■ Pour le Professeur Luc-Marie Joly, « le problème ne se trouve pas aux urgences » (© Christophe MASSON)
Dans un contexte de crise persistante de l’hôpital public français, le Premier Ministre, Gabriel Attal, a annoncé un plan de sauvetage ambitieux, avec un investissement de 32 milliards d’euros sur les cinq prochaines années. Luc-Marie Joly, chef du service des urgences du CHU de Rouen, nous offre ici un témoignage de terrain sur la situation de l’hôpital public, « pilier majeur du pacte républicain ». Entretien.
Professeur Luc-Marie Joly - Chef du service des urgences du CHU de Rouen
Propos recueillis par Élias Lemrani
Le Contemporain - 6.700 lits d’hospitalisation complète ont été fermés en 2022, 80.000 entre 2003 et 2019, soit avant la crise covid. Aujourd’hui, de nombreux lits sont fermés, parfois même des services entiers. Cette situation alarmante vous affecte-t-elle au quotidien ?
Luc-Marie Joly - Le manque de lits pour hospitaliser les patients présents aux urgences est le problème majeur qui écrase tous les autres. La crise de l’hôpital public date d’il y a environ trente ans et correspond à la hausse de présentation des patients dans les services d’urgence, dont les chiffres sont en augmentation constante depuis près de vingt ans. Ce problème est dû au fait qu’il échoit à l’hôpital public toutes sortes de missions mal rémunérées. Chaque année, l’Assemblée nationale fixe l’ONDAM (Objectif national de dépenses d’assurance maladie), qui représente le taux d’augmentation autorisé des dépenses de santé, et ce, depuis des décennies. Ce taux est rigoureusement appliqué à l’hôpital public qui est soumis à un contrôle strict de l’État par le biais des instructions données aux directeurs d’hôpitaux et aux agences régionales de santé. Pendant ce temps, le secteur privé choisit son activité, celle qui est rentable et la facture à l’assurance maladie. C’est une démarche parfaitement logique étant donné son modèle économique et on ne peut pas reprocher à une clinique privée d’essayer de dégager un bénéfice. Le résultat est néanmoins que les salaires des médecins libéraux dépassent largement ceux des médecins hospitaliers, sans que ces différences ne soient justifiées ni par des compétences supérieures, ni par un temps de travail plus allongé. Ces différences peuvent aller jusqu’au quadruple en début de carrière pour certaines spécialités (anesthésie, radiologie, cardiologie, etc …) ce qui rend problématique le recrutement de ces médecins pour l’hôpital public. L’État a laissé faire, privilégiant le privé tout en privant l’hôpital public des ressources nécessaires. Cette crise n’est donc pas surprenante.
À l’hôpital, l’atmosphère est tendue, chacun surveille le travail de l’autre. Nous sommes désabusés, car nous ne voyons pas de sortie au tunnel. Le statut d’universitaire n’est plus aussi attrayant ; nous assistons même à des départs de professeurs vers d’autres activités vers le privé (cliniques, industrie …) ce qui est nouveau. Mais alors que faut-il faire ? Je pense qu’il faut rééquilibrer le financement entre le public et le privé. Car qui prend en charge les plus démunis, les étrangers, les personnes âgées dépendantes, ou même les patients avec une maladie psychiatrique si ce n’est l’hôpital public. On ne comprend pas une chose pourtant fondamentale : l’hôpital public est un pilier majeur du pacte républicain, et si le pilier tombe, c’est la maison tout entière qui tombe. Que l’hôpital public ne soit plus en capacité de prendre en charge ces populations sape ce pacte républicain. Il y aura des retours de bâtons lors des élections quand la population prendra conscience du naufrage de l’hôpital. D’un autre côté, les services d’urgences doivent être réservées aux urgences. Puisque l’État, et c’est son droit, veut contenir les dépenses de santé, il doit expliquer aux citoyen que le temps est fini où l’on peut venir aux urgences gratuitement pour un oui ou pour un non. De plus en plus, les services d’urgences seront amenés à rediriger les patients de médecine générale sans les voir. Pour leur trouver une solution, la mise en place du service d’accès au soin (SAS) est une bonne idée. Reste à la faire fonctionner.
Le Contemporain - Dans une tribune, publiée par nos confrères du Monde, le 5 octobre dernier, 1.200 membres du personnel soignant pointaient notamment du doigt « l’hôpital entreprise ». Qu’en pensez-vous ?
L’idée que l’hôpital public doit être rentable a prévalu pendant un certain temps et, peut-être, persiste encore dans l’esprit de certains hommes politiques. Si l’hôpital public est en déficit c’est qu’il n’est pas financé à la hauteur de ses missions. Affirmer que l’hôpital doit être rentable reviendrait à demander aux professionnels de santé de cesser de traiter des sans-abris, des personnes atteintes de maladies psychiatriques ou des personnes âgées dépendantes, parce que cela n’est pas rentable. La notion de rentabilité a sa place en économie, mais est difficilement applicable dans le domaine public. Les cliniques, comme je l’ai expliqué, ne vont prendre que des patients « rentables ». L’hôpital public fera le reste. Dans la tête de nos décideurs, le privé est plus efficient que le public, mais c’est très facile quand on choisit ses patients. Il faut donc que le financement des hôpitaux et des cliniques prenne en compte ces paramètres jusqu’ici totalement ignorés. Cela ne signifie pas que nous devons tolérer le gaspillage dû à une mauvaise organisation. Je crois au contraire qu’il est de notre responsabilité de médecin de s’engager contre tout gaspillage, en collaboration avec l’administration hospitalière
Le Contemporain - La France compte de moins en moins de médecins généralistes, mais la population augmente et vieillit. Les urgences sont de plus en plus sollicitées, par manque de médecins généralistes ; leur fréquentation a ainsi doublé entre 1996-2016. Comment faites-vous face à cette situation dans votre service ?
Le nombre de médecins généralistes n’a pas diminué, c’est leur durée de travail qui a diminué. Aujourd’hui, il faut deux nouveaux généralistes pour remplacer un médecin qui part en retraite. Les aspirations des jeunes générations sont clairement de moins s’investir en travail et de privilégier leur vie personnelle. J’ignore si ils ont tort ou raison, et cette tendance n’est bien sûr pas propre à l’hôpital ; on la retrouve dans l’ensemble de la société. Il n’y a pas de solution miracle. Par contre, si l’on travaille moins, on devrait logiquement être payé moins.
Il y a actuellement plus de médecins urgentistes qu’auparavant. Le défi, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne réside pas tant dans le flux des patients qui se présentent aux urgences et que nous sommes capables de gérer avec nos équipes en organisant un tri des patients du plus grave au moins grave. Mais entre un tiers et la moitié des patients présents dans notre service chaque jour ne devraient plus s’y trouver. Ils végètent dans le service pendant des heures, et désormais des jours, en attendant un lit d’hospitalisation. Le problème ne se trouve pas donc aux urgences, mais dans le dysfonctionnement de l’hôpital public qui retentit sur les urgences. Les urgences proprement dites fonctionneraient parfaitement si nous pouvions trouver des solutions de sortie pour hospitaliser ces patients. Et si les lits de l’hôpital ne sont pas disponibles, c’est aussi parce que les services de médecine et de chirurgie peinent à sortir les patients vers des structures d’aval : soins de suite, long séjours, EHPAD sont en nombre insuffisant et là encore c’est l’hôpital public qui, en ayant pris en charge les patients avec des problèmes sociaux, se retrouve en difficulté pour libérer ses lits.
Le Contemporain - L’État aurait « détruit » l’hôpital public. Peut-il aussi le reconstruire ?
Je ne dirais pas qu’il a « détruit », mais qu’il a « laissé détruire ». Il n’y a pas eu de volonté politique de détruire l’hôpital public. C’était simplement une question de laisser faire, car il était plus facile de faire peser les économies sur le seul hôpital public que de réformer l’ensemble du système. Attention, je ne dis pas qu’il ne faut pas faire des économies ! Cette décision d’un parlement élu me parait légitime, mais c’est sa répartition entre le public et le privé qui n’a pas été régulée. Et ce désastre, ni la gauche, ni la droite, ne peuvent s’en dédouaner. D’un gouvernement à un autre, ils se sont refilés « la patate chaude ». Jusqu’en 2019 il y avait une véritable volonté de fermer des lits pour faire des économies selon la théorie fumeuse que la limitation de l’offre entrainerait automatiquement celle de la demande, mais depuis la crise du COVID, on assiste à un renversement de la tendance : on veut rouvrir des lits, mais on n’a plus de personnel infirmier pour cela ! C’est tragique ! Il nous faut augmenter le nombre d’infirmiers à l’hôpital pour rouvrir les lits. Cela passe sans doute par une meilleure rémunération de cette profession qui fait un travail essentiel. La mise en place des infirmiers de pratique avancée (IPA) qui peuvent remplacer les médecins sur de nombreuses tâches, notamment dans le suivi des patients est une excellente idée et doit être accélérée.
Le Contemporain - Comment faire ?
Il existe des solutions pour faire redémarrer le système, mais il faut une volonté politique et un Etat qui assume ses responsabilités. Il est impératif de rouvrir des lits ou de trouver des alternatives à l’hospitalisation. Il nous faut sans doute travailler sur l’obstination déraisonnable dans les soins. On nous envoie aux urgences des patients en état grave qui devraient être depuis longtemps pris en charge avec un projet palliatif. Mais celui-ci n’a pas été pensé en amont. Ceci est très paradoxal dans une société où nombre de nos concitoyens souhaitent la mise en place d’une « aide active à mourir ». Pour de nombreux patients âgés atteints de maladies incurables, il serait préférable d’initier, avec leur médecin traitant, des projets palliatifs favorisant le confort du patient et le maintien à domicile plutôt qu’une hospitalisation en catastrophe en passant par les urgences. Je m’oppose à l’euthanasie organisée sous la responsabilité d’un médecin, car pour moi donner la mort n’est pas un soin. Par contre, je crois que nous devons encore lutter contre l’obstination déraisonnable. Cela oblige à se poser, à réfléchir à l’éthique, et à ne pas dépenser inconsidérément des moyens : « à la louche », environ un tiers des examens prescrits par les médecins sont superflus ; idem pour les traitements que je vois sur les ordonnances et je dois dire qu’avec beaucoup d’internes dans mon service, je ne montre pas toujours le bon exemple.
L’hôpital public doit rester concentré sur les soins de haut niveau de qualité nécessitant un plateau technique performant. Il faut le décharger de ce que la société ne sait plus (ne veut plus ?) faire, à savoir le volet social : prise en charge du handicap (physique ou psychique), du grand âge. Bien souvent ces patients continuent d’occuper un lit à l’hôpital alors que leur problème de santé est réglé car les solutions de sortie adéquates n’existent pas. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ces patients sont peu pris en charge dans les services d’urgences des cliniques privés, qui ne souhaitent pas bloquer leur lits d’hospitalisation. On ne changera pas cela et que chacun fasse ce qu’il sait faire, mais il faut financer l’hôpital pour ces missions sociales qu’il assure.
Le Contemporain - 6.700 lits d’hospitalisation complète ont été fermés en 2022, 80.000 entre 2003 et 2019, soit avant la crise covid. Aujourd’hui, de nombreux lits sont fermés, parfois même des services entiers. Cette situation alarmante vous affecte-t-elle au quotidien ?
Luc-Marie Joly - Le manque de lits pour hospitaliser les patients présents aux urgences est le problème majeur qui écrase tous les autres. La crise de l’hôpital public date d’il y a environ trente ans et correspond à la hausse de présentation des patients dans les services d’urgence, dont les chiffres sont en augmentation constante depuis près de vingt ans. Ce problème est dû au fait qu’il échoit à l’hôpital public toutes sortes de missions mal rémunérées. Chaque année, l’Assemblée nationale fixe l’ONDAM (Objectif national de dépenses d’assurance maladie), qui représente le taux d’augmentation autorisé des dépenses de santé, et ce, depuis des décennies. Ce taux est rigoureusement appliqué à l’hôpital public qui est soumis à un contrôle strict de l’État par le biais des instructions données aux directeurs d’hôpitaux et aux agences régionales de santé. Pendant ce temps, le secteur privé choisit son activité, celle qui est rentable et la facture à l’assurance maladie. C’est une démarche parfaitement logique étant donné son modèle économique et on ne peut pas reprocher à une clinique privée d’essayer de dégager un bénéfice. Le résultat est néanmoins que les salaires des médecins libéraux dépassent largement ceux des médecins hospitaliers, sans que ces différences ne soient justifiées ni par des compétences supérieures, ni par un temps de travail plus allongé. Ces différences peuvent aller jusqu’au quadruple en début de carrière pour certaines spécialités (anesthésie, radiologie, cardiologie, etc …) ce qui rend problématique le recrutement de ces médecins pour l’hôpital public. L’État a laissé faire, privilégiant le privé tout en privant l’hôpital public des ressources nécessaires. Cette crise n’est donc pas surprenante.
À l’hôpital, l’atmosphère est tendue, chacun surveille le travail de l’autre. Nous sommes désabusés, car nous ne voyons pas de sortie au tunnel. Le statut d’universitaire n’est plus aussi attrayant ; nous assistons même à des départs de professeurs vers d’autres activités vers le privé (cliniques, industrie …) ce qui est nouveau. Mais alors que faut-il faire ? Je pense qu’il faut rééquilibrer le financement entre le public et le privé. Car qui prend en charge les plus démunis, les étrangers, les personnes âgées dépendantes, ou même les patients avec une maladie psychiatrique si ce n’est l’hôpital public. On ne comprend pas une chose pourtant fondamentale : l’hôpital public est un pilier majeur du pacte républicain, et si le pilier tombe, c’est la maison tout entière qui tombe. Que l’hôpital public ne soit plus en capacité de prendre en charge ces populations sape ce pacte républicain. Il y aura des retours de bâtons lors des élections quand la population prendra conscience du naufrage de l’hôpital. D’un autre côté, les services d’urgences doivent être réservées aux urgences. Puisque l’État, et c’est son droit, veut contenir les dépenses de santé, il doit expliquer aux citoyen que le temps est fini où l’on peut venir aux urgences gratuitement pour un oui ou pour un non. De plus en plus, les services d’urgences seront amenés à rediriger les patients de médecine générale sans les voir. Pour leur trouver une solution, la mise en place du service d’accès au soin (SAS) est une bonne idée. Reste à la faire fonctionner.
Le Contemporain - Dans une tribune, publiée par nos confrères du Monde, le 5 octobre dernier, 1.200 membres du personnel soignant pointaient notamment du doigt « l’hôpital entreprise ». Qu’en pensez-vous ?
L’idée que l’hôpital public doit être rentable a prévalu pendant un certain temps et, peut-être, persiste encore dans l’esprit de certains hommes politiques. Si l’hôpital public est en déficit c’est qu’il n’est pas financé à la hauteur de ses missions. Affirmer que l’hôpital doit être rentable reviendrait à demander aux professionnels de santé de cesser de traiter des sans-abris, des personnes atteintes de maladies psychiatriques ou des personnes âgées dépendantes, parce que cela n’est pas rentable. La notion de rentabilité a sa place en économie, mais est difficilement applicable dans le domaine public. Les cliniques, comme je l’ai expliqué, ne vont prendre que des patients « rentables ». L’hôpital public fera le reste. Dans la tête de nos décideurs, le privé est plus efficient que le public, mais c’est très facile quand on choisit ses patients. Il faut donc que le financement des hôpitaux et des cliniques prenne en compte ces paramètres jusqu’ici totalement ignorés. Cela ne signifie pas que nous devons tolérer le gaspillage dû à une mauvaise organisation. Je crois au contraire qu’il est de notre responsabilité de médecin de s’engager contre tout gaspillage, en collaboration avec l’administration hospitalière
Le Contemporain - La France compte de moins en moins de médecins généralistes, mais la population augmente et vieillit. Les urgences sont de plus en plus sollicitées, par manque de médecins généralistes ; leur fréquentation a ainsi doublé entre 1996-2016. Comment faites-vous face à cette situation dans votre service ?
Le nombre de médecins généralistes n’a pas diminué, c’est leur durée de travail qui a diminué. Aujourd’hui, il faut deux nouveaux généralistes pour remplacer un médecin qui part en retraite. Les aspirations des jeunes générations sont clairement de moins s’investir en travail et de privilégier leur vie personnelle. J’ignore si ils ont tort ou raison, et cette tendance n’est bien sûr pas propre à l’hôpital ; on la retrouve dans l’ensemble de la société. Il n’y a pas de solution miracle. Par contre, si l’on travaille moins, on devrait logiquement être payé moins.
Il y a actuellement plus de médecins urgentistes qu’auparavant. Le défi, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne réside pas tant dans le flux des patients qui se présentent aux urgences et que nous sommes capables de gérer avec nos équipes en organisant un tri des patients du plus grave au moins grave. Mais entre un tiers et la moitié des patients présents dans notre service chaque jour ne devraient plus s’y trouver. Ils végètent dans le service pendant des heures, et désormais des jours, en attendant un lit d’hospitalisation. Le problème ne se trouve pas donc aux urgences, mais dans le dysfonctionnement de l’hôpital public qui retentit sur les urgences. Les urgences proprement dites fonctionneraient parfaitement si nous pouvions trouver des solutions de sortie pour hospitaliser ces patients. Et si les lits de l’hôpital ne sont pas disponibles, c’est aussi parce que les services de médecine et de chirurgie peinent à sortir les patients vers des structures d’aval : soins de suite, long séjours, EHPAD sont en nombre insuffisant et là encore c’est l’hôpital public qui, en ayant pris en charge les patients avec des problèmes sociaux, se retrouve en difficulté pour libérer ses lits.
Le Contemporain - L’État aurait « détruit » l’hôpital public. Peut-il aussi le reconstruire ?
Je ne dirais pas qu’il a « détruit », mais qu’il a « laissé détruire ». Il n’y a pas eu de volonté politique de détruire l’hôpital public. C’était simplement une question de laisser faire, car il était plus facile de faire peser les économies sur le seul hôpital public que de réformer l’ensemble du système. Attention, je ne dis pas qu’il ne faut pas faire des économies ! Cette décision d’un parlement élu me parait légitime, mais c’est sa répartition entre le public et le privé qui n’a pas été régulée. Et ce désastre, ni la gauche, ni la droite, ne peuvent s’en dédouaner. D’un gouvernement à un autre, ils se sont refilés « la patate chaude ». Jusqu’en 2019 il y avait une véritable volonté de fermer des lits pour faire des économies selon la théorie fumeuse que la limitation de l’offre entrainerait automatiquement celle de la demande, mais depuis la crise du COVID, on assiste à un renversement de la tendance : on veut rouvrir des lits, mais on n’a plus de personnel infirmier pour cela ! C’est tragique ! Il nous faut augmenter le nombre d’infirmiers à l’hôpital pour rouvrir les lits. Cela passe sans doute par une meilleure rémunération de cette profession qui fait un travail essentiel. La mise en place des infirmiers de pratique avancée (IPA) qui peuvent remplacer les médecins sur de nombreuses tâches, notamment dans le suivi des patients est une excellente idée et doit être accélérée.
Le Contemporain - Comment faire ?
Il existe des solutions pour faire redémarrer le système, mais il faut une volonté politique et un Etat qui assume ses responsabilités. Il est impératif de rouvrir des lits ou de trouver des alternatives à l’hospitalisation. Il nous faut sans doute travailler sur l’obstination déraisonnable dans les soins. On nous envoie aux urgences des patients en état grave qui devraient être depuis longtemps pris en charge avec un projet palliatif. Mais celui-ci n’a pas été pensé en amont. Ceci est très paradoxal dans une société où nombre de nos concitoyens souhaitent la mise en place d’une « aide active à mourir ». Pour de nombreux patients âgés atteints de maladies incurables, il serait préférable d’initier, avec leur médecin traitant, des projets palliatifs favorisant le confort du patient et le maintien à domicile plutôt qu’une hospitalisation en catastrophe en passant par les urgences. Je m’oppose à l’euthanasie organisée sous la responsabilité d’un médecin, car pour moi donner la mort n’est pas un soin. Par contre, je crois que nous devons encore lutter contre l’obstination déraisonnable. Cela oblige à se poser, à réfléchir à l’éthique, et à ne pas dépenser inconsidérément des moyens : « à la louche », environ un tiers des examens prescrits par les médecins sont superflus ; idem pour les traitements que je vois sur les ordonnances et je dois dire qu’avec beaucoup d’internes dans mon service, je ne montre pas toujours le bon exemple.
L’hôpital public doit rester concentré sur les soins de haut niveau de qualité nécessitant un plateau technique performant. Il faut le décharger de ce que la société ne sait plus (ne veut plus ?) faire, à savoir le volet social : prise en charge du handicap (physique ou psychique), du grand âge. Bien souvent ces patients continuent d’occuper un lit à l’hôpital alors que leur problème de santé est réglé car les solutions de sortie adéquates n’existent pas. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ces patients sont peu pris en charge dans les services d’urgences des cliniques privés, qui ne souhaitent pas bloquer leur lits d’hospitalisation. On ne changera pas cela et que chacun fasse ce qu’il sait faire, mais il faut financer l’hôpital pour ces missions sociales qu’il assure.
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