Nous réapproprier notre Histoire pour lutter contre la « Décivilisation »

 Maître Jean-Philippe Carpentier.

« Décivilisation ». Le mot a fait couler beaucoup d’encre ces derniers mois, suite à son utilisation par le Président de la République. Me Carpentier nous offre dans cette tribune son regard sur ce mot et sur ce qu’il révèle de notre société, en manque de liens, de « chose à aimer ».


Depuis quelques semaines, l’actualité s’empare du terme « décivilisation », l’employant dans tous les sens.

Pourtant au cœur de ce terme figure celui de civilisation qui est lui-même polysémique.

Le petit Larousse précise que la civilisation est un « État de développement économique, social, politique, culturel auquel sont parvenues certaines sociétés et qui est considéré comme un idéal à atteindre par les autres. »

Cette définition ne saurait masquer que la civilisation recouvre aussi les caractéristiques propres d’un pays, d’une société, déclinées sous de nombreux champs, matériel, moral, artistique, culturel, intellectuel…

Enfin, l’action de civiliser un pays, s’accompagne parfois de conquêtes et d’une volonté d’imposer à un peuple ou une nation toutes les caractéristiques civilisationnelles d’un autre peuple.

Des siècles après que les Romains aient civilisé la Gaule, Stendhal propose dans Promenade dans Rome sa vision de Rome civilisée, manu militari par la France : « En 1809, elle (Rome) se vit réunie à l’Empire français, et le Code civil commença à la civiliser, en montrant à tous que la justice est le premier besoin. La conscription était vue avec horreur mais les conscrits qui sont revenus civilisent leurs villages, comme le font en Russie les soldats qui ont vu la France. »

Il est ainsi complexe d’appréhender le concept de civilisation qui regroupe tout autant un ensemble de caractéristiques, une culture, de celui de la conquête par l’imposition d’une nouvelle civilisation, perçue comme supérieure à l’aune des conquérants.

Qu’est, dans ce cadre, la décivilisation ?

Ce concept est emprunté au sociologue Norbert Elias qui a théorisé la possibilité de mouvements de « régression » de la civilisation.

Elias considère ainsi que la monopolisation de la violence, par un mécanisme de contrôle et de surveillance de la société, pacifie l’espace social et oblige un refoulement des pulsions violentes et agressives, en déduisant que « la violence est reléguée au fond des casernes ; elle n’en sort que dans des circonstances extrêmes » .

En se penchant sur l’habitus national des Allemands et les processus sociaux qui ont rendu possible la montée du nazisme, Elias caractérise l’« effondrement de la civilisation », bref, la décivilisation.

Les travaux d’Elias apportent, au-delà des clés de compréhension du concept de décivilisation, un commencement de réponse, pour lutter contre ce processus.

Pour Elias, l’Allemagne ne s’était jamais remise de sa défaite à l’issue de la première guerre mondiale et la décivilisation de l’Allemagne sous le régime nazi dérivait d’une prise de conscience du fait que le pays ne recouvrerait jamais sa grandeur perdue.

Appliquer la pensée d’Elias à notre monde moderne ne peut pas se cantonner à faire le constat que la montée des violences dans notre société entraîne un processus de décivilisation.

Notre société, fragmentée et fragilisée par l’accroissement des dangers et la montée des incertitudes, voit, peu à peu se déliter son ciment culturel et prospérer des comportements où la norme n’est plus générale, mais individuelle, et où la notion de minorité devient centrale.

Pourtant la désunion et le délitement de notre socle de valeurs communes n’est pas une fatalité.

Avant toute chose, l’Etat, monopoleur de la violence légitime, se doit de faire respecter l’état de droit.

Reste ensuite à faire société et passer au-delà de ce qui divise pour trouver ce qui unit.

Il suffit de regarder l’intérêt croissant pour l’histoire et le patrimoine pour comprendre que l’étude et l’héritage du passé peuvent nous unir.

La France ne s’est pas faite en un jour, mais elle procède d’une imbrication de territoires qui au fil des siècles ont su dégager ce qui les unissait.

François Ier, avec l’ordonnance de Villers Cotteret, toujours applicable aujourd’hui, a posé un des fondements majeurs de l’unité nationale en imposant l’usage du français.

Cet usage, au-delà de nous unir, nous fait rayonner encor aujourd’hui dans les pays francophones.

Louis XIV, par la création des académies royales a permis de rassembler les érudits, scientifiques et créateurs les plus remarquables, favorisant, ainsi l’accès au savoir.

La France a rayonné dans tous les domaines et le patrimoine qu’il a laissé, Versailles par exemple, reste aujourd’hui un facteur de rayonnement du pays.

Nous devons à Napoléon le code civil qui régit toujours nos rapports interpersonnels. Ce code a su s’adapter et constitue un facteur majeur d’union des Français et de rayonnement au sein des pays dont le droit civil trouve toujours ses fondements dans le code civil impérial, le Luxembourg en est un exemple.

Dans les guerres, les Français ont toujours su s’unir et résister.

L’histoire de France fourmille de situations où l’union a prévalu et où la grandeur de la France a su s’imposer et où les valeurs de la France ont su unir.

Alors, étudions notre histoire, comprenons notre histoire et cherchons à en dégager ce qui peut nous unir, ce qui nous rend fiers et ce que sont nos valeurs communes et mettons-les en œuvre pour le bien commun.

« De remède, il n’y en qu’un. Donner aux Français quelques chose à aimer. Et leur donner d’abord à aimer la France ».

Ces propos prononcés par Simone Weil en 1943 sont d’une troublante actualité.

La décivilisation n’est pas une fatalité et notre communauté de destin, français et européen, trouvera son socle dans notre histoire, notre patrimoine et nos valeurs partagée.

Laissez-nous un commentaire

Plus récente Plus ancienne