I. La dynamique
Le principe du complotisme dans toutes ses versions est basé sur une ambiance psychologique paranoïaque dans laquelle s’installent les personnes fragiles, ou les groupes protestataires extrêmes pour attirer l’attention, puis l’adhésion. L’imaginaire y joue un rôle majeur, les plus célèbres idées complotistes folkloriques étant les « Illuminati », groupe censé diriger en secret la planète, les platistes, convaincus que la terre est plate, et les mytho-théories expliquant que nous ne sommes pas allés sur la lune etc… Les geeks et accros aux réseaux sociaux constituent une bonne partie du moteur de diffusion et de réception. La question n’est pas de juger mais de voir comment la politique peut utiliser des tendances complotistes et l’imaginaire pour servir la soupe à une audience dont l’étendue est surprenante par sa dimension en France. En politique, le ressort utilisable pour emmener une audience vers des théories fumeuses reste l’indice, l’exemple ou le cas qui existe toujours pour expliquer un fléau général, une menace ou un sombre projet à combattre. Le lien suivant (IFOP-Reboot) propose une étude complète sur l’Information et le Raisonnement Critique. Présentation PowerPoint (ifop.com)
II. Le marketing
La « complotique » est un mix du folklore et de la politique. C’est également un moyen marketing pour regrouper l’attention autour d’un concept unique et potentiellement fédérateur. La haine, ou la peur, et bien souvent les deux, servent de terreau à cet asile d’ignorance. Dans le cas de Reconquête (E. Zemmour), des Patriotes (F. Philippot), de l’ex Front National puis nouveau RN avec plus de manières civilisées, ainsi que LFI et quelques écologistes radicaux, nous avons de vrais cas. Le fameux « grand remplacement » de Reconquête, censé représenter le danger d’une expansion islamiste sur l’Occident ressemble au fantasme Illuminati : un pouvoir obscur et mondial. D’autres pensent qu’il s’agit moins du Djihad, pour tirer les ficelles, que de la finance internationale, des Francs-maçons ou des médias. Jeanne d’Arc, icône du RN, est la figure historique de la résistance française à l’envahisseur étranger (guerre de cent ans face aux anglais), encourageant les réflexes xénophobes dans les rangs les plus fanatiques. Ils auraient pu choisir Jean Moulin, mais l’historique de fondation du FN rend cette idée paradoxale. Imaginer des ennemis et glorifier une icône ressemblera toujours aux principes qui ont mené le 20e siècle à la guerre. Les peurs fondamentales des gens, confortées par des faits isolés, s’expriment ensuite sur le social média, que ce soit par recherche de thérapie inavouée et personnelle ou réelle conviction d’une présence malveillante à tous les étages de la société. Ce qui transforme le fantasme ridicule de quelques-uns en groupes de personnes volumineux et convaincus, c’est la capacité de certains politiques à raccrocher à ces imaginaires de réels exemples et d’en tirer des généralités, voire des programmes. L’exemple de la récupération politique du récent drame d’Annecy (enfants poignardés par un Syrien en provenance de Suède) est typique. L’origine ethnique du coupable de cette barbarie se suffit à elle-même pour embrayer vers un discours de mise en cause de l’immigration et de l’espace Schengen, seule source de prolifération de la criminalité pour les partis d’extrême droite. Un événement avec amalgame et le tour est joué. Un proche cousin du complotisme est ici exposé par l’IFOP au travers de l’opinion des français : Le regard des Français sur l’obscurantisme - IFOP
Le terreau des complotismes politiques d’opposition est constitué de 3 étages assez solides pour construire une vérité alternative :
- La très mauvaise image des dirigeants politiques
- Les crimes et délits réels commis dans la société
- L’état de stress ou d’angoisse de l’opinion
III. Les médias
Les médias jouent un rôle majeur dans la diffusion et l’ancrage d’idées complotistes. Les exemples les plus flagrants viennent d’outre-Atlantique dans la période de la présidence Trump, avec un envahissement quotidien via twitter et Fox News de théories du complot aussi diverses que folkloriques durant ce mandat et encore aujourd’hui. D’après l’étude IFOP AMB-USA d’avril 2023, 55% des américains croient aux théories du complot et aux thèses conspirationnistes. En France, 35% de nos concitoyens le déclarent également, ce qui reste un chiffre énorme et donc la cible privilégiée de la « complotique » !
La télévision russe, aujourd’hui « mono-discours » atteint des sommets dans ce domaine avec l’un des principes fondamentaux du complotisme politique qui consiste tout simplement à renvoyer la responsabilité de ses fautes à celui qui en est victime. Il y a là une comparaison parfaite de ce que fait le Kremlin dans sa communication avec ce qu’on fait de nombreux violeurs en expliquant « qu’elle l’avait bien cherché ». En France, les groupes de médias sont un peu plus retenus mais la tendance journalistique CNews /Europe1 reste à la frontière d’un complotisme de droite, finalement historiquement présent en France : Gringoire, Je Suis Partout, Le Matin sont 3 exemples anciens d’un complotisme qui a viré au collaborationnisme pendant l’occupation. Le fait est que la vision paranoïaque de la politique conduit toujours à celle du despotisme. Le dernier triste exemple est la destinée de France Soir, plus grand quotidien d’après-guerre devenu une chaîne YouTube complotiste écologiste sans journaliste, finalement interdite le 11 mars 2021.
IV. La vérité attendra
La « complotique » reste un mot inventé bien que couramment mis en pratique. La démocratie en France comme en Europe a pour fondamentaux l’existence et la défense des libertés, dans le cadre légal. Ce cadre est suffisamment large pour que le marketing et la communication des extrêmes, des militantismes exacerbés, ou des minorités politiquement récupérées génèrent ce mot et en fasse des groupes de pensée et parfois d’action. L’action syndicale, à l’inverse, a récemment démontré que la protestation pouvait être massive et respectueuse de ces libertés, rendant ainsi obsolètes les formes perverties d’opposition au pouvoir. Il y a donc de la place pour une expression opposante sans complotisme. Le gouvernement actuel ferait d’ailleurs bien de lâcher du lest pour renouer un dialogue, car son suivi millimétré des articles de la constitution pour bloquer les votes de l’Assemblée Nationale offre un prétexte parfait aux théories complotistes. L’Esprit des lois de Montesquieu, et non les seules lois, pourrait revenir un peu à la mode pour revigorer la démocratie perçue par les français, et éloigner les mauvais rêves.
Il y a au fond trois sortes de gens pour qui la « complotique » peut représenter un espoir politique : les démunis sociaux ou psychologiques qui n’ont plus rien à perdre, quelques intellectuels nantis vieillissants et nostalgiques qui refusent de disparaitre, et celle des ténors politiques qui les séduisent.
Pour eux, la vérité peut attendre, mais pas le pouvoir.
Note de l’auteur
Cet article ne représente pas une critique sur le fond des personnes publiques , mais une analyse des choses perçues, des risques liés aux communications du monde politique et des enjeux de celles-ci. Les noms cités ne le sont que pour comprendre leur impact au travers de décisions, de déclarations ou de comportements médiatisés.
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