■ Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon (1675-1755).
Rouvroy duc de Saint Simon situe là-bas, entre 1716 et 1718, cette aventure fécale.
« Par un événement extrêmement rare, un employé aux mines de diamants du Grand-Mogol trouva le moyen de s’en fourrer un dans le fondement, d’une grosseur prodigieuse, et, ce qui est le plus merveilleux, de gagner le bord de la mer, et de s’embarquer sans la précaution qu’on ne manque jamais d’employer à l’égard de presque tous les passagers, dont le nom ou l’emploi ne les en garantit pas, qui est de les purger et de leur donner un lavement pour leur faire rendre ce qu’ils auraient pu avaler, ou se cacher dans le fondement.
Il fit apparemment si bien qu’on ne le soupçonna pas d’avoir approché des mines ni d’aucun commerce de pierreries. Pour comble de fortune, il arriva en Europe avec son diamant. Il le fit voir à plusieurs princes, dont il passait les forces, et le porta enfin en Angleterre, où le roi l’admira sans pouvoir se résoudre à l’acheter. On en fit un modèle de cristal en Angleterre ; d’où on adressa l’homme, le diamant et le modèle parfaitement semblable à Law, qui le proposa au régent pour le roi.
[…] Ce diamant fut appelé le Régent. Il est de la grosseur d’une prune de la reine Claude, d’une forme presque ronde, d’une épaisseur qui répond à son volume, parfaitement blanc, exempt de toute tache, nuage et paillette, d’une eau admirable, et pèse plus de cinq cents grains. Je m’applaudis beaucoup d’avoir résolu le régent à une emplette si illustre ».
Cette histoire, écrite par le mémorialiste, paraît anecdotique et pourtant, elle ne l’est pas.
Elle a des relents d’une réelle actualité.
Elle nous ramène directement aux trafics et à la délinquance qui gangrènent notre société occidentale, mais, également à une forme de complaisance du corrompu.
Cette histoire de diamant, c’est celle très actuelle de la drogue, avec ses problématiques d’acheminement, ses producteurs, et ceux qui en tirent un profit nauséabond.
Cette histoire, c’est aussi celle d’une Cour chez qui la devise « honni soit qui mal y pense » avait un sens et qui préféra une copie en cristal à un original.
Cette histoire, c’est celle d’un banquier, Law, qui ruina la France.
Cette histoire, c’est celle d’une élite qui préfèrera le diamant admirable pour se faire admirer.
A bien y regarder, cette histoire est celle d’une grande partie de notre monde et, dans une certaine mesure, elle fait écho à la décivilisation.
Nous voici brutalement ramenés aux opérations coup de poing contre la drogue menées dans notre pays.
Nous voici ramenés, également, à la mise en examen d’un maire trafiquant de drogue que l’alibi de la fonction rendait honorable.
La réalité est que nous sommes en guerre contre la drogue et contre ses conséquences directes sur la vie quotidienne.
La guerre est à l’intérieur, comme à l’extérieur des frontières.
Le même Rouvroy était témoin de son temps et des guerres qui y sévissaient comme dans notre monde contemporain.
J’avais rappelé que les solutions diplomatiques aux conflits émergeaient le plus souvent à l’épuisement de belligérants.
C’est un peu ce que développe Monsieur de Rouvroy, à sa manière et dans ses mots dont la vivacité permet d’approcher les délices de la langue française.
Le duc rapporte sur la guerre « Cependant tout périssait peu à peu, ou plutôt à vue d’œil : le Royaume entièrement épuisé, les troupes point payées et rebutées d’être toujours mal conduites, par conséquent toujours malheureuses ; les finances sans ressource ; nulle dans la capacité des généraux ni des ministres ; aucun choix que par goût et par intrigue ; rien de puni, rien d’examiné, ni de pesé ; impuissance égale de soutenir la guerre et de parvenir à la paix ; tout en silence, en souffrance ; qui que ce soit qui osât porter la main à cette arche chancelante et prête à tomber. »
Là aussi, la description est d’une modernité saisissante.
Pour faire une guerre, et surtout la gagner, il faut des hommes motivés, payés. Il faut un commandement aguerri. Bref, il faut un chef, qui sait décider, loin de la corruption et qui dispose de moyens financiers importants.
Mais surtout, il faut éviter un piège, cette « impuissance égale de soutenir la guerre et de parvenir à la paix ».
Dans nos conflits contemporains qui s’enlisent, il est sûrement important de nous poser la question de cette impuissance et de résoudre cette quadrature du cercle pour sortir du conflit.
Restons guidés par le même duc, frappé du sceau du bon sens, qui rappelait qu’« une idée sans exécution est un songe ».
Alors la question qui se pose est de savoir comment y parvenir.
Là encore, l’analyse et la connaissance, d’une manière générale, sont au tréfonds de toutes les solutions.
Mais surtout, il faut surement remettre l’humain au centre de la réflexion et pour terminer ce propos, je vous livre celle-ci :
« Connaissons donc tant que nous pourrons la valeur des gens et le prix des choses ; la grande étude est de ne s’y pas méprendre au milieu d’un monde la plupart si soigneusement masqué ; et comprenons que la connaissance est toujours bonne, mais que le bien ou le mal consistent dans l’usage que l’on en fait ».
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