La violence légitime

 Maître Jean-Philippe Carpentier.


Par Maître Jean-Philippe Carpentier - Avocat au barreau de Paris et consul honoraire du Luxembourg avec juridiction sur la Normandie.


Le « monopole de la violence légitime » de l’État, des cités à la biographie d’Elon Musk

La notion de « monopole de la violence légitime » est souvent utilisée par les journalistes ou le monde politique.

Elle a été, pour la première fois théorisée en 1919, lors d’une conférence du philosophe et sociologue Max Weber. Il exposait alors : « l’État est cette communauté humaine, qui à l’intérieur d’un territoire déterminé (...) revendique pour elle-même et parvient à imposer le monopole de la violence physique légitime. »

Une lecture approfondie permet de comprendre, sur le fond, ce que Max Weber souhaitait alors conceptualiser.

Il n’avait pas pour ambition de justifier la violence de l’État envers le peuple, mais il posait au contraire les bases de la définition moderne de la souveraineté.

Loin d’être ambigüe chez Max Weber, la notion de légitimité de la violence renvoie à la reconnaissance de l’État comme dépositaire d’un pouvoir de trancher les conflits, pouvoir reconnu par ceux qui se réclament citoyens d’un pays. Il s’en déduit un abandon par ces derniers de la faculté de se faire justice soi-même, avec comme corollaire la notion d’état de droit, de justice, de police etc…

C’est là que point l’actualité et les faits de délinquance dont se font tous les jours l’échos les média.

Une femme a été tuée par balle à Marseille, victime innocente, collatérale, du fléau du narcobanditisme qui gangrène les cités et étend désormais son influence sur une grande partie des territoires des pays européens.

S’est ainsi, progressivement, mise en place dans les cités une organisation sociale différente où une minorité de délinquants impose une nouvelle violence et crée ainsi de nouvelles règles. La question du rôle de l’État devient alors centrale pour faire revenir ces territoires où prospère la délinquance dans le giron de l’État de droit.

C’est dans ce contexte que se pose la question initiale de l’État dépositaire de la violence légitime et de l’usage même de cette violence, dans des territoires, où, l’actualité l’a également montré, l’usage par l’État de ses pouvoirs régaliens peut vite dégénérer en émeutes urbaines.

La réponse à ces questions nécessite une articulation entre une forme de fermeté indispensable face à la délinquance, sous toutes ses formes, sans amalgame, et un effort en matière d’éducation et de formation, notamment à l’histoire, pour permettre à chacun d’accéder à la connaissance, à la culture et faire en sorte que cette cuture, cette histoire partagée et connue, devienne un nouveau ciment de cohésion.

En tout état de cause, l’État ne peut pas abandonner ce monopole de la violence légitime, et donc son droit d’exercer ses pouvoirs régaliens, dans toutes leurs dimensions, en articulant le pouvoir répressif, indispensable avec le pouvoir éducatif, tout en développant l’accès à la culture.

La question de la violence légitime ne se cantonne cependant pas à une vision sociétale, en lien avec la délinquance, mais elle concerne également la capacité d’individus à s’immiscer dans le régalien, sans avoir préalablement cherché auprès de la puissance publique l’autorisation de s’y substituer.

La biographie autorisée d’Elon Musk, le patron de Tesla et de Space X, signées Walter Isaacson pose en large part ce débat.

L’auteur y expose qu’Elon Musk aurait empêché l’armée ukrainienne de détruire la flotte russe de la mer Noire l’an dernier, en recourant au blocage du réseau satellitaire Starlink, pour éviter le déclenchement d’une nouvelle guerre mondiale. Pourtant, par le truchement du même réseau Starlink, il avait, dans un premier temps, permis à l’Ukraine d’échapper aux tentatives de coupures générales d’électricité russes.

La problématique de la légitimité se pose ainsi d’une nouvelle manière puisqu’un homme, ou une multinationale, peut influencer une guerre, en dehors de toute intervention des États concernés ou des structures inter-étatiques.

En l’espèce, ce point à nuancer, s’agissant d’Elon Musk, puisque la biographie ne précise pas si cette intervention était celle d’un homme seul ou si elle est intervenue à l’initiative ou en coordination avec l’État américain.

Il n’en demeure pas moins que le contrôle de la technologie offre à d’autres que les États, des capacités d’influencer la géopolitique internationale en dehors du champ de la violence légitime au sens de Max Weber.

Se pose ainsi, en parallèle de la question de la délinquance, celle de l’état de droit, de la mise en place de règles juridiques internationales et de la capacité des États à les faire respecter.

Il devient nécessaire de redéfinir, au XXIème siècle la souveraineté sa capacité, en termes d’effectivité, à mettre en œuvre les corpus juridiques, tant des États que des plus grands ensembles comme l’Union Européenne.

Cette question nécessite une réflexion de fond pour redéfinir ce qui ressort du régalien, de ses modalités d’exercice et de contrôle, face à une mondialisation qui s’impose.

Il s’agit ici, sans nier la réalité, mais pour les États de reprendre le contrôle de cette violence légitime au sens de Max Weber et dans ce contexte, la culture et sa diffusion permettra, par la cohésion qu’elle convoque, de retrouver le sens des valeurs de notre civilisation et faire société.

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