À l’heure des États généraux, repenser le bien commun

 Inauguration des États généraux, 5 mai 1789, huile sur toile, Versailles, Musée national du château et des Trianons

Par Maître Jean-Philippe Carpentier - Avocat au barreau de Paris, consul honoraire du Luxembourg avec juridiction sur la Normandie et Président du Corps consulaire de Normandie.

La France s’est réveillée lundi avec en tête deux événements majeurs, le résultat des élections européennes et la dissolution de son Assemblée nationale annoncée par le Président Macron.

Le choix a été fait de redonner la voix au peuple.

Historiquement, depuis leur création en 1302 par Philippe le Bel, les périodes de troubles se réglaient par la convocation des états généraux, visant à apporter les doléances de la nation, avec le risque de voir se répandre, du fait même de ces doléances, de nouvelles périodes de troubles.

Les états généraux avaient au moins, une vertu, celle de permettre à ceux qui s’en étaient éloignés d’avoir une vision directe et brute des aspirations des populations, où qu’elles habitent et quelles que soient leurs occupations.

Cette prise avec le réel était la condition nécessaire pour réorienter les politiques et opérer les réformes.

Les états généraux participaient déjà de la « Real Politik ».

Mon propos n’est naturellement pas de prendre parti, mais de rappeler, fondés sur l’analyse de notre passé, quelques principes simples, et de proposer un retour à une sémantique antérieure.

La première leçon que tiraient nos prédécesseurs des états généraux était celle d’une cartographie de l’état du pays, de ses besoins et de ses aspirations.

Cette analyse se faisait sans a priori, sans filtre dirait-on aujourd’hui, avec comme objectif d’apporter des solutions aux crises rencontrées et génératrices de la convocation.

La seconde leçon, peut-être plus importante, est que les états généraux engendraient des réactions en adéquation avec l’écoute des revendications.

La révolution, d’essence bourgeoise, procède, notamment, d’une convocation surement trop tardive des états généraux et peut-être de la volonté d’émancipation d’une technocratie qui se trouvera, elle aussi, par la suite confrontée à cette distance et à la non prise en compte des aspirations populaires, celle d’un peuple dont elle s’était elle-même éloigné, l’histoire, n’étant finalement qu’un éternel recommencement.

C’est là qu’intervient le retour à une sémantique antérieure, pourtant adaptée à la situation actuelle, celle de bien commun.

Cette expression revient et fleurissent des « nuits du bien commun », j’ai participé récemment à l’un d’elles, soirées caritatives visant à lever des fonds pour des associations œuvrant dans une dynamique d’engagement collectif philanthropique.

Cependant, progressivement, l’expression intérêt général s’était substituée à celle, quasi synonyme, de bien commun.

L’intérêt général a dominé dans la sémantique après 2004 et la publication par la commission Européenne d’un « Livre vert sur les services d’intérêt général », c’est-à-dire les services qui « touchent à la question centrale du rôle joué par les autorités publiques dans une économie de marché, à savoir, d’une part, veiller au bon fonctionnement du marché et au respect des règles du jeu par tous les acteurs, et d’autre part, garantir l’intérêt général, notamment la satisfaction des besoins essentiels des citoyens et la préservation des biens publics lorsque le marché n’y parvient pas ».

Il est cependant difficile de se contenter de cette vision réductrice et cantonnée à l’économie qui constituerait le principal fondement de notre société française et européenne.

La conception moderne du bien commun, celle que je porte, impose deux renversements épistémologiques.

Le premier vise à remettre l’homme au centre de toutes les considérations et le second consiste à repenser l’homme libre dans la société.

Hugo Grotius disait « La liberté, c'est l'empire que nous avons sur nous-mêmes », mais cette liberté a un corolaire, la responsabilité.

Le bien commun, à la différence de l’intérêt général, ne peut se concevoir que comme la conjonction d’actions individuelles et collectives allant dans le sens de tous et qui permettent justement d’unir et de souder une société.

Éducation, formation et culture doivent se mettre au service du bien commun dont l’objectif est de garantir les conditions d’une vie digne dans une société apaisée.

Il ne s’agit pas ici de la poursuite d’une charité naïve, mais d’une notion, conçue comme un véritable élan de liberté individuelle et collective dirigé vers un objectif commun, centré sur nos valeurs civilisationnelles communes françaises et européennes.

Le principe semble simple, mais la question reste ouverte sur les meilleures manières de le porter et de le faire prospérer pour réparer nos sociétés toujours plus divisées.

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