■ Raphaël Enthoven (©Franc-Tireur).
Le 7 octobre demeurera un jour noir de cette année 2023 qui s’achève. Un jour noir de mort, carmin de sang. Un jour synonyme d’horreur. Le 7 octobre dernier, au petit matin, Israël a connu l’attaque terroriste la plus sanglante de son histoire. Dans une folie meurtrière, les terroristes du Hamas ont pénétré les frontières de l’État hébreu, kidnappant ou fauchant, avec cruauté, femmes, enfants et vieillards innocents des kibboutzim du sud du pays. Dans un entretien riche et éclairant accordé à Élias Lemrani, l’écrivain et philosophe Raphaël Enthoven nous livre son analyse de ces tragiques événements, véritable « changement d’époque » à ses yeux. Entretien.
Raphaël Enthoven - Ancien élève de l’ENS, agrégé de philosophie et maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, il est conseiller de la rédaction de Philosophie Magazine depuis 2006 et cofonde en 2021 le journal Franc-Tireur.
Le 7 octobre demeurera un jour noir de cette année 2023 qui s’achève. Un jour noir de mort, carmin de sang. Un jour synonyme d’horreur. Le 7 octobre dernier, au petit matin, Israël a connu l’attaque terroriste la plus sanglante de son histoire. Dans une folie meurtrière, les terroristes du Hamas ont pénétré les frontières de l’État hébreu, kidnappant ou fauchant, avec cruauté, femmes, enfants et vieillards innocents des kibboutzim du sud du pays. Dans un entretien riche et éclairant accordé à Élias Lemrani, l’écrivain et philosophe Raphaël Enthoven nous livre son analyse de ces tragiques événements, véritable « changement d’époque » à ses yeux. Entretien.
Raphaël Enthoven - Ancien élève de l’ENS, agrégé de philosophie et maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, il est conseiller de la rédaction de Philosophie Magazine depuis 2006 et cofonde en 2021 le journal Franc-Tireur.
Propos recueillis par Élias Lemrani
Le Contemporain - Comment avez-vous vécu les tragiques attaques terroristes du Hamas en Israël ?
Raphaël Enthoven - J’ai vécu ce 7 octobre comme un changement d’époque. Nous sommes passés d’une époque où des passions funestes étaient encore mises sous le boisseau de la décence, à une époque où, désormais, l’antisémitisme s’exprime de façon ostensible et décomplexée. Avec en plus pour lui l’alibi d’être nourri de sciences sociales ; c’est-à-dire un antisémitisme étayé par le sentiment de défendre la justice sociale. Le 7 octobre dernier, nous dûmes faire un choix entre, d’une part, un État que l’on adore détester, et d’autre part, une organisation terroriste qui éventre des femmes enceintes et torture des enfants. Ce choix cornélien devait se faire. Nous ne pouvions pas y échapper. Hélas, quantité de gens sont tombées du côté des terroristes du Hamas, dont certains se mirent à sereinement arracher des affiches d’enfants otages à Gaza. Le simple fait qu’un déchaînement de violence ait engendré une violence supérieure au lieu de susciter un élan mondial de solidarité, me paraît déjà en soi l’aveu d’un basculement. Alors oui, nous avons changé d’époque, nous sommes entrés en guerre.
Le Contemporain - La riposte israélienne pour la destruction du Hamas et la libération des otages continue à Gaza. Comment percevez-vous ce regain de tension armée au Proche-Orient ?
Nous sommes en présence d’une guerre résolument asymétrique. Asymétrique, deux fois. Premièrement, parce qu’elle oppose d’un côté une démocratie, et de l’autre, une organisation terroriste. Mais aussi parce qu’il y a d’un côté, un emploi, et probablement un abus, de la force armée, alors que de l’autre, il y a une exhibition médiatique d’une faiblesse, permettant au Hamas de se présenter lui-même comme la victime des gens qu’il a attaqués. Or dans un univers démocratique, la faiblesse est toujours une vertu, la force, toujours une méchanceté. C’est la raison pour laquelle Israël a d’ores et déjà perdu la bataille de l’opinion, et ne peut espérer la gagner. C’est une bataille qu’Israël ne peut gagner dans la mesure où il a la force pour lui. Le fort est, par nature, intolérable. Le dilemme, tel qu’il se présente à nous aujourd’hui, est inédit puisqu’il nous met en situation soit de défendre le plus fort, soit de défendre le plus monstrueux.
Le Contemporain - Quel regard portez-vous sur la guerre des images se jouant, notamment, sur les réseaux sociaux, une funeste compétition entre les morts ?
Il n’y a aucune différence à faire entre les morts ; les morts sont les morts, les victimes de la guerre sont les victimes de la guerre. Il y a cependant une grande différence à faire entre ceux qui les tuent. Dans la mesure où entre ceux qui assassinent, au hasard des rues, des civils en raison de leur religion, et ceux qui opèrent des bombardements ciblés, sur des cibles sciemment cachées par les terroristes au milieu des populations civiles, le geste n’est pas le même. Cette différence est essentielle. Ne pas la faire reviendrait à raisonner comme Jean-Marie Le Pen, qui soutenait que les chambres à gaz n’étaient qu’un point de détail de l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale et que les Juifs déportés n’étaient ni plus, ni moins, que des victimes de la guerre. Ce mode de raisonnement trouve aujourd’hui quantité d’avocats, qui souvent s’ignorent eux-mêmes, et qui pensent raisonner justement en refusant d’établir une hiérarchie entre les tueurs.
Le Contemporain - Les attaques terroristes du Hamas nous rappellent, en Europe, de bien tristes pages de notre Histoire. À l’heure où montent les extrêmes et explosent les actes antisémites, l’Histoire se répéterait-elle ?
L’histoire a une façon bien à elle de bégayer ; si elle bégaie, c’est avec des variantes. Le nazisme auquel nous sommes confrontés aujourd’hui est un nazisme qui persiste à se présenter comme la victime des gens qu’il tue. Et c’est un nazisme qui est fier d’exhiber ses crimes sur les réseaux sociaux, alors que les nazis du siècle dernier, avaient à cœur de les cacher. Il y a incontestablement des projets exterminateurs et génocidaires contre les Juifs encore de nos jours, et qui sont en tout point comparables à celui de Mein Kampf, mais avec des variantes qui tiennent au fait de l’époque, et qui valent à bien des gens d’épouser la cause du Hamas, d’adhérer à ses argumentaires, de les diffuser, et de croire, en le faisant, lutter pour un monde plus juste.
Par ailleurs, je ferais une différence entre la montée des extrêmes et la hausse des actes antisémites. Ce que l’on appelle la montée des extrêmes aujourd’hui me paraît le fait de ce que les cuistres appellent une mutation du paradigme. Pour le dire simplement, nous sommes passés, avec la mondialisation, en une décennie, d’un paradigme droite-gauche, à un paradigme clos-ouvert ; or les tenants de la clôture sont autant de droite que de gauche, et les tenants de l’ouverture également. Ce paradigme du monde clos et du monde ouvert, redessine le rapport politique, et fait que désormais, nous trouvons des gens de gauche des deux côtés et des gens de droite des deux côtés. En France, nous avons un parti politique, le Rassemblement national, qui a l’histoire qu’on lui connaît, mais qui est aujourd’hui le mandataire, bien que lamentable, d’un mécontentement, d’une crainte, d’un désir de clôture qui va bien au-delà de lui-même, et bien au-delà de l’extrême droite. Quand plus de 40% des Français votent pour Marine Le Pen aux dernières élections, cela ne signifie pas que 40% des Français sont d’extrême droite, il faut le comprendre. Ces résultats ne révèlent pas tant une véritable montée des idées d’extrême droite, que le simple fait que le désir de clôture, que nous évoquions, ne s’est pas trouvé de meilleur porte-parole que Marine Le Pen. Voilà ce qui me désole. Tout républicain, en conséquence, devrait se soucier de la forme à donner au récipiendaire d’un tel mécontentement.
Quant à la hausse des actes antisémites, elle n’est pas corrélée en France à la montée des partis d’extrême droite. Marine Le Pen peut avoir tous les défauts de la Terre, mais n’est certainement pas antisémite ; sur la question du judaïsme, elle ne tient en rien le discours qu’était celui de son père. Cette hausse s’explique par le phénomène islamiste ; cette peste, dont nous n’avons pas encore entièrement mesuré, ni l’ampleur, ni les effets. Ce sont des actes, tantôt portés par des gens haïssant les Juifs, tantôt portés par des gens ayant le sentiment de bien agir en le faisant ; je prends ici l’exemple des arracheurs d’images, acte antisémite spectaculaire, mais qui donne à celui qui le commet le sentiment d’avoir œuvré dans le sens de la justice. Autrement dit, ce parfum des années 1930, je veux bien qu’on le sente, mais il est mêlé d’autres fragrances, victimaire et exhibitionniste. En un mot, les passions sont identiques, mais où elles ont d’autres manières de s’incarner.
Le Contemporain - L’islamisme, un nouveau fascisme ?
Oui, l’islamisme est un fascisme. Un totalitarisme conquérant qui prétend s’imposer. Qui s’appuie et joue à merveille des leviers démocratiques, pour faire passer pour intolérant quiconque le combat. Un fascisme qui trouve quantité de soutiens chez les idiots utiles qui pensent avoir trouvé dans le musulman, le nouveau damné de la Terre. Un fascisme 2.0, à l’ère des opinions volatiles et disparates. Un fascisme qui prospère à l’abri d’une liberté extrême laissée à tous et à laquelle nous aurons plus de mal qu’on ne le pense à renoncer. Un fascisme dont le socle est extrêmement poreux, friable. Un fascisme qu’il faut combattre sans rémission.
Le Contemporain - Par « idiots utiles », vous entendez la LFI et la NUPES ?
On peut mettre beaucoup de noms derrières ce terme ; globalement tous ceux qui ont le sentiment de défendre la justice sociale et l’égalité, en validant les dénis de laïcité auquel nous sommes exposés chaque jour. C’est-à-dire tous ceux qui ont le mauvais goût d’interpréter comme du racisme la défense de la laïcité.
Le Contemporain - Comment avez-vous vécu les tragiques attaques terroristes du Hamas en Israël ?
Raphaël Enthoven - J’ai vécu ce 7 octobre comme un changement d’époque. Nous sommes passés d’une époque où des passions funestes étaient encore mises sous le boisseau de la décence, à une époque où, désormais, l’antisémitisme s’exprime de façon ostensible et décomplexée. Avec en plus pour lui l’alibi d’être nourri de sciences sociales ; c’est-à-dire un antisémitisme étayé par le sentiment de défendre la justice sociale. Le 7 octobre dernier, nous dûmes faire un choix entre, d’une part, un État que l’on adore détester, et d’autre part, une organisation terroriste qui éventre des femmes enceintes et torture des enfants. Ce choix cornélien devait se faire. Nous ne pouvions pas y échapper. Hélas, quantité de gens sont tombées du côté des terroristes du Hamas, dont certains se mirent à sereinement arracher des affiches d’enfants otages à Gaza. Le simple fait qu’un déchaînement de violence ait engendré une violence supérieure au lieu de susciter un élan mondial de solidarité, me paraît déjà en soi l’aveu d’un basculement. Alors oui, nous avons changé d’époque, nous sommes entrés en guerre.
Le Contemporain - La riposte israélienne pour la destruction du Hamas et la libération des otages continue à Gaza. Comment percevez-vous ce regain de tension armée au Proche-Orient ?
Nous sommes en présence d’une guerre résolument asymétrique. Asymétrique, deux fois. Premièrement, parce qu’elle oppose d’un côté une démocratie, et de l’autre, une organisation terroriste. Mais aussi parce qu’il y a d’un côté, un emploi, et probablement un abus, de la force armée, alors que de l’autre, il y a une exhibition médiatique d’une faiblesse, permettant au Hamas de se présenter lui-même comme la victime des gens qu’il a attaqués. Or dans un univers démocratique, la faiblesse est toujours une vertu, la force, toujours une méchanceté. C’est la raison pour laquelle Israël a d’ores et déjà perdu la bataille de l’opinion, et ne peut espérer la gagner. C’est une bataille qu’Israël ne peut gagner dans la mesure où il a la force pour lui. Le fort est, par nature, intolérable. Le dilemme, tel qu’il se présente à nous aujourd’hui, est inédit puisqu’il nous met en situation soit de défendre le plus fort, soit de défendre le plus monstrueux.
Le Contemporain - Quel regard portez-vous sur la guerre des images se jouant, notamment, sur les réseaux sociaux, une funeste compétition entre les morts ?
Il n’y a aucune différence à faire entre les morts ; les morts sont les morts, les victimes de la guerre sont les victimes de la guerre. Il y a cependant une grande différence à faire entre ceux qui les tuent. Dans la mesure où entre ceux qui assassinent, au hasard des rues, des civils en raison de leur religion, et ceux qui opèrent des bombardements ciblés, sur des cibles sciemment cachées par les terroristes au milieu des populations civiles, le geste n’est pas le même. Cette différence est essentielle. Ne pas la faire reviendrait à raisonner comme Jean-Marie Le Pen, qui soutenait que les chambres à gaz n’étaient qu’un point de détail de l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale et que les Juifs déportés n’étaient ni plus, ni moins, que des victimes de la guerre. Ce mode de raisonnement trouve aujourd’hui quantité d’avocats, qui souvent s’ignorent eux-mêmes, et qui pensent raisonner justement en refusant d’établir une hiérarchie entre les tueurs.
Le Contemporain - Les attaques terroristes du Hamas nous rappellent, en Europe, de bien tristes pages de notre Histoire. À l’heure où montent les extrêmes et explosent les actes antisémites, l’Histoire se répéterait-elle ?
L’histoire a une façon bien à elle de bégayer ; si elle bégaie, c’est avec des variantes. Le nazisme auquel nous sommes confrontés aujourd’hui est un nazisme qui persiste à se présenter comme la victime des gens qu’il tue. Et c’est un nazisme qui est fier d’exhiber ses crimes sur les réseaux sociaux, alors que les nazis du siècle dernier, avaient à cœur de les cacher. Il y a incontestablement des projets exterminateurs et génocidaires contre les Juifs encore de nos jours, et qui sont en tout point comparables à celui de Mein Kampf, mais avec des variantes qui tiennent au fait de l’époque, et qui valent à bien des gens d’épouser la cause du Hamas, d’adhérer à ses argumentaires, de les diffuser, et de croire, en le faisant, lutter pour un monde plus juste.
Par ailleurs, je ferais une différence entre la montée des extrêmes et la hausse des actes antisémites. Ce que l’on appelle la montée des extrêmes aujourd’hui me paraît le fait de ce que les cuistres appellent une mutation du paradigme. Pour le dire simplement, nous sommes passés, avec la mondialisation, en une décennie, d’un paradigme droite-gauche, à un paradigme clos-ouvert ; or les tenants de la clôture sont autant de droite que de gauche, et les tenants de l’ouverture également. Ce paradigme du monde clos et du monde ouvert, redessine le rapport politique, et fait que désormais, nous trouvons des gens de gauche des deux côtés et des gens de droite des deux côtés. En France, nous avons un parti politique, le Rassemblement national, qui a l’histoire qu’on lui connaît, mais qui est aujourd’hui le mandataire, bien que lamentable, d’un mécontentement, d’une crainte, d’un désir de clôture qui va bien au-delà de lui-même, et bien au-delà de l’extrême droite. Quand plus de 40% des Français votent pour Marine Le Pen aux dernières élections, cela ne signifie pas que 40% des Français sont d’extrême droite, il faut le comprendre. Ces résultats ne révèlent pas tant une véritable montée des idées d’extrême droite, que le simple fait que le désir de clôture, que nous évoquions, ne s’est pas trouvé de meilleur porte-parole que Marine Le Pen. Voilà ce qui me désole. Tout républicain, en conséquence, devrait se soucier de la forme à donner au récipiendaire d’un tel mécontentement.
Quant à la hausse des actes antisémites, elle n’est pas corrélée en France à la montée des partis d’extrême droite. Marine Le Pen peut avoir tous les défauts de la Terre, mais n’est certainement pas antisémite ; sur la question du judaïsme, elle ne tient en rien le discours qu’était celui de son père. Cette hausse s’explique par le phénomène islamiste ; cette peste, dont nous n’avons pas encore entièrement mesuré, ni l’ampleur, ni les effets. Ce sont des actes, tantôt portés par des gens haïssant les Juifs, tantôt portés par des gens ayant le sentiment de bien agir en le faisant ; je prends ici l’exemple des arracheurs d’images, acte antisémite spectaculaire, mais qui donne à celui qui le commet le sentiment d’avoir œuvré dans le sens de la justice. Autrement dit, ce parfum des années 1930, je veux bien qu’on le sente, mais il est mêlé d’autres fragrances, victimaire et exhibitionniste. En un mot, les passions sont identiques, mais où elles ont d’autres manières de s’incarner.
Le Contemporain - L’islamisme, un nouveau fascisme ?
Oui, l’islamisme est un fascisme. Un totalitarisme conquérant qui prétend s’imposer. Qui s’appuie et joue à merveille des leviers démocratiques, pour faire passer pour intolérant quiconque le combat. Un fascisme qui trouve quantité de soutiens chez les idiots utiles qui pensent avoir trouvé dans le musulman, le nouveau damné de la Terre. Un fascisme 2.0, à l’ère des opinions volatiles et disparates. Un fascisme qui prospère à l’abri d’une liberté extrême laissée à tous et à laquelle nous aurons plus de mal qu’on ne le pense à renoncer. Un fascisme dont le socle est extrêmement poreux, friable. Un fascisme qu’il faut combattre sans rémission.
Le Contemporain - Par « idiots utiles », vous entendez la LFI et la NUPES ?
On peut mettre beaucoup de noms derrières ce terme ; globalement tous ceux qui ont le sentiment de défendre la justice sociale et l’égalité, en validant les dénis de laïcité auquel nous sommes exposés chaque jour. C’est-à-dire tous ceux qui ont le mauvais goût d’interpréter comme du racisme la défense de la laïcité.
Analyse fine et tellement exacte!
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