Les professionnels de santé sont, tout au long de leur carrière, confrontés aux questions éthiques, qui se distinguent des questions déontologiques, même si, dans de nombreux cas, ces questions sont intimement liées.
Alors que les considérations déontologiques ont une dimension juridique normative (code de déontologie des médecins, dans le code de la Santé Publique dans les articles R.4127-1 à R.4127-112) et dont les manquements peuvent être sanctionnés, les considérations éthiques relèvent plutôt de la morale.
L’utilisation des avancées technologiques en matière de santé pose sur ce terrain de nouvelles questions pertinentes.
Ces questions sont d’autant plus d’actualité qu’à l’heure où la France est traversée par un débat sur la fin de vie, un article paru le 6 septembre 2023 dans la revue américaine Nature pose le débat sur l’embryon, c’est-à-dire le début de la vie.
La clarté de ce débat éthique d’actualité impose de rappeler les fondements de l’éthique médicale, laquelle se base sur de nombreux textes, parmi lesquels le serment d’Hippocrate que l’Ordre National des Médecins a revu en 2012.
La déclaration de Genève adoptée par l’assemblée générale de l’Association médicale mondiale en 1948, a fait l’objet de plusieurs révisions et précise, notamment « je veillerai au respect absolu de la vie humaine ».
Adoptée en 2011 par le Conseil Européen de l’Ordre des Médecins, la charte d’éthique médicale européenne met à jour les principes d’éthique médicale européens, en distinguant ce qui relève de l’éthique de ce qui constitue la déontologie.
Cette charte est à mettre en perspective avec la Déclaration d’Helsinki de l’Association Médicale Mondiale qui traite de la recherche médicale impliquant des êtres humains.
Là est, du reste, le problème des cellules souches qui imposeront, dans la futur de définir, au plan éthique, ce qu’est un être humain.
Enfin, dans un contexte où fleurissent les comités d’éthique dans les établissements de santé, il convient de signaler l’apport particulièrement important en France du comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé qui est chargé de donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevées par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et la santé.
Au niveau régional, il se décline dans les Espaces régionaux de réflexion éthique.
En France, la loi du 6 août 2013 a supprimé le principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon, mais elle a maintenu un régime d’autorisation encadrée, dans un contexte où la possibilité de mener des études n’est plus mentionnée dans la loi.
En dehors de la France, les législations encadrant ces recherches sont diverses.
C’est dans ce contexte que des chercheurs de l’Institut Weizmann, en Israël ont publié un article dans la Revue Nature relatif au développement d’embryons qualifiés de synthétiques, c’est-à-dire créés sans une rencontre entre un ovule et un spermatozoïde.
En substance, ces chercheurs ont annoncé une percée dans la capacité à redonner un caractère totipotent à une cellule différenciée, dans un contexte où, naturellement, une cellule différenciée perd définitivement cette capacité totipotente, c’est-à-dire la capacité de se diviser et de donner naissance à toutes sortes de nouvelles cellules différentiées évoluant vers la production de toutes sortes d’organes.
Cette capacité à convertir une cellule différentiée en cellule souche totipotente ouvre la voie à l’étude du développement des organes du corps humain et, à terme, à l’espoir de pouvoir reconstruire des organes sains pour les substituer à des organes malades sans risque de rejet.
Si le but est louable, l’article précise que les cellules souches, issues de cellules différentiées, se comportent comme des cellules embryonnaires, c’est à dire qu’à 24 semaines elles semblent être capables de continuer à se développer pour donner un embryon complet.
À la 14ème semaine de développement, l’embryon synthétique commence à former ses premiers organes et son cœur commence à battre.
C’est là qu’émerge la question éthique.
Pour Saint-Thomas d’Aquin, comme pour Kant, le concept de personne a toujours été basé sur l’aptitude à la raison, c’est-à-dire des capacités comme la conscience de soi, la faculté de prendre des décisions ou la conscience morale.
Mais, l’embryon est-il doué de raison, l’embryon est-il une personne ou une potentialité de personne ? Existe-t-il, ou non, une bascule entre le moment de la fécondation où l’embryon n’est composé que d’une seule cellule à celui où l’on commence à distinguer des organes et des membres ?
La question se pose même, aujourd’hui, différemment puisque les embryons en question sont présentés comme synthétiques, c’est-à-dire artificiellement créés.
L’homme, dans la recherche, prend un rôle démiurge, dans lequel la question des implications éthiques est centrale.
Les religions apportent à ces questions des réponses diverses.
La conférence des évêques suisses avait par exemple souligné en 2016 que « L’embryon est déjà une vie, dotée d’une dignité humaine. La vie est un don de Dieu, elle est intangible et doit être respectée intégralement. »
Dans le même temps, le « Conseil rabbinique de Suisse », présidé par le rabbin Hervé Krief de Lausanne, après avoir consulté d’autres autorités rabbiniques et discuté avec des scientifiques, avait exprimé son soutien à la recherche sur les cellules souches en précisant : « Pour les juifs, la vie ne commence ni lors de la fécondation, ni lors de l’accouchement, mais au 40e jour de la gestation. Auparavant le fœtus n’est pas considéré comme une personne […]. On pourrait donc en conclure […] que jusqu’à ce 40e jour, il est possible de détruire ces embryons surnuméraires, et même si tous les « poskim», ne se rangent pas derrière cette interprétation, la plupart le font.»
Dans le même débat, Hafid Ouardiri, porte-parole de la mosquée de Genève avait précisé « Dans la religion musulmane, l’embryon est considéré comme appelé à devenir un être humain à part entière. Il doit donc faire l’objet d’un respect très important. Il y a cependant plusieurs écoles quant à son intangibilité, qui évaluent la question différemment selon le stade de développement de l’embryon. Mais l’avortement est permis si la vie de la mère est en danger. Personnellement, je n’ai pas suffisamment de garanties et, dans le doute, je préfère m’abstenir.
Pour ma part, les choses sont simples :
Un embryon qui ne serait pas issu d’une rencontre de gamètes n’a pas vocation à se développer ;
Il nous faut cependant réfléchir à tout ce que cette technique peut nous apporter de bon, en termes d’évolution de la médecine ;
Il faut, dans cette réflexion, toujours conserver à l’esprit l’essentiel qui est le respect et la dignité de l’être humain, en tant qu’être vivant.
Ainsi, je vous invite à réfléchir sur ce qui définit l’être humain, le sens de la vie et la place que nous y tenons, dans notre grande histoire commune, celle de l’humanité.
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