Politique & Médias : La Fabrique de l’Oubli

Emmanuel Macron en déplacement (© Ludovic MARIN).

Par François Petitjean - Consultant et analyste de la communication politique, auteur de Adworld sur la publicité, Toxic sur les médias et Sine capita sur le numérique et l’IA aux éditions du Panthéon.

Les récentes commémorations du 6 juin 1944, suivies de près par les élections européennes, cèderont bientôt la place aux Jeux Olympiques. Ces trois événements successifs en un temps court sont représentatifs du rythme parfois réel, parfois superficiel délivré par les médias, en particulier dans le domaine politique. Les chaînes d’informations utilisent le rythme pour se conformer à une réalité ou, plus souvent, pour accélérer cette réalité. Leur fonction journalistique n’est pas en cause, elles sont dans leur rôle, mais la manière dont sont produites les émissions conduisent souvent à l’oubli succédant à un autre oubli au profit d’un « axe du jour » suivi d’un autre puis d’un autre.

Elections : Le principe de recherche d’audience oblige à un traitement de l’information politique par le gadget ou la polémique. Quand on manque de l’un ou de l’autre, on fait de la répétition (COVID, Ukraine). La forme plutôt que le fond reste une stratégie marketing d’audience efficace, mais d’une durée courte nécessitant de trouver très vite un angle nouveau, un scénario nouveau, ou un événement nouveau pour combler le risque d’oubli, et donc de désintérêt. L’exemple de Gabriel Attal venant interrompre la candidate Renaissance sur le plateau d’une chaîne publique est représentatif. On a l’image et le son, la polémique, les réactions des oppositions, des féministes, mais aussi de la candidate elle-même qui ne parvient plus à s’exprimer dans les interviews sur son programme car cela devient le seul sujet. La faute se répercute comme une punition interminable dans les médias. On peut se rassurer, les résultats des urnes viendront clore jusqu’à l’oubli, toutes les bonnes ou mauvaises questions, toutes les bonnes ou mauvaises réponses de cette campagne beaucoup plus franco-française qu’européenne. Les commentaires sont connus d’avance, les gagnants expliqueront que les refus du peuple se sont exprimés, la majorité dira que le populisme se révèle partout en Europe et que nous ne faisons pas exception, la Gauche expliquera qu’E. Macron est responsable de la montée du RN, avec des variantes de violence allant de LFI à Place Publique en passant par EELV et enfin LR tapera sur le bilan du gouvernement plutôt que de parler de son score. Après 48 heures, la page sera tournée.

Paroles publiques : Le Président est souvent à l’origine des « axes du jour » dans les médias d’information. Le conflit ukrainien est l’occasion de rebonds d’information qui occasionnent les commentaires. D’abord la possibilité d’envoi de troupes, puis récemment la livraison de Mirages pour renforcer la défense aérienne sont des prises de parole présidentielles qui sont à la fois le résultat d’une décision française et la volonté politique de guider l’Europe vers l’action. Les médias s’y engouffrent, les conjectures fusent, et les spécialistes y relient l’envoi par le Kremlin d’un sous-marin nucléaire et de deux navires vers Cuba. Le scénario des missiles de la guerre froide au début des années soixante reprend vie et l’agitation rédactionnelle bat son plein. L’inconvénient majeur est que les informations que l’on peut considérer une par une comme justes, deviennent plus suspectes dès lors que les commentateurs y recherchent des liens pour globaliser une situation. Il est bien clair, tant sur la politique France que sur les tensions internationales, que la globalisation est impossible. Les médias peuvent y perdre en crédibilité malgré un sérieux journalistique qu’on peut leur accorder. En fin de parcours, on oublie ce qui a déclenché la construction du scénario pour simplement entendre des convictions, ou des expertises.

Le terrain futur : Pour se faire une idée, hors conflits (Ukraine, Gaza-Israël etc…), voici une simple liste non exhaustive de ce qui pourrait envahir à court terme les médias avec les récupérations politiques possibles, les risques d’attentat, les provocations est-ouest ou nord-sud, la perte de démocratie et les multiples « possibles » dont les médias pourraient se saisir, pour informer ou séduire, dans cet éternel jeu de chaises musicales entre l’information et l’oubli.

  • Année électorale : États-Unis, Taïwan, Inde, Union européenne, Afrique du Sud, Indonésie, Corée du Sud, Portugal, Sénégal… D’autres scrutins à moindre enjeu électoral : Russie, Bangladesh, Pakistan
  • Probables élections au Royaume-Uni (octobre 2024)
  • France : Jeux Olympiques de Paris 2024, 80e anniversaire du débarquement, inauguration de Notre-Dame, XIXe sommet de la francophonie
  • Décrue des taux directeurs des banques centrales
  • Année de risque géopolitique (éloignement États-Unis/Chine, élargissement des BRICS)
  • Année de football avec les coupes continentales et une possible finale pour les Bleus, le 14 juillet, à Berlin. La Coupe d’Asie représentera une part plus importante de la population mondiale grâce à la présence de l’Inde et de la Chine. La présence de l’équipe de Palestine sera également scrutée
  • Présidence brésilienne du G20
  • Présidence italienne du G7
  • Présidence du conseil de l’UE (Belgique puis Hongrie)
  • La Chine devient le 1er exportateur mondial de voitures devant le Japon et l’Allemagne
  • Ouverture de l’EPR de Flamanville
  • Mission habitée de la NASA (Reid Wiseman, Victor Glover, Christina Hammock Koch, Jeremy Hansen) vers la Lune sans alunissage (novembre)
  • Entrée en vigueur du chargeur universel dans l’Union européenne
  • Visite d’État d’Abdelmadjid Tebboune (Algérie) en France (reportée à ce stade)
  • 1er lancement d’Ariane 6 (mi-juin)
  • Publication des travaux du Sénat concernant la réforme des institutions
  • Gouvernement : présentation d’un projet de loi grand âge
  • Débats sur la loi « fin de vie »
Etc…

Les résultats des élections européennes en France proposent une hiérarchie politique issue d’un vote décomplexé, sans perception de conséquences directes pour les citoyens. Une sorte de BAC blanc de présidentielle ou de référendum « anti ».

Mais pour le public, ce sera vite oublié.

Alors vivent les Jeux Olympiques !

Note de l’auteur

Cet article ne représente pas une critique sur le fond des personnes publiques, mais une analyse des choses perçues, des risques liés aux communications du monde politique et des enjeux de celles-ci. Les noms cités ne le sont que pour comprendre leur impact au travers de décisions, de déclarations ou de comportements médiatisés.

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