Je suis démographe, et jusqu’à il y a environ deux ans, mon discours inverse était mal reçu : « le nombre d’enfants recule partout, et nous allons vers des problèmes aigus de ce fait ». Depuis, cette ignorance s’est atténuée, notamment quand le président chinois a constaté que la population de son pays diminuait. Les articles décrivant l’effondrement du nombre d’enfants notamment en Asie orientale ont commencé à gagner la grande presse.
I. La confusion entre le nombre et son évolution : le cas de la Chine
La Chine a 1,4 milliards d’habitants. C’est beaucoup plus que par exemple l’Europe ou les États-Unis, d’où la réaction fréquente : quelques centaines de millions d’habitants de moins ne feraient de mal à personne.
Mais la réalité n’est pas simple.
En Chine, depuis quelques générations, « la politique de l’enfant unique » a été très durement imposée, avec notamment des sanctions envers les femmes soupçonnées d’être enceintes pour une deuxième fois. Heureusement pour les Chinois, cette politique n’a pas été complètement respectée du fait de la corruption, puisque son résultat fut environ 1,3 et non 1 enfant par femme.
Il y a donc longtemps que le nombre de jeunes chinois diminue. Par contre les générations précédentes, en gros les plus 35 ans, sont toujours plus nombreuses que celles qu’elles remplacent. Notamment, elles meurent moins, tout simplement du fait que la nourriture est maintenant en quantité suffisante, sans parler des progrès de la médecine. Donc, jusqu’au début des années 2020 l’augmentation du nombre de quadragénaires et de seniors cachait la diminution du nombre de jeunes.
Mais bientôt les quadragénaires vont se faire à leur tour plus rares, et le nombre réduit de parents fera diminuer encore plus le nombre des enfants si le ratio reste à 1,3. On comprend que le président Xi organise de grandes foires au mariage. La pression politique va multiplier les couples, mais ce n’est pas pour autant que la fécondité augmentera : les jeunes femmes interviewées parlent d’avoir zéro ou un enfant !
II. De même ailleurs dans le monde
Et si l’exemple de la Chine est le plus frappant, n’oublions pas que le Japon, Taiwan et la Corée sont dans des cas encore pires, avec moins d’un enfant par femme en Corée du Sud. N’oublions pas non plus que l’Europe en est à 1,5, les États-Unis à 1,8, et l’Amérique latine, naguère considérée à démographie galopante à 1,8.
On pense en général que les pays musulmans sont particulièrement féconds. C’est vrai dans le cas des moins développés (Niger, Afghanistan…). Ce n’est plus vrai ailleurs (1,9 en Turquie, 1,7 en Iran, 2 en Tunisie, 2,1 en Indonésie)
Reste l’Inde, mais les derniers chiffres montrent que l’on y franchit en baisse le seuil de deux enfants par femme. Reste également l’Afrique subsaharienne où la croissance de population est encore rapide, mais où la fécondité baisse nettement, même si elle reste très au-dessus du reste du monde : à 4 enfants par femme, il y a encore presque un doublement à chaque génération, mais on vient d’un triplement et davantage.
III. Quelles conséquences ?
Quand le nombre de jeunes commence à diminuer, peu de gens s’en aperçoivent, sauf dans l’éducation nationale qui voit se desserrer un peu les contraintes de moyens, et en général reste discrète pour éviter les fermetures de classe. Il peut donc se passer ainsi une vingtaine d’années, puis la population active commencera à diminuer.
Ce n’est que plus tard, lorsque le fait qu’il y ait moins de parents fit qu’il y ait encore moins d’enfants, que les statistiques nationales sur la population commencèrent à être bouleversées et que le grand public fut mis face à la crise démographique.
Parallèlement arrivent les problèmes de retraite, et le système politique fait indirectement pression sur les jeunes pour maintenir le niveau de vie des retraités, alors que le nombre de cotisants diminue. Arrivent aussi les problèmes d’immigration : les employeurs font pression sur les politiques pour trouver les bras et les cerveaux qui leur manquent, mais ces mêmes politiques sont soumis à la pression de la partie traditionaliste des électeurs qui craignent cette immigration (il n’est pas dans l’objet de cet article de dire si cette crainte est justifiée ou non)
Pour montrer l’ampleur du problème, prenons une population théorique où personne ne mourait avant 90 ans, tout le monde décédant ensemble cette année-là. Autrement dit toutes les promotions sont égales : les 1 – 25 ans pèsent 25, les 25 – 65 ans pèsent 40 et les 65 – 90 ans pèsent 25. Grossièrement 40 personnes, les adultes, doivent nourrir 25 enfants et 25 seniors. Si la fécondité « normale » de 2,1 enfants par femme est divisée par deux, comme c’est le cas en Corée, on se retrouve 25 ans plus tard avec toujours 40 adultes, mais qui ne doivent nourrir que 12,5 enfants et toujours 25 seniors. Donc tout va bien.
Vingt-cinq ans plus tard, alors que les femmes ont terminé leur vie féconde, il n’y a plus que 6 enfants (deux fois moins de parents n’ayant eu qu’un enfant par femme) et il aurait fallu que chaque femme ait quatre enfants pour revenir à la situation de départ… il n’y a plus que 37,5 adultes (faites le calcul vous-même pour ne pas alourdir), et toujours 25 seniors.
15 ans plus tard il n’y a pratiquement plus d’enfants, moins de 20 adultes… et toujours 25 seniors. Inutile de vous dire ce qui va se passer, ou, si vous manquez d’imagination, en voici une description littéraire.
On voit que j’oppose la faible fécondité, qui est le fait important pour le futur, et la croissance actuelle de la population qui est le reflet d’une situation passée et qui ne va pas durer. Une partie des responsables en reste cependant imprégnée, pour sauver la planète ou alléger la charge des femmes comme dit plus haut. Il en résulte des erreurs de prévisions dramatiques.
Par ailleurs, les politiques natalistes qui devraient théoriquement être mises en œuvre pour limiter les dégâts de cette diminution du nombre de jeunes sont mal vues idéologiquement. La presse « progressiste » s’indigne du rôle de « ventre » que les « traditionalistes » veulent faire jouer aux femmes. Les adjectifs « réactionnaires » et « nauséabonds » se multiplient, obscurcissant encore les enjeux.
Pourtant, autour de moi, bien des jeunes couples démontrent qu’il ne s’agit pas d’une « mise des femmes aux travaux forcés », chacun s’arrangeant au mieux pour répartir les tâches… et les plaisirs.
Enfin demandons à ceux qui sont effrayés par la surpopulation ce qu’ils feraient s’ils avaient un pouvoir absolu : interdire les enfants ? Exécuter une personne sur 10 prise au hasard ? Euthanasier les vieux ?
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