De Lully à Médine, sommes-nous ce que nous écoutons ?


La musique a toujours occupé une place très importante dans notre société.

Dès l’Antiquité grecque, les philosophes se sont intéressés à la musique et Platon en condamnait certains créateurs qui, cherchant à innover, étaient porteurs d’un esprit de révolution, allant jusqu’à les chasser de sa cité idéale dans son livre La République.

Aristote considère, pour sa part, la musique comme devant être mise au service de l’unité politique et de l’éducation des citoyens.

Le contexte est posé.

La musique a entretenu, au cours des siècles, des liens intenses avec la religion et le politique.

Il suffit de se souvenir du rôle de Jean-Baptiste Lully, au service de Louis XIV, dont la musique rythmait chaque acte de la journée du roi et célébrait tous les grands moments de la vie politique et militaire du Royaume.

Le musicien était, cependant, à l’époque, totalement dépendant de son protecteur et le premier qui s’en affranchit fut Wolfgang Amadeus Mozart lequel reléguât son protecteur, l’archevêque Colloredo.

Au-delà de cette musique de Cour, la musique s’enracine dans la tradition populaire avec les chansons traditionnelles des campagnes et elle accompagne, par exemple, la Révolution française avec le « Ah ! ça ira, ça ira, ça ira » ;

Ludwig Van Beethoven avait compris que sa musique portait ses idées révolutionnaires, en dédiant sa symphonie numéro 3 « héroïque » de 1804 à Bonaparte qu’il considérait comme un héros, garant des idéaux de la révolution française.

Beethoven, à l’issue du sacre de Napoléon, raturera la première page de son œuvre avec rage et modifiera son titre pour l’appeler « symphonie héroïque, composée en mémoire d’un grand homme ».

La musique continuera d’accompagner le XIXe siècle et celle de Verdi s’associe aux événements politiques qui transforment son pays, avec son opéra Nabucco, représenté à la Scala le 9 mars 1842, qui connait un immense succès en évoquant le destin des juifs opprimés par Nabuchodonosor à Babylone auquel les milanais, sous occupation autrichienne à l’époque, ne tardèrent pas à s’identifier.

Cet opéra est conçu par les Italiens comme un hymne à la liberté dont le chœur, connu de tous, continuera d’être chanté comme signe de protestation dans les circonstances difficiles que l’Italie subira.

De son côté, l’Allemagne nazie inventera l’idée de « musique dégénérée » pour condamner les compositeurs juifs, comme Gustave Mahler, et s’approprier d’autres compositeurs comme Wagner dont les musiques sonoriseront les grandes cérémonies du Reich.

Si la musique et la politique se sont souvent croisées, la musique représente aussi des moyens d’identification à un peuple, une nation ou un continent, par exemple par l’hymne national, la

Marseillaise pour les Français, le God save the King pour les Britanniques, le Ons Heemecht pour le Luxembourg sans oublier l’Ode à la joie de Beethoven pour l’Union Européenne.

Mais la musique, notamment par ses paroles, comme d’autres œuvres d’art, véhicule le plus souvent la pensée de son auteur.

Si Lully fut, en son temps, valorisé par Louis XIV, plus récemment des auteurs de rap ont développé des thématiques qui leur sont propres et mettent en avant des messages politiques qui créent la polémique.

Il suffit d’écouter le début d’un concert du rappeur Médine pour l’entendre demander à son public de reprendre en cœur une formule italienne « Siamo tutti antifascisti ».

Médine a, ainsi, créé une polémique qui a traversé la société.

Le propos de cet article n’est pas d’y rentrer, mais de poser une question simple, « sommes-nous ce que nous écoutons et quelle influence cela peut avoir sur nos comportements ? ».

La première question revêt plusieurs aspects.

L’écoute peut être passive, et sans nécessairement prêter attention au message véhiculé, pour le simple goût de la musique, sans pour autant que ce goût interpénètre la pensée de celui qui l’écoute.

Cependant, lorsque l’écoute devient plus active, elle peut découler d’une nécessité ou d’un choix.

Lorsqu’elle découle d’une nécessité ou d’un fait fortuit, quand bien même elle véhiculerait un message, elle n’influence pas nécessairement le comportement de celui qui l’écoute.

Elle peut, en revanche, l’influencer lorsque cette écoute procède d’un choix en lien avec une adhésion à l’orientation proposée par l’artiste ou au contraire avec une volonté de rejet de cette orientation.

C’est précisément ce qui se passe aujourd’hui, avec les rappeurs contemporains, dont les messages peuvent agiter les politiques qui de leur côté n’hésitent pas à les instrumentaliser, en invitant les artistes dans leurs propres manifestations ou en manifestant leur hostilité à l’égard de tel ou tel artiste.

Platon et Aristote sont finalement d’une actualité saisissante.

Que faut-il en déduire ?

Peut-être faut-il commencer par rappeler le pouvoir considérable des mots que nous employons. Ainsi, lorsqu’une idée est formulée, que l’on y adhère ou non, elle nous touche puisque nous l’entendons. Elle peut même avoir un caractère performatif.

Nous ne sommes donc pas nécessairement ce que nous écoutons, mais ce que nous entendons nous influence sans que cela soit, pour autant, dans le sens voulu par l’artiste.

Une chose est essentielle et ce n’est pas la censure, mais la prise de hauteur pour que la musique redevienne plus un art qu’un instrument de manipulation des foules.

Si dans « L’ère des foules » Gustave Le Bon avait insisté sur le rôle de la musique comme une des composantes de leur psychologie, il avait aussi brossé un portrait de l’évolution des civilisations sur lequel je vous propose de terminer.

Il met en exergue ce que manifeste l’évolution musicale, celle des opinons, des conceptions et des croyances. Il ajoute « Les seuls changements importants, ceux d’où le renouvellement des civilisations découle, s’opèrent dans les opinions, les conceptions et les croyances. Les événements mémorables sont les effets visibles des invisibles changements des sentiments des hommes. »

Notre époque se manifeste par une transformation de la pensée humaine, avec la remise en cause de croyances religieuses, politiques et sociales. Notre civilisation se fragilise. Sur ce dernier point, soyons vigilants.

Cependant, ce que nous écoutons, lorsqu’il s’agit des hymnes nationaux ou Européens, peut nous faire retrouver une union autour de valeurs communes dont nous avons besoin.

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