Elle nous révèle beaucoup de choses de notre civilisation et nous rappelle à la réalité et à nos besoins fondamentaux, dont l’un, essentiel, est celui de nous alimenter.
Nous avons connu en quelques décennies la tertiarisation de notre société avec la disparition progressive, en Europe, de l’industrie, dans une nouvelle répartition où plus rien ne se fait à l’échelle d’un pays, mais à celui de la planète.
Ce mécanisme a induit de nombreux changements dans nos sociétés, la disparition des industries s’accompagnant de la disparition des ouvriers, et avec elle, de changements politiques, certains partis délaissant le social au profit d’un wokisme boboïsé, à tel point que leur électorat initial peine parfois à s’y reconnaître.
Cette tertiarisation nous a paré des habits d’une vertu écologique mal placée, puisque, en réalité, nous n’avons fait que déplacer cette pollution que nous ne voulions plus voir.
En procédant de la sorte, l’industrie européenne résiduelle s’est trouvée fragilisée par la concurrence des produits industriels en provenance des pays ateliers que nous avions contribué à créer.
En effet, ne nous y trompons pas, nous utilisons des produits industriels en permanence et le marketing ou la communication que nous savons faire ne se substitue pas à ces produits. La parole d’une publicité sur une voiture n’est pas performative et seule la voiture nous véhicule.
Ce sont ces principes simples que nous rappellent les agriculteurs.
Du reste, l’impératif écologique s’impose à tous et nous y gagnerions à nous appuyer sur les connaissances fines des agriculteurs, plus proches de la nature et qui pourraient nous permettre de nous diriger vers la fin de l’écologie punitive et vers une écologie raisonnée et de progrès.
Néanmoins supprimer des productions, par exemple, celle des endives, pour des raisons économiques et voir s’accentuer notre tertiarisation par une disparition progressive de l’agriculture européenne serait une folie.
L’agriculture nous apprend une nouvelle fois les limites de la parole performative. La communication, les engagements, si alléchants soient-ils ne suffisent pas à résoudre la crise.
Les agriculteurs sont confrontés à ce que vivent quasi toutes les entreprises, un environnement juridique, fiscal, social et environnemental complexe, composé de règles nationales et Européennes et souvent affecté par le fait que la convergence des pays membres de l’Union Européenne, en ces matières, n’est pas totalement achevée.
Ces règles percutent de plein fouet les agriculteurs dont les produits entrent en concurrence directe avec d’autres produits en provenance de pays dont l’environnement fiscal, social et environnemental est très loin de celui des Français et des Européens.
Protéger l’agriculture est un impératif, certes, mais il faut protéger une agriculture qui continue de produire et de nous nourrir, car sanctuariser l’agriculture comme une sorte d’activité résiduelle que l’on pratiquait en Europe serait aussi vain que dangereux.
La sécurité et l’indépendance alimentaire de la France et de l’Europe devraient être au cœur des préoccupations de chacun de nous.
Néanmoins, résoudre le conflit agricole nous oblige à nous remettre en question sur des problèmes de fond. La place de nos États dans l’Europe et dans le monde et la problématique de la souveraineté se trouvent ainsi questionnées.
J’avais plaidé, dès le début de la crise agricole pour que les agriculteurs soient intégrés dans le processus de fixation des prix, partie aux négociations et que leur soient appliqués deux principes simples, la liberté de fixation du prix et l’interdiction de la vente à perte.
Naturellement, ce n’est possible que sur un marché où tous les intervenants sont soumis aux mêmes règles et normes fiscales, sociales et environnementales et qui protège les agriculteurs de la concurrence déloyale des pays tiers, avec un système de droits de douanes dont les montants correspondraient au redressement de cette concurrence déloyale.
La question de fond est celle de savoir si nous avons les moyens d’un libre-échange débridé qui impose sur les marchés de nos économies post-industrielles de mettre nos produits respectueux de ces règles et normes fiscales, sociales et environnementales sur un pied d’égalité avec des produits importés de pays qui, eux ne les respectent pas.
Cette pensée est à contre-courant d’un ultra-libéralisme, mais peut-être est-ce utile de l’intégrer dans la réflexion lorsque les biens en question sont essentiels.
Pour ma part, je suis par nature favorable à l’initiative privée et à la liberté des échanges, mais j’y mets toujours deux conditions, leur caractère loyal et la préservation de l’indépendance pour tout ce qui est vital pour une nation ou l’Union dans laquelle elle a choisi d’intégrer son économie.
La crise agricole n’est finalement que le reflet de la crise profonde qui traverse notre société et nous oblige à regarder ensemble, unis, l’état actuel de notre société et à chercher des solutions aux défis de notre siècle.
Si l’idée d’un grand débat agricole est séduisante, elle risque de s’étioler si les attentes que suscite un tel débat n’ont aucun écho pratique. Par ailleurs, résoudre la crise agricole ne passe pas, non plus, par des mesures qui résonneraient comme autant de rustines.
Mais surtout, le risque principal est de ne pas résoudre la crise agricole. Cela pourrait nous faire basculer dans une crise sociétale encore plus profonde qui déstabiliserait nos sociétés occidentales.
Résoudre la crise agricole passe finalement par un questionnement de fond sur notre société, sur la place de nos États, en Europe et même sur celle de l’Europe face aux autres blocs mondiaux. Nous n’avons pas le choix, nous devons relever ce défi.
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