L’Afrique et ses coups d’État, à qui la faute ? Analyse d’une trajectoire d’une histoire sans fin.

 Manifestation d’habitants de Bamako en soutien au coup d’État. (Wikimedia)

Valéry Iragi Ntwali - J
uriste et politiste, chercheur attaché au Centre d’études africaines de l’Université Babes Bolyai de Cluj-Roumanie et au Laboratoire interdisciplinaire d’étude du politique Hannah Arendt des Universités Paris XII et Gustave Eiffel.

Il est sans nul doute vrai que l’Afrique a toujours été un continent d’attraction, de confrontation, d’expérimentation, d’affrontement et d’alimentation en ressources aussi bien humaines, minières, qu’énergétiques etc. mobilisant plusieurs acteurs. Pareil espace ne peut connaître que désastre, désolation, sous-développement, crimes graves, esclavage, pillages etc. Toutefois, rien ne reste statique les choses sont appelées à évoluer et disons, qu’elles ont évolué. De l’Afrique des royaumes et empires (précoloniale) à l’Afrique coloniale et aujourd’hui, celle postcoloniale, celle-ci ne donne que l’image d’une Afrique qui « fait parler d’elle » mais ne « parle pas d’elle ». Et donc, la tendance presque générale est le sentiment de victimisation, de résignation, d’une Afrique qui n’est jamais responsable du mal qui lui arrive qui décharge tout sur les composantes extérieures qui voudraient l’exploiter ou la soumettre à jamais. Et oui, on ne peut pas nier l’histoire mais faut-il que celle-ci se répète chaque fois ? Et pourquoi refuser de tirer les leçons de l’histoire ? Ces deux questions résument sans ambages une Afrique qui refuse le développement, le changement et qui est vouée à la stagnation. Mais c’est de la faute de qui ? Si l’État et le régime démocratique ont été importés et parfois imposés au prix du sang en Afrique, l’autodétermination, l’appropriation ou le rejet de telles institutions démocratiques était-elle ou est-elle impossible dans le contexte africain ?

I. De la rupture voulue à l’impréparation pour les responsabilités : l’échec du premier essai démocratique

Il faut dire que le régime colonial qui a mis en place un système d’exploitation de l’Afrique au profit des puissances colonisatrices ne pouvait pas duré à jamais. L’exploitation appelle asservissement, atrocités, crimes, domination etc. des pratiques inhumaines qui ne pouvaient que faire naître un sentiment de révolution dans le chef des colonisés. Les bouleversements internationaux liés aux deux guerres mondiales ont été d’une importance capitale dans la construction de l’homme noir, le colonisé. Ainsi, ceux qui ont participé à la deuxième guerre mondiale aux côtés des armées des métropoles ont eu l’occasion de comprendre que le colon lui-même était vulnérable comme tout autre homme et que le statut de supériorité de race était à remettre en cause à toute fins utiles. À ceux-ci, se sont ajoutés les évolués, ces colonisés qui en raison de leur formation, de leur travail et de leur pratique quotidienne dans la vie de la colonie, ont eu cette occasion de côtoyer le colon dans ses habitudes, sa façon de vivre et sa façon d’être. Face à leurs concitoyens colonisés, ils avaient un autre statut et se considéraient comme évolués, supérieurs à eux, parce que simplement certains ont eu l’occasion de manger à la table du colonisateur, visiter la métropole ou faire des études. En réalité, c’est dans cette catégorie des colonisés que viendront, ceux qui mèneront le combat de la libération. Ainsi, certains viendront des mouvements syndicaux (Sékou Touré en Guinée), d’autres de race privilégiée par le colon pour gouverner la colonie (les Tutsi au Rwanda et au Burundi) et enfin, quelques révolutionnaires ayant travaillé avec le colon ou l’ayant côtoyé (Lumumba au Congo). Entre volonté de se libérer et désir de se maintenir, le combat sera long, stratégique et même sanglant entre les colons et les colonisés. Au-delà de cette première facette, une autre composante au profit des premiers c’est-à-dire au profit des colonisés a émergée au niveau de l’ONU et celle-ci, sera aussi bien portée par les États-Unis que l’ex. URSS. La séparation sera soit négociée de commun accord entre les leaders indépendantistes et le colon (la majorité des colonies françaises d’Afrique moins la Guinée de Sékou Touré) mettant en place un cadre de coopération postcolonial servant de maintenir les liens historiques entre le colon et ses anciennes colonies (francafrique, accords secrets de défense etc. dans l’Afrique française), soit une rupture totale et dans le sang entre la colonie et le colonisateur (l’Afrique-belge : la RDC, le Rwanda et le Burundi), ne laissant pas directement de place à une coopération et un maintien de lien entre colon et anciennes colonies. Nous nous réservons donc de parler de l’Afrique anglophone qui a connu le même processus mais pour laquelle, la stratégie du colonisateur était totalement différente à celle francophone et belge aussi bien du point de vue de la gouvernance des colonies que de la modalité de rupture.

Le processus de décolonisation va mettre en place l’État africain postcolonial et des institutions étatiques calquées sous le modèle du colonisateur, des constitutions et instruments juridiques importés et difficilement conciliables avec la vie et les pratiques de l’Afrique précoloniale. Mais en réalité, est-ce que cet État n’était pas une stratégie pour le colon de continuer à exercer un contrôle sur ses anciennes colonies ? À première vue, la réponse peut s’inscrire dans l’affirmative. Pourquoi ? Par ce que le colon n’a pas laissé le colonisé choisir le modèle d’organisation politique dans lequel, il devait s’inscrire pour sa réorganisation et son développement mais aussi, par ce que même en léguant ses institutions, le colon n’avait pas pris le soin de préparer la relève dans le chef du colonisé. Et donc, la logique est simple, la première expérience institutionnelle et démocratique de l’Afrique francophone était vouée à l’échec. Oui également par ce que, le colonisateur s’était rassuré du lien de coopération et de l’influence qu’il avait et qu’il devait à tout prix maintenir entre ses remplaçants leaders indépendantistes et toute la démarche qu’il fallait faire, mobilisée pour empêcher les non-dociles et les éléments incontrôlés à conquérir le pouvoir dans les anciennes colonies. Ainsi, la redevabilité démocratique va se transformer en redevabilité envers le maître (l’ancien colon) sans lequel, on n’arriverait pas au pouvoir et dont le maintien de lien de subordination constituerait un crédit de longévité pour le régime. Non par ce que les opinions publiques africaines étaient favorables à une rupture et l’obtention d’une vraie indépendance dont, les élites africaines indépendantistes n’ont fait qu’éclaboussé le rêve par leur désir d’arriver au pouvoir et de le maintenir à leur propre compte et pour les intérêts de leurs maîtres. Elles pouvaient donc s’appuyé sur des telles opinions publiques pour réinventer ce qui serait propre et favorable à leurs États. Les difficultés pour les leaders indépendantistes de faire fonctionner correctement des institutions importées, les demandes sociales des populations sans réponses au niveau institutionnel et socioéconomique ajouté à l’acceptation de la subordination ou non à l’ancien colon vont donner place et un environnement propice aux coups d’État militaires et à l’émergence des régimes militaires. Mais pour quel résultat du point de vue de l’amélioration des conditions de vie et de la stabilité politique des États africains francophones ?

II. Recours aux coups d’État et aux régimes militaires : une solution agonique

Il faut dire d’entrée de jeu que les coups d’État et l’émergence des régimes militaires en Afrique Francophone à partir des années 1965 jusqu’à la période qualifiée de renouveau démocratique (1990) peuvent s’expliquer par plusieurs facteurs : les crises institutionnelles liées à l’échec de la démocratie et de l’État importés, la volonté pour certains leaders indépendantistes de se libérer de l’emprise de l’ancien colon, les crises économiques et sociales, la volonté pour les autres acteurs internationaux de se faire des zones d’influence sur le continent africain (les États-Unis avec Mobutu au Zaïre) etc. Mais en tout état de cause, ces coups d’État vont s’exercer de manière répétitive parfois commandés par l’ancien colon pour renverser un ancien allié devenu incontrôlé ou guidé uniquement par la volonté d’autres militaires à arriver au pouvoir comme l’ont fait les autres. Ce sont effectivement ces régimes militaires qui vont tirés également bénéfice de la guerre froide pour s’inscrire dans la longévité sans précèdent dans l’histoire politique de l’Afrique. Certains putschistes passeront plus de 30 ans au pouvoir (Mobutu, Sasou-Nguesso, Habyarimana etc.), d’autres survivront même face au renouveau démocratique en mélangeant gouvernance militaire au régime démocratique (Idriss Déby au Tchad, Museveni en Ouganda etc.). La caractéristique principale de ces régimes putschistes et militaires va être la gouvernance par la terreur, la kleptocratie, la corruption etc. En réalité, ces régimes vont donc faire application de la stratégie du colonisateur et certains vont même s’appeler des rois, empereur dans des républiques (Mobutu au Zaïre, Bokassa en Centrafrique). C’est la période des hommes forts, pratiquement des nouveaux colons. Ces régimes vont s’enrichir, enrichir leurs maîtres au détriment des populations qui vont vivres une, deux voire trois décennies en chantant la gloire des dictateurs sans tirer bénéfice des richesses de leurs pays. Et donc, le régime militaire et les putschistes des années 1965 à 1990 n’ont pas non plus permis à l’État africain et à ses institutions de répondre aux besoins des populations au même titre que le régime démocratique laissé par le colon au moment des indépendances. La chute du mur de Berlin va redonner place au renouveau démocratique sur le continent africain mais encore une fois, dans la précipitation, l’impréparation et le désir pour les dictateurs de se maintenir au pouvoir. Une démocratie de façade va donc se construire parfois sur pied de consensus après des longues guerres civiles sur le continent (région des Grands Lacs africains par exemple).

III. Le renouveau démocratique : les coups d’État constitutionnels et anticonstitutionnels

Le fait de faire abstraction des leçons de l’histoire et de refuser d’en tirer des enseignements préside à la répétition des mêmes erreurs dans la gouvernance politique et économique du continent africain. La victoire du bloc de l’Ouest sur le bloc de l’Est a favorisé la mondialisation de la démocratie libérale et l’Afrique sans en prendre conscience encore une fois, s’est inscrite dans cet idéal démocratique, parfois par opportunisme ou du moins par besoin de survie sans vraiment en tirer le bénéfice. Le choix des régimes démocratiques par certaines élites africaines peut se comprendre par l’opportunisme pour celles-ci, de profiter des avantages qu’offrait et qu’offre la conditionnalité démocratique pour continuer à bénéficier de l’aide publique au développement sans que celle-ci n’apporte le moindre changement dans la vie socioéconomique des plusieurs peuples africains. Non seulement que l’aide publique maintient le régime de dépendance et de domination de l’Afrique par les autres continents et leurs pays mais aussi, elle est dérisoire et ne répond pas aux besoins des peuples africains. Pourquoi ? par ce que ce sont les élites africaines qui en bénéficient mais aussi, cette aide fait perdurer une coopération déséquilibrée symbole d’un néocolonialisme bien pensé.

Face à cette situation de chaos, les nouveaux acteurs et même certains anciens acteurs viennent avec de nouveaux slogans tirés de la coopération gagnant-gagnant, l’affirmation de la souveraineté des États africains et la non-immixtion dans les affaires intérieures. Mais est-ce que cela est fait pour l’intérêt de l’Afrique ? La réponse semble être négative dans la mesure où, l’objectif de la Chine, la Russie, les États-Unis ou de la France n’est pas le développement de l’Afrique ou des pays africains mais uniquement d’abord, la défense de leurs intérêts et ceux de leurs peuples. C’est donc à l’Afrique de tirer bénéfice de la présence multiple des acteurs internationaux sur le continent africain. La concurrence entre ces acteurs permettrait non seulement à l’Afrique de faire le choix mais aussi d’exiger la qualité dans des projets de coopération avec ces acteurs internationaux. Mais hélas, nous sommes loin de cet idéal. Les élites politiques et militaires africaines en lieu et place de trouver une opportunité d’autonomisation et de redéfinition de la coopération avec les puissances étrangères ou des États étrangers à travers cette fluidité d’acteurs sur le continent, prennent fins et causes de ces puissances étrangères et se combattent entre elles, au profit de ces puissances étrangères sans que l’Afrique n’en tire le moindre profit.

De ce fait, certaines de ces élites vont recourir aux coups d’État constitutionnels à travers le troisième mandat ou des putsch électoraux pour maintenir leurs intérêts propres et ceux de leurs parrains alors que d’autres élites, surtout militaires vont faire recours aux coups d’États militaires pour renverser les élites politiques au pouvoir qu’ils ont autre fois soutenu et protégé contre le peuple dans la quette pour leur troisième mandat. Et si l’on observe bien, les militaires putschistes vont bénéficier du soutien des acteurs internationaux cherchant à surplanter d’autres dans leurs régions d’influence sans que la moindre question liée à l’amélioration des conditions socioéconomiques des peuples africains ne soit posée et si elle est posée par le putschistes, elle ne l’est que de manière populiste. En réalité, le peuple se trouve débarrassé de ceux qui le gouvernaient sur pied des putsch électoraux ou constitutionnels, tout en se voyant gouverner par ceux qui le réprimaient au profit des premiers et d’eux même tout en préservant les intérêts de leurs parrains internationaux également qui assurent la protection de leurs régimes putschistes.

Ce qui est encore surprenant est que les putsch militaires ne viennent que des enfants gâtés au sein des armées africaines : les putschistes africains sont généralement issus des gardes présidentielles, des unités comparables à des milices privées des hommes politiques au pouvoir, chargées d’assurer leur protection et la protection de leurs pouvoirs politiques. Ces unités sont en réalité à la base de l’échec de la transition démocratique en Afrique car ce sont elles qui empêchent toute manifestation, revendication et toute hostilité défavorables aux troisièmes mandats. Et ce qui est déplorable, est qu’à chaque fois que la lutte s’intensifie au niveau de la société civile pour réclamer une bonne gouvernance ou un refus contre un troisième mandat, ces unités profitent de cette lutte citoyenne et démocratique pour faire des coups d’État et apparaître comme des sauveurs du peuple alors qu’en réalité, elles font parties de leurs oppresseurs.

IV. Conclusion

Le développement de l’État africain et l’amélioration des conditions de vie des populations africaines ne viendront pas d’un remplacement d’un maître par un autre, ni de la nature du régime politique choisi encore moins des putschistes opportunistes mais, d’une prise de conscience des élites africaines dans l’impératif de mettre les intérêts de l’Afrique et de leurs peuples au centre de leurs actions. Tout partenaire a comme devise la défense de ses intérêts, il revient également à l’Afrique de bien définir ses intérêts dans un monde globalisé dans lequel, elle peut tirer bénéfice de la concurrence et la fluidité des acteurs internationaux de coopération. Le seul slogan « abat la France » ne suffira pas pour construire et développer les États africains. Par contre, celui-ci, semble plus rendre la tâche facile aux nouveaux acteurs dans l’expansion de leurs stratégies et l’accaparement des ressources minières et autres de l’Afrique. L’exemple du soi-disant « coopération gagnant-gagnant » dans le contrat chinois en République démocratique du Congo peut servir d’exemple.

4 Commentaires

  1. Très bon article, tout y est ! Merci.

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  2. Après lecture, j'ai juste envie de dire que le problème de l'Afrique ce sont les africains...mais il paraît que c'est plus complexe que ça …

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  3. Merci pour cet article, j'aime beaucoup la conclusion

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