Sur la carte, il n’existe plus de Terra Incognita, cette contrée lointaine au bord du monde, peuplée de monstres et de magie. Le monde a été découpé et cartographié. Autrefois, les nomades parcouraient de vastes étendues. Puis vint l’exode vers les villes. Les contours urbains se dessinent en lignes géométriques, des plans clairs et nets. Les matériaux utilisés sont des métaux et des plastiques, uniformes et homogènes. Les couleurs sont vives et criardes. L’artificiel est saturé de clarté. Alors on s’évade dans la nature. La nature, quant à elle, est nuancée jusque dans sa simplicité. Les lacs sont translucides et profonds, et le ciel arbore des teintes pastel. La nature voilée suggère davantage qu’elle ne révèle. Le bois d’une canne ou l’argile d’un bol présentent des variations dans leurs teintes et leurs textures, des méandres qui laissent entrevoir des formes étranges. Si la nature profonde est géométrique, et si la vérité ultime est mathématique, alors nous, nous sommes autre chose. Le miroir tendu par la science et les technologies est plat et lisse. La modernité possède ses attraits. Un paysage voilé de brume ou de pénombre est beau différemment. La pénombre enveloppe la nature d’un voile et révèle un intérieur riche, mystérieux et magique, profond et inquiétant. L’imagination se réverbère dans ce voile, et la frontière entre le dedans et le dehors n’est plus très claire, plus très nette. L’imagination plonge son regard dans le reflet d’un puits intérieur sans fond. On s’enfonce dans la forêt. La nuit, les bruissements se transforment en voix indistinctes chuchotant dans une langue énigmatique. La nuit, les ombres se fondent furtivement dans une végétation obscure flottant dans l’air mouvant. Ce sont les fantômes et les voix intérieures qui s’aventurent dehors, nous interpellent et se dérobent. On s’enfonce dans la forêt, mais soudain on tombe sur une Zone À Défendre. La forêt n’est plus propice à accueillir les êtres de notre imagination. La nature sauvage qui entourait autrefois le village a été remplacée par des réserves naturelles, de petites zones vertes entourées de béton. Le dehors et le dedans s’inversent. La nature se réduit progressivement à des plantes d’intérieur et à des animaux domestiques. Alors on s’évade dans les écrans. C’est le grand exode vers la réalité virtuelle. Et on se noie dans des torrents de signes. L’espace se contracte et le temps s’écoule plus vite. Avec nos machines, nous accomplissons davantage en une seule journée. Avec les téléphones, l’espace s’est réduit, il a disparu. La Terre est devenue un village. Les saisons étaient autrefois cycliques. Les villageois observaient le passage des saisons. Mais le temps devient linéaire et s’accélère. D’un siècle à l’autre, d’une décennie à l’autre, d’une année à l’autre, le monde change. Tout va trop vite, il y a trop de problèmes, trop de bruits, trop de choses qui requièrent notre attention. Le jour, le vacarme règne et ses échos se prolongent dans la nuit. À force d’être dérangés, on devient dérangés. On voudrait bien tout ignorer. Alors on s’évade au monastère. Frère Jacques ne va pas sauver le monde. Sa tâche est de sonner les matines. Sa cellule n’est pas décorée pour ne pas déranger les yeux. Et il n’allume pas de bougie pour ne pas déranger l’obscurité. L’obscurité est immense dans sa petite cellule vide. Tout est calme. C’est bien. Bientôt, il réveillera les autres. Leur réveil sera brutal, mais l’écho des cloches laissera vite place au silence. Frère Jacques profite de ce moment. Dans l’obscurité silencieuse, il ne manque de rien, il déborde de gratitude ou prie pour les autres. Un rayon de lumière chasse alors l’obscurité. Entre les murs, à l’abri, il prend son temps. Mais le jour s’est levé et il a oublié les matines. Au monastère, aussi, il y a des choses qui clochent. Alors frère Jacques rêve d’une grotte, là-haut dans la montagne.
Sur la carte, il n’existe plus de Terra Incognita, cette contrée lointaine au bord du monde, peuplée de monstres et de magie. Le monde a été découpé et cartographié. Autrefois, les nomades parcouraient de vastes étendues. Puis vint l’exode vers les villes. Les contours urbains se dessinent en lignes géométriques, des plans clairs et nets. Les matériaux utilisés sont des métaux et des plastiques, uniformes et homogènes. Les couleurs sont vives et criardes. L’artificiel est saturé de clarté. Alors on s’évade dans la nature. La nature, quant à elle, est nuancée jusque dans sa simplicité. Les lacs sont translucides et profonds, et le ciel arbore des teintes pastel. La nature voilée suggère davantage qu’elle ne révèle. Le bois d’une canne ou l’argile d’un bol présentent des variations dans leurs teintes et leurs textures, des méandres qui laissent entrevoir des formes étranges. Si la nature profonde est géométrique, et si la vérité ultime est mathématique, alors nous, nous sommes autre chose. Le miroir tendu par la science et les technologies est plat et lisse. La modernité possède ses attraits. Un paysage voilé de brume ou de pénombre est beau différemment. La pénombre enveloppe la nature d’un voile et révèle un intérieur riche, mystérieux et magique, profond et inquiétant. L’imagination se réverbère dans ce voile, et la frontière entre le dedans et le dehors n’est plus très claire, plus très nette. L’imagination plonge son regard dans le reflet d’un puits intérieur sans fond. On s’enfonce dans la forêt. La nuit, les bruissements se transforment en voix indistinctes chuchotant dans une langue énigmatique. La nuit, les ombres se fondent furtivement dans une végétation obscure flottant dans l’air mouvant. Ce sont les fantômes et les voix intérieures qui s’aventurent dehors, nous interpellent et se dérobent. On s’enfonce dans la forêt, mais soudain on tombe sur une Zone À Défendre. La forêt n’est plus propice à accueillir les êtres de notre imagination. La nature sauvage qui entourait autrefois le village a été remplacée par des réserves naturelles, de petites zones vertes entourées de béton. Le dehors et le dedans s’inversent. La nature se réduit progressivement à des plantes d’intérieur et à des animaux domestiques. Alors on s’évade dans les écrans. C’est le grand exode vers la réalité virtuelle. Et on se noie dans des torrents de signes. L’espace se contracte et le temps s’écoule plus vite. Avec nos machines, nous accomplissons davantage en une seule journée. Avec les téléphones, l’espace s’est réduit, il a disparu. La Terre est devenue un village. Les saisons étaient autrefois cycliques. Les villageois observaient le passage des saisons. Mais le temps devient linéaire et s’accélère. D’un siècle à l’autre, d’une décennie à l’autre, d’une année à l’autre, le monde change. Tout va trop vite, il y a trop de problèmes, trop de bruits, trop de choses qui requièrent notre attention. Le jour, le vacarme règne et ses échos se prolongent dans la nuit. À force d’être dérangés, on devient dérangés. On voudrait bien tout ignorer. Alors on s’évade au monastère. Frère Jacques ne va pas sauver le monde. Sa tâche est de sonner les matines. Sa cellule n’est pas décorée pour ne pas déranger les yeux. Et il n’allume pas de bougie pour ne pas déranger l’obscurité. L’obscurité est immense dans sa petite cellule vide. Tout est calme. C’est bien. Bientôt, il réveillera les autres. Leur réveil sera brutal, mais l’écho des cloches laissera vite place au silence. Frère Jacques profite de ce moment. Dans l’obscurité silencieuse, il ne manque de rien, il déborde de gratitude ou prie pour les autres. Un rayon de lumière chasse alors l’obscurité. Entre les murs, à l’abri, il prend son temps. Mais le jour s’est levé et il a oublié les matines. Au monastère, aussi, il y a des choses qui clochent. Alors frère Jacques rêve d’une grotte, là-haut dans la montagne.
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