbolique du bien commun.
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