■ Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, avec le président des États-Unis, Joe Biden, lors de sa visite en Israël en pleine guerre, le 18 octobre 2023, hôtel David Kempinski à Tel-Aviv. (Wikimedia)
Le samedi 7 octobre 2023, au petit matin, alors que les Israéliens du sud du pays se réveillaient en pleine fête religieuse, des terroristes armés du Hamas ont pénétré le territoire national, tandis que de Gaza, plusieurs milliers de roquettes étaient lancées en direction de l’État hébreu. En riposte à ces attaques, Jérusalem mène en ce moment même des opérations militaires à Gaza, non sans de nombreuses victimes collatérales civiles. Analyse de la situation avec Éric Denécé.
Éric Denécé - Docteur en Science Politique, Habilité à diriger des recherches, directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) et de sa société de conseil en Risk Management (CF2R SERVICES), il a enseigné le renseignement ou l’intelligence économique dans plusieurs écoles de commerce et universités françaises et étrangères (ENA, Ecole de Guerre, Université de Bordeaux IV-Montesquieu, Université de Picardie-Jules Vernes, Bordeaux École de Management) et est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et rapports consacrés au renseignement, à l’intelligence économique, au terrorisme et aux opérations spéciales.
Propos recueillis par Elias Lemrani
Le Contemporain - Quel regard portez-vous sur l’attaque terroriste du Hamas en Israël ? L’Iran serait-il derrière tout cela ? Quelle réponse doit apporter Israël ?
Éric Denécé - Les actes commis par les Brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée du Hamas sont monstrueux et inqualifiables. Ils ont été commis délibérément pour produire un impact psychologique fort et mettre en lumière la faillibité de la sécurité d’Israël, aux yeux de sa population comme du reste du monde.
Concernant l’Iran, je ne crois pas à un pilotage direct de l’opération du 7 octobre. Téhéran est l’ennemi juré d’Israël et soutient tous les groupes opposés à l’État hébreu, parmi eux le Hamas. Mais il faut rappeler que les Iraniens n’ont aucune tendresse pour ce mouvement sunnite qui s’est opposé à leur allié syrien à l’occasion des « révolutions » arabes. Ils l’utilisent comme proxy, mais n’ont pas sur lui l’influence qu’ils ont sur le Hezbollah libanais.
Quant à la réponse d’Israël, s’il est légitime que l’État hébreu riposte énergiquement et soit déterminé à libérer ses otages et à détruire le Hamas, le fait de ne pas se préoccuper davantage des victimes collatérales de ses frappes de riposte et de créer une catastrophe humanitaire à Gaza n’est pas tolérable. Nous observons que cela est déjà très largement contre-productif pour l’image d’Israël dans le monde, y compris en Occident. Mais le gouvernement israélien semble s’en moquer, ce qui est particulièrement inquiétant et pourrait déclencher un conflit plus large avec le monde arabe.
Le Contemporain - Faut-il s’attendre à une extension du conflit au nord avec le Hezbollah ou à l’Iran ? Voire à une nouvelle intifada ? De plus, craignez-vous une extension du conflit en France ?
Difficile à dire, car cela dépend de nombreux facteurs : l’ampleur de la riposte israélienne à Gaza, les pressions des Etats-Unis sur l’Iran, les ordres de l’Iran au Hezbollah, l’attitude de l’Autorité palestinienne et de la population de Cisjordanie, etc. Mais compte tenu du contexte, je crains davantage des actions armées qu’une nouvelle intifada.
Depuis la riposte israélienne, tous les États européens, dont la France, sont le théâtre d’un important accroissement des actes antisémites. C’est stupide, mais préoccupant. Toutefois, je ne crois pas à une « importation » du conflit. Je ne pense que des événements semblables à ce qui est advenu sur un aéroport du Daguestan (Russie) fin octobre se produise en France.
Le Contemporain - Cette guerre sonne-t-elle aussi le glas de l’ère Netanyahou ? Est-ce en quelque sorte l’équivalent pour lui de ce que fut l’épisode de « Lampedusa » pour G. Meloni en Italie ? Révèle-t-elle une défaillance des services secrets israéliens ?
Compte tenu des responsabilités écrasantes de Netanyahou dans ce drame (corruption, dérives autoritaires, alliance avec des partis extrémistes, poursuite de la politique de colonisation, fracturation de la société israélienne, mensonges au sujet de la responsabilité des services de sécurité, etc.), il est essentiel que cet homme sorte rapidement l’histoire, car il est LE problème.
Je crois par ailleurs qu’il faut être prudent lorsque l’on évoque une « défaillance » des services de renseignement israéliens. Cet argument est devenu, depuis le 11 septembre 2001, une « tarte à la crème » qu’exploitent systématiquement les politiques et que reprennent aveuglément les médias. Certes, tout ne semble pas avoir fonctionné au mieux. Certains signes annonciateurs de l’attaque ont probablement échappé aux services ou ont été mal interprétés. Mais le politique qui ne semble pas avoir écouté leurs alertes et avis depuis de longs mois est encore plus coupable. Je pense qu’il est urgent d’attendre les résultats de la commission d’enquête avant de formuler un jugement définitif.
Le Contemporain - Comment interprétez-vous les réactions internationales ? Celles-ci renforcent-elles, comme on peut l’entendre, la césure entre l’Occident et les pays du « Sud global » ?
Absolument, le fossé entre l’Occident, aligné sur la politique américaine, et le reste du monde, qui est apparu lors de la crise d’Ukraine, est en train de se creuser à l’occasion de la riposte d’Israël à Gaza.
Force est de constater que la rapidité et l’ampleur de celle-ci ont en partie neutralisé le capital de sympathie et le soutien dont Israël aurait pu bénéficier davantage. Nous constatons donc que hors du monde occidental (dans lequel des appels à la fin des bombardements se multiplient), la « rue arabe », comme la majorité des États de la planète, jugent disproportionnée l’action de Tsahal. Rappelons également que ces acteurs estiment que l’Occident a toujours fermé les yeux sur le fait qu’Israël n’a quasiment jamais respecté les décisions de l’ONU. Enfin, n’oublions pas qu’Israël est particulièrement critiquable pour son soutien militaire à l’Azerbaïdjan qui s’est livré à un véritable nettoyage ethnique au Haut-Karabakh peuplé d’Arméniens.
Si les Américains soutiennent sans ambiguïté – y compris militairement - Israël, les Européens sont eux davantage sur le fil du rasoir. Ils sont partagés entre : la défense de l’existence de l’État hébreu et la dénonciation claire des atrocités commises par les terroristes du Hamas, d’une part ; et leur soutien à l’aspiration légitime des Palestiniens d’une solution à deux États et la critique des frappes massives qui touchent la population de Gaza, d’autre part.
Indéniablement, le vent tourne. L’avenir sera probablement plus difficile pour Israël avec le recul de l’influence de l’Occident et l’affirmation d’un monde plus multipolaire.
Le Contemporain - Faut-il s’attendre à une extension du conflit au nord avec le Hezbollah ou à l’Iran ? Voire à une nouvelle intifada ? De plus, craignez-vous une extension du conflit en France ?
Difficile à dire, car cela dépend de nombreux facteurs : l’ampleur de la riposte israélienne à Gaza, les pressions des Etats-Unis sur l’Iran, les ordres de l’Iran au Hezbollah, l’attitude de l’Autorité palestinienne et de la population de Cisjordanie, etc. Mais compte tenu du contexte, je crains davantage des actions armées qu’une nouvelle intifada.
Depuis la riposte israélienne, tous les États européens, dont la France, sont le théâtre d’un important accroissement des actes antisémites. C’est stupide, mais préoccupant. Toutefois, je ne crois pas à une « importation » du conflit. Je ne pense que des événements semblables à ce qui est advenu sur un aéroport du Daguestan (Russie) fin octobre se produise en France.
Le Contemporain - Cette guerre sonne-t-elle aussi le glas de l’ère Netanyahou ? Est-ce en quelque sorte l’équivalent pour lui de ce que fut l’épisode de « Lampedusa » pour G. Meloni en Italie ? Révèle-t-elle une défaillance des services secrets israéliens ?
Compte tenu des responsabilités écrasantes de Netanyahou dans ce drame (corruption, dérives autoritaires, alliance avec des partis extrémistes, poursuite de la politique de colonisation, fracturation de la société israélienne, mensonges au sujet de la responsabilité des services de sécurité, etc.), il est essentiel que cet homme sorte rapidement l’histoire, car il est LE problème.
Je crois par ailleurs qu’il faut être prudent lorsque l’on évoque une « défaillance » des services de renseignement israéliens. Cet argument est devenu, depuis le 11 septembre 2001, une « tarte à la crème » qu’exploitent systématiquement les politiques et que reprennent aveuglément les médias. Certes, tout ne semble pas avoir fonctionné au mieux. Certains signes annonciateurs de l’attaque ont probablement échappé aux services ou ont été mal interprétés. Mais le politique qui ne semble pas avoir écouté leurs alertes et avis depuis de longs mois est encore plus coupable. Je pense qu’il est urgent d’attendre les résultats de la commission d’enquête avant de formuler un jugement définitif.
Le Contemporain - Comment interprétez-vous les réactions internationales ? Celles-ci renforcent-elles, comme on peut l’entendre, la césure entre l’Occident et les pays du « Sud global » ?
Absolument, le fossé entre l’Occident, aligné sur la politique américaine, et le reste du monde, qui est apparu lors de la crise d’Ukraine, est en train de se creuser à l’occasion de la riposte d’Israël à Gaza.
Force est de constater que la rapidité et l’ampleur de celle-ci ont en partie neutralisé le capital de sympathie et le soutien dont Israël aurait pu bénéficier davantage. Nous constatons donc que hors du monde occidental (dans lequel des appels à la fin des bombardements se multiplient), la « rue arabe », comme la majorité des États de la planète, jugent disproportionnée l’action de Tsahal. Rappelons également que ces acteurs estiment que l’Occident a toujours fermé les yeux sur le fait qu’Israël n’a quasiment jamais respecté les décisions de l’ONU. Enfin, n’oublions pas qu’Israël est particulièrement critiquable pour son soutien militaire à l’Azerbaïdjan qui s’est livré à un véritable nettoyage ethnique au Haut-Karabakh peuplé d’Arméniens.
Si les Américains soutiennent sans ambiguïté – y compris militairement - Israël, les Européens sont eux davantage sur le fil du rasoir. Ils sont partagés entre : la défense de l’existence de l’État hébreu et la dénonciation claire des atrocités commises par les terroristes du Hamas, d’une part ; et leur soutien à l’aspiration légitime des Palestiniens d’une solution à deux États et la critique des frappes massives qui touchent la population de Gaza, d’autre part.
Indéniablement, le vent tourne. L’avenir sera probablement plus difficile pour Israël avec le recul de l’influence de l’Occident et l’affirmation d’un monde plus multipolaire.
Ceux qui proclament que le pouvoir chiite de Téhéran ne saurait soutenir le Hamas sunnite révèlent une profonde méconnaissance du sujet (ou un biais volontaire).
RépondreSupprimerL'ayatollah Khomeini, préparant sa doctrine avant d'arriver au pouvoir a écrit et déclaré: "Israël est l'ennemi de l'ISLAM".
Pas de distinction entre les 2 courants, mais au contraire, une référence à la totalité du monde musulman, à la globalite des croyants.
De plus, Ali Akbar Velayati, conseiller de Khamenei pour les affaires internationales a clairement exprimé, 48 heures après l'attaque du Hamas, la totale implications des Gardiens de la révolution dans l'opération.
En conséquence avancer la thèse que Téhéran ne peut soutenir le Hamas revient à opter, volontairement, d'absoudre Téhéran de la responsabilité des massacres commis.
Gérard Vespierre.
Ma tribune : https://www.lecontemporain.net/2023/10/g-vespierre-liran-choisi-de-faire.html
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