■ Louis XV visite le tsar Pierre le Grand, 10 mai 1717 (Château de Versailles)
Tout est parti d’un ananas, ce fruit si couru au XVIIIe siècle, qui m’a fait penser à l’importance de la géopolitique internationale.
L’actualité s’égrène aujourd’hui autour de deux sujets, tout aussi fondamentaux l’un que l’autre, les agriculteurs et la guerre, notamment, en Ukraine.
Sur ce dernier point, les relations entre la France et la Russie sont très souvent évoquées.
Le Contemporain s’en est fait l’écho, dans un article de Paul Vallet qui a rappelé l’importance tant de l’histoire que du narratif historique autour duquel elle se construit.
Le tumulte de ces relations n’est pas nouveau.
Il s’inscrit dans une histoire ancienne puisque, en 1051, une reine de France, la nouvelle femme du roi Henri Ier, Anne de Kiev, venait de la ville et principauté éponymes.
Le XVIIIe siècle n’a pas été exempt de relations à géométrie variable entre la France et la Russie, impliquant notamment l’Ukraine et en particulier la Crimée.
La Russie, au début du XVIIIe siècle, était dirigée par un jeune tsar francophile, Pierre Le Grand.
C’est ce dernier qui, en 1717, posera, par sa venue à Paris, les premières pierres d’une diplomatie franco-russe. Cette venue a même offert à la Russie, pour la première fois de son histoire, une véritable place sur la scène internationale.
Pourtant, à l’époque, l’arrivée du tsar à Paris a été mal perçue, « si bizarre et qui est en effet si fort contre le bon sens », estimait le comte d’Avaux, alors ambassadeur de France en Suède. Il faut se souvenir que la diplomatie était alors l’affaire des diplomates et que les souverains étaient perçus comme des personnages qui ne sortaient de leur Royaume que pour faire la guerre ou après avoir été détrônés.
La réalité n’était pas là. Tout se jouait sur l’échiquier géopolitique international. Le trône de Pologne, un Royaume électif, était vacant et les intérêts russes et français s’entrechoquaient. Louis XIV avait poussé la candidature au trône polonais de son cousin, le prince de Conti. Le tsar valorisait la candidature de l’électeur de Saxe, tant il était anxieux d’une alliance entre les Français, les Polonais et les Ottomans.
L’actualité percute ici l’histoire puisque cette alliance est aujourd’hui une réalité, la France, la Pologne et la Turquie étant tous trois membres l’OTAN.
Les relations entre la France et la Russie furent également marquées, par la suite, du sceau de l’histoire des familles souveraines de ces deux pays et, en particulier, par les relations entre Louis XVI et Catherine II de Russie.
Si la France de Louis XV s’était caractérisée par une sorte de russophobie, les relations allaient changer.
Catherine II devait surmonter sa méfiance à l’égard de la France et accepter la main tendue de Louis XVI pour aller à la rencontre de ce dernier.
Louis XVI avait choisi de refuser « le système Choiseul » qui avait pour objectif de repousser la Russie aux marches de l’Europe et de l’éloigner de la diplomatie européenne. Il avait compris l’impact de l’accroissement de l’empire de Russie.
Dans un renversement d’alliance, la France supprima ses appuis financiers à la Suède et aux confédérés polonais et n’exerça aucune influence lors de l’annexion de la Crimée par la Russie en 1783.
L’histoire se répète, à nouveau, de manière différente mais avec les mêmes intervenants, dans notre siècle.
L’objet de cette politique extérieure de la France était double.
D’une part, elle voulait empêcher les velléités guerrières de l’empire Ottoman, ce qu’elle a réussi par la signature du traité de Koutchouk -Kaïnardji en 1774.
D’autre part, elle voulait s’assurer de l’appui de la Russie dans le soutien des insurgés américains et de leur arrivée au pouvoir aux États-Unis. Sur ce point, la France a eu gain de cause et si l’indépendance des États-Unis existe aujourd’hui, même si cela est iconoclaste de le dire, c’est en partie grâce à la Russie.
Comme l’économique n’est jamais loin du diplomatique cette amitié franco-russe s’est trouvée confortée par la conclusion d’un traité commercial entre la France et la Russie en 1787 « pour assurer l’équilibre européen ».
La France exportait des produits agricoles, des vins et des eaux-de-vie, et importait de Russie, notamment, des matières premières. Le monde n’a pas tant changé que cela.
Le dialogue engagé et qui commençait à devenir fructueux, avec la Russie, fut interrompu le 14 juillet 1789 par Catherine II qui ne souhaitait pas composer avec les Jacobins, nom qu’elle donnait à tous les révolutionnaires.
Nous clorons là ces quelques rappels historiques, tout en nous souvenant que l’histoire n’est, finalement, jamais loin des réalités contemporaines qu’elle permet souvent d’éclairer.
Ces rappels historiques nous montrent que la géopolitique est parfois à géométrie variable.
Ils nous rappellent également les rôles respectifs de la France, de la Russie, de la Pologne et de la Turquie dans des enjeux géopolitiques de stabilité dans lesquelles l’Ukraine, qui n’était pas à l’époque un pays indépendant et autonome, a joué le rôle de territoire tampon.
Cet enjeu d’« équilibre européen », de 1787, est toujours au cœur du débat et il est tous les jours plus actuel.
Les échanges entre la France et la Russie au XVIIIe siècle furent tumultueux et surtout le reflet de la montée en puissance du pays des tsars.
Il n’en demeure pas moins que l’économie a fini par prendre le dessus et que les accords commerciaux devenaient essentiels.
La Russie des tsars voyait à l’époque, initialement, en la France un partenaire fiable et stable. Elle voyait aussi en la France une grande puissance mondiale avec laquelle elle avait intérêt à s’allier pour voir émerger une nouvelle puissance géopolitique, les États-Unis.
Il faut sûrement, dans notre analyse du monde contemporain et des conflits actuels nous souvenir de l’histoire car les enjeux du XVIIIe siècle demeurent, somme toute, très présents.
La guerre est toujours celle de l’acquisition d’un territoire. Elle est aussi celle de la domination économique. Elle est, enfin, celle de la dissuasion et de l’équilibre géopolitique. Sachons-nous en souvenir pour gérer au mieux, en Français et en Européens la situation actuelle.
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