Roland Lombardi : « La France est inaudible et hors-jeu des grands dossiers du Moyen-Orient »

 Musaad al-Aiban (ministre d’État saoudien), Wang Yi et Ali Shamkhani (secrétaire du Conseil de sécurité iranien) à Pékin le 10 mars 2023.

Roland Lombardi, spécialiste du Moyen-Orient, aborde dans cet entretien les enjeux géopolitiques actuels et à venir de lagion. Il nous fait part de ses analyses et de ses prédictions sur lavenir des Proche et Moyen-Orient ainsi que sur leurs implications sur le plan international.

Roland Lombardi - Docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient. Il enseigne à Aix Marseille Université et à la Business School de La Rochelle. Chroniqueur international pour Al Ain, il est également rédacteur en chef du Dialogue. Ses derniers ouvrages : Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021) et Abdel Fattah Al-Sissi, Le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

Propos recueillis par Elias LEMRANI


Le Contemporain - Après une décennie d’instabilité politique et sociale, les printemps arabes ont-ils réussi à améliorer la situation des pays de la région ? Quel bilan pouvons-nous en faire ?

Roland Lombardi - Plus de dix ans après les révoltes populaires du printemps arabe, force est de constater que la démocratie n’a pas su s’implanter dans les pays concernés et qu’au contraire les situations économiques et sociales ne se sont pas améliorées.


Il y a dix ans, nous étions une minorité de chercheurs à percevoir les véritables causes de ces soulèvements : moins des revendications démocratiques (pour une minorité de jeunes étudiants des capitales arabes et initiateurs des mouvements) que la misère et un violent rejet de l’affairisme, du népotisme et de la corruption de vieux systèmes dictatoriaux à bout de souffle (pour la majorité des peuples). Comme en Iran en 1979 ou en Algérie dans les années 1990, devant l’absence de leaders démocrates sérieux et d’organisations dignes de ce nom, il était inévitable que ces fragiles mouvements initiaux soient très vite récupérés voire purement et simplement éliminés par des forces plus déterminées, mieux structurées et organisées, à savoir les Frères musulmans, financés par le Qatar et soutenus par la Turquie d’Erdogan. Un temps, même les Occidentaux crurent à l’alternative politique de ces islamistes, présentés par l’efficace propagande de Doha, comme « modérés ». On a vu le résultat notamment en Libye ou en Syrie…


Les « Printemps arabes » se sont ainsi très rapidement transformés en « hiver islamiste » (avec les victoires des islamistes lors les élections issues des premiers mouvements comme en Égypte, en Tunisie ou en Libye), en guerres civiles ou en chaos engendré par le terrorisme d’al-Qaïda et de Daesh. Les économies se sont effondrées. Or, après les rêves et les illusions, il fallait revenir à la dure réalité du quotidien, travailler et surtout se nourrir. Échaudés par les exemples irakien, syrien et libyen, la majorité des peuples de la région n’aspirèrent donc plus qu’à revenir à la stabilité.


D’où le succès, la popularité et le retour d’hommes forts, une sorte de « printemps des militaires » que j’avais annoncé dès 2013 avec l’arrivée de Sissi à la tête de l’Égypte. 


Comme l’expliquait Gustave Le Bon dans sa célèbre Psychologie des foules, après les troubles engendrés par les révolutions, ces dernières, « abandonnées à elles-mêmes, sont bientôt lasses de leurs désordres et se dirigent d’instinct vers la servitude ». C’est triste et cynique, mais c’est la dure réalité à travers l’histoire…


C’est dans ce contexte que se forma une alliance contre-révolutionnaire composée de l’Égypte de Sissi, des Émirats arabes unis de Mohammed ben Zayed (MBZ) et de l’Arabie saoudite de Mohammed ben Salman (MBS). Son but : s’opposer dans le monde sunnite, aux promoteurs de l’islam politique et de nouvelles révoltes, le Qatar et la Turquie.


Ayant senti le vent du boulet, ces nouveaux autocrates ont alors entrepris trois actions essentielles pour imposer leur nouveau type de gouvernance. D’abord, cesser les ambiguïtés et les jeux troubles des dirigeants passés avec les islamistes de tout poil.

    

Ensuite, s’attaquer aux deux principaux engrais de ce cancer islamiste : la misère et surtout la corruption. En Égypte, Sissi fut le premier dès 2013, avec sa reprise par la force sur les Frères musulmans qui avaient remporté les diverses élections issues du Printemps du Nil, à engager des réformes socio-économiques drastiques parfois douloureuses et une modernisation sans précédent du pays. Une véritable opération « mains propres » de grande échelle a permis également de lancer plus de 1 500 procès de corruption au sein de l’appareil d’État égyptien. Ce qui n’avait jamais été fait de manière sérieuse dans le passé. C’était vraiment historique ! En ce sens, le Président égyptien est une sorte de modèle pour tous les autres et « nouveaux » autocrates de la région comme je l’explique dans mon dernier ouvrage, Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023).


Malheureusement, la pandémie du Covid puis aujourd’hui la guerre en Ukraine ont douloureusement impacté l’économie mondiale et notamment les économies de la région, ce qui a eu pour conséquence de grandement pénaliser les modernisations économiques en cours dans ces États. 


Le Contemporain - Quelle est votre analyse de la reprise des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie Saoudite et quel est son potentiel impact à long terme ? Cet événement marque-t-il la fin de l’influence occidentale et américaine au Moyen-Orient et un apaisement sur des dossiers tels que la guerre au Yémen ?


Effectivement, la reprise des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite aura assurément un effet positif sur certains dossiers de la région comme en premier lieu la guerre au Yémen. Or, cet évènement a pu se concrétiser sous l’égide de la Chine. C’est clairement le signe de la fin de l’influence occidentale et surtout des Etats-Unis dans la région au profit de Pékin. La Chine, forte de sa puissance financière s’impose inexorablement. Très dépendants en hydrocarbures (l’Iran et l’Arabie saoudite étant leurs principaux fournisseurs), les Chinois veulent donc un Moyen-Orient apaisé, sans conflits, qui par ailleurs nuisent toujours au commerce…


Le Contemporain - Riyad candidate pour intégrer les BRICS et l’OCS tandis que Téhéran est déjà membre de cette dernière depuis 2021. Que peut-on en conclure de la place et des intérêts de la Chine au Moyen-Orient depuis ces dernières années ?


C’est là encore un signe fort du basculement du centre de gravité de la géopolitique mondiale au bénéfice de la Chine. Il n’est dès lors guère étonnant qu’une adhésion aux BRICS soit envisagée par l’Arabie saoudite mais également par la Turquie, l’Algérie, l’Égypte et les Émirats arabes unis…


Autre signe des temps, et non des moindres, les refus répétés aux injonctions des Etats-Unis (pourtant le grand allié de Riyad depuis 1945 et le pacte du Quincy) et le véritable bras d’honneur de Mohammed ben Salman adressé à l’administration Biden. Le prince a refusé de rompre les accords (historiques) OPEP+Russie de 2016-2017 et d’augmenter la production de pétrole afin de, dans le cadre de la stratégie américaine et de la guerre de l’OTAN via l’Ukraine contre la Russie, saigner cette dernière. De même, l’Arabie saoudite a déjà bien entamé des pourparlers avec Pékin pour abandonner le dollar américain au profit du yuan dans les transactions pétrolières, ce qui va dans le sens de la dédollarisation souhaitée par Moscou...


La Russie comme la Chine d’ailleurs, et à l’inverse des Occidentaux, ne font pas de leçon de morale quant à la gouvernance des pays arabes et ne s’ingèrent pas dans les affaires intérieures des États de la région. C’est un point important qui font que les dirigeants de la zone, que cela nous plaise ou non, se détournent de plus en plus des Américains et des Européens moralisateurs, de leurs « démocraties décadentes », et préfèrent même le modèle politique chinois, autocratique mais dynamique sur les plans économiques.


Le Contemporain - Engluée dans sa guerre en Ukraine, où en est la présence russe dans la région ? Quel impact a eu cette dernière sur la présence moyen-orientale de la Russie ?


Dans mon livre Poutine d’Arabie, comment la Russie est devenue incontournable en Méditerranée et au Moyen-Orient (VA Éditions, 2020), j’expliquais comment Moscou était parvenue assez habilement à gagner en influence dans la région depuis dix ans. 


Concernant la guerre en Ukraine, je dis que toutes les guerres prennent fin un jour. Lorsque les Américains le décideront, forts de leurs succès à court terme (mise sous tutelle définitive d’une Europe « coupée » durablement de la Russie, vente de leurs armes et de leur gaz au prix fort sur le Vieux continent…) mais réalisant, pour le long terme, le désastre de leur stratégie globale face à la Chine, ils autoriseront enfin Zelensky à négocier. Poutine et les Russes n’auront alors atteint que 70% de leurs objectifs initiaux, mais en occupant toujours un cinquième du territoire ukrainien. Certes, la Russie sortira assurément affaiblie. Or, grâce à ses extraordinaires ressources naturelles et comme elle l’a maintes fois prouvé à travers l’histoire, elle s’en remettra.


C’est exactement la même grille de lecture que font les États arabes de ce conflit. C’est pourquoi ces derniers, comme aucun des grands pays d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie, n’ont suivi l’hystérie américaine et européenne contre la Russie, préférant respecter leurs agendas et intérêts (blé et pétrole), sans obéir à l’ancien gendarme américain et « boussole » du monde.


Pour les observateurs non occidentaux et les 4/5e du monde, cette guerre en Ukraine entre Européens, Américains et Russes est autodestructrice et un véritable suicide géopolitique et économique pour l’Occident. Pour eux, à tort ou à raison, elle ne fera que précipiter le déclin moral et matériel, déjà bien engagé, de cette Amérique et de cette Europe en qui ils n’ont plus aucune confiance et dont ils méprisent les leaders, totalement discrédités et toujours prêts à toutes les humiliations et compromissions pour quelques dollars ou euros. 


Les régimes arabes préfèrent dès lors se détourner de l’Ordre mondial américain et miser plutôt sur la Chine et même la Russie. Car cette dernière, en dépit des erreurs et difficultés actuelles en Ukraine, a démontré ce dont elle était capable depuis dix ans et dans toutes les crises et conflits, desquels elle est d’ailleurs toujours sortie victorieuse. Notamment en Syrie, même si les deux conflits ne sont pas de même nature ni de même ampleur. 


Les dirigeants de la région MENA semblent imperméables à l’extraordinaire propagande atlantiste qui inonde et sature les médias occidentaux. Ils ne croient absolument pas en une défaite russe ni même à la chute de Poutine. Ils font apparemment confiance à la résilience de cette nation qui joue à présent sa survie et dont les responsables ont toujours démontré une maîtrise historique parfaite et éprouvée du temps long et surtout des guerres d’usure.


Le Contemporain - Vingt ans après le début de la guerre en Irak, comment décririez-vous la situation actuelle du pays ? Quels sont les plus grands défis auxquels il est confronté et comment envisagez-vous son avenir à long terme, après des années de crises intestines ?


Tout d’abord, il faut bien rappeler que la situation délétère actuelle en Irak est en grande partie la conséquence de l’intervention américaine de 2003. La politique du régime change, du nation building et d’ingérence des Etats-Unis, des néoconservateurs républicains et des idéologues démocrates a été un véritable fiasco, une tragédie pour l’Irak et toute la région. L’ingérence iranienne en est elle aussi la cause et est d’ailleurs de plus en plus rejetée par la population irakienne, toutes confessions confondues. De plus, l’Irak fait partie des 10 pays les plus corrompus de la planète. En quinze ans, plus de 400 milliards d’euros d’argent public auraient été détournés. Tout ceci est légitimement révoltant pour des habitants d’un pays riche en pétrole mais où près de deux Irakiens sur cinq vivent en dessous du seuil de pauvreté ! Or, pour rétablir des infrastructures et des services publics dignes de ce nom, il faudrait en priorité une refonte totale de la gouvernance du pays (surtout dans le domaine de l’intégrité des responsables politiques) mais ça, nous en sommes encore très loin…


Enfin, même si le sentiment national ne doit pas être sous-estimé et que le nationalisme irakien est toujours vivace dans toutes les communautés, il n’en reste pas moins que les règlements de compte interreligieux ou intercommunautaires ont aggravé la fragmentation de la société irakienne.


Peut-être que le rapprochement récent entre Riyad et Téhéran apaisera les tensions entre chiites (majoritaire et globalement soutenus par l’Iran) et les sunnites (minoritaires et eux, appuyés par l’Arabie saoudite, entres autres). Nous verrons bien…


Le Contemporain - L’accueil chaleureux reçu par Bachar Al-Assad aux Émirats arabes unis et l’invitation attendue de l’Arabie saoudite au président syrien à participer au sommet de la Ligue arabe à Riyad le mois prochain actent-t-ils la fin de l’isolement régional de Damas ?


C’est une inflexion que j’annonçais dans mon Poutine d’Arabie. C’est le résultat justement, durant plus de dix ans, du sans faute et de l’efficace et réaliste politique des Russes dans la région. Aidé en cela par leurs alliés émiratis, égyptiens et saoudiens, le Kremlin parvient peu à peu à casser l’isolement de la Syrie de Bachar al-Assad et obtiendra au final sa réintégration au sein de la Ligue arabe. Ce n’est qu’une question de mois.


Le Contemporain - La moitié de la population libanaise dépend désormais de l’aide humanitaire, selon l’ONU. Quelle est votre lecture de la crise politico-économique qui touche le pays ?


La crise politico-économique que traverse le Liban est sans précédent. Mais les raisons intrinsèques de cette crise sont évidemment liées au communautarisme qui structure la vie politique du Liban depuis sa création. Sans parler aussi du clientélisme et de la corruption endémiques et inhérents à ce même communautarisme. Or c’est le serpent qui se mord la queue. Car dans l’état de déliquescence où se trouvent le Liban, on ne peut pas survivre sans sa famille et sans son clan pour obtenir un travail ou une aide quelconque. On ne peut compter que sur des solidarités communautaires et parfois encore, la corruption. Il y a aussi des oppositions géopolitiques régionales qui influent fortement sur la vie politique du pays. L’Iran milite pour son parti chiite, quand Riyad et Washington s’y opposent. Et aucune décision ne sera prise tant que ces trois puissances n’auront pas trouvé un consensus. Là encore, la « réconciliation » entre Iraniens et Saoudiens aidera peut-être à trouver une solution politique et financière…


Le Contemporain - En Israël, la reprise des relations entre Téhéran et Riyad a été perçue comme une défaite de la diplomatie de Netanyahou, devons-nous nous attendre à une escalade entre Israël et l’Iran et/ou à un élargissement des accords d’Abraham ?


C’est surtout, d’après moi et d’abord, une défaite de la diplomatie de Biden depuis janvier 2021. En effet, l’administration démocrate était bien décidée à tourner la page Trump et s’est bornée à déconstruire toute sa politique dans la région. Mais enfermée dans les idéologies et sa haine anti-Trump, elle n’a pas vu que le pragmatisme, certes abrupte et cynique, de l’ancien président était pourtant en train de porter ses fruits. L’équipe Biden n’a fait alors qu’accumuler les erreurs dans la région depuis son retour aux affaires. De fait, les Etats-Unis de Biden sont totalement dépassés et n’ont jamais été aussi faibles. Et lorsque le principal allié et soutien de l’État hébreu s’efface, Israël a des problèmes.


Il n’y a plus de Trump, de son sens aiguë des négociations et de son art de mettre la pression, pour imposer quoi que ce soit à personne. 


Quoi qu’il en soit, cela ne remettra pas en cause les Accords d’Abraham (qui sans Trump n’auraient jamais vu le jour), trop profitable à toutes les parties. MBS rejoindra cette alliance lorsqu’il sera enfin sur le trône et que son pouvoir sera affermi dans son royaume. Quant à une escalade avec l’Iran, je n’y crois pas. Jérusalem et Téhéran n’y ont pas intérêt. Et puis à présent, il faut compter avec la Chine. Les Chinois, on l’a dit, ne veulent en aucun cas d’un conflit ouvert dans la région. Ceci pour préserver justement leurs importants approvisionnements en gaz et en pétrole et également pour la sécurité de leurs nouvelles Routes de la soie. Or, n’oublions pas aussi que la Chine est un grand partenaire d’Israël où les investissements chinois sont énormes. Les échanges et la coopération dans divers domaines entre les deux pays sont en pleine expansion. Pour Pékin, l’État hébreu demeure le seul pivot stratégique solide, sérieux et stable (et solvable !) de la zone. Bref, aussi étonnant que cela puisse paraître, il serait plus que probable que Xi Jinping, compte tenu de sa nouvelle position de force en Iran et dans la région, use de son influence croissante sur toutes les parties pour calmer le jeu…


Le Contemporain - Quelle lecture portez-vous sur la crise politique que traverse Israël, causée par la réforme judiciaire du gouvernement Netanyahou et par la reprise des tensions avec les Palestiniens ?


Sans rentrer dans les détails, Israël étant une démocratie à l’occidentale, la crise politique et sociale que traverse actuellement l’État hébreu est du même ordre que celles qui touchent les démocraties occidentales aujourd’hui. Quant aux nouvelles tensions avec les Palestiniens, elles sont récurrentes notamment, encore une fois depuis le retour des démocrates à la Maison Blanche et les mêmes raisons que j’ai évoquées précédemment. Peut-être que la solution viendra une nouvelle fois du président égyptien Sissi, puisque depuis 2013, il est toujours à l’initiative des cessez-le-feu ou de l’apaisement entre Israéliens et Palestiniens…


Le Contemporain - Après la défaite de DAESH en 2019, où en sont les groupements islamistes au Moyen-Orient ?


On assiste aujourd’hui à une certaine forme d’« athéisation » progressive des jeunesses arabes. Toute relative certes, mais tout de même. Les islamistes semblent ne plus avoir le vent en poupe. Les fiascos des Frères musulmans un temps aux affaires, ainsi que l’anéantissement territorial de Daesh sont passés par là. Or, l’idéologie de Daesh et Al-Qaïda n’est pas morte. Ces groupes terroristes sont repassés à la clandestinité et peuvent encore frapper les démocraties faibles comme en Europe ou les États faillis comme en Afrique ou en Irak par exemple. Il y a aussi et encore des milices jihadistes en Libye ou en Syrie, dans la région d’Idleb, soutenues par la Turquie d’Erdogan. Quoi qu’il en soit, l’Entente, composée de l’Égypte de Sissi, des EAU de MBZ et surtout de l’Arabie salmanite (appuyée par leurs alliés russes), a engagé une lutte farouche et sans précédent historique dans la région contre l’islam politique des Frères musulmans mais également contre le terrorisme jihadiste, en s’attaquant notamment à son financement… le nerf de la guerre !


Le Contemporain - Le président turc Erdogan, affiche clairement ses ambitions panislamistes et néo-ottomanes pour la région ? Comment et par quels biais s’expriment-t-elles au Moyen-Orient ?


A la faveur des printemps arabes, il est de notoriété publique aujourd’hui que le Qatar et la Turquie d’Erdogan avaient tenté, avec l’aveuglement des Occidentaux, de placer leurs sbires fréristes au pouvoir dans les capitales des pays arabes touchés par les révolutions. Après plus de dix ans, c’est un échec pour l’axe Doha/Ankara et plutôt une victoire de l’Entente contre-révolutionnaire et anti-islamiste (sans précédent historique je l’ai dit), alliée à une Russie de retour dans la région depuis son intervention victorieuse en Syrie.


Ainsi, le Qatar et la Turquie, finalement isolés diplomatiquement et en grande difficulté économique (pour Ankara) furent forcés dès l’automne 2020, d’aller à Canossa et d’entamer une « réconciliation » avec leurs adversaires régionaux émiratis, saoudiens et surtout égyptiens. Ce fut le cas pour Doha lors du 41e sommet du Conseil de coopération du Golfe en janvier 2021 et depuis cette date, les efforts de rapprochement du président turc avec Le Caire, Riyad et Abou Dhabi. Ainsi, le dialogue a repris entre les ennemis d’hier pour le leadership régional, mais cette normalisation actuelle demeure fragile car des négociations âpres sur un éventuel modus operandi sont toujours en cours entre la Turquie d’Erdogan et l’Égypte de Sissi, et ce, sur de nombreux dossiers qui les opposent encore. Notamment à propos du plus important pour l’Égypte et sa sécurité, à savoir la Libye.


De même, malgré son bellicisme et ses fanfaronnades, Erdogan a été mis de plus en plus en difficulté sur le plan intérieur. Les problèmes domestiques se sont aggravés. Sa côte de popularité est en forte baisse dans les derniers sondages. Et la chute de la livre turque est vertigineuse. Pour les Turcs et les marchés financiers, c’est une situation très critique. Les manifestations dans le pays se multiplient et l’opposition s’organise. Dès lors, le Sultan est contraint de mettre entre parenthèse ses velléités régionales dans la région. Sa réélection en mai prochain semble difficile. Mais il ne faut pas l’enterrer trop vite. Car Erdogan a de la suite dans les idées, il est un homme d’État retors et très intelligent. Aujourd’hui, avec l’Ukraine par exemple, il s’est habilement imposé comme médiateur auprès des Russes (négociations sur les exportations de blé, sur les échanges de prisonniers…) et occupe donc le devant de la scène internationale…

Le Contemporain - Quel rôle la France peut-elle jouer dans la région dans les prochaines années ?


Aujourd’hui le rôle de la France se limite à des ventes d’armes avec nos partenaires stratégiques égyptiens, émiratis et dans une moindre mesure avec les saoudiens. Or, les relations internationales, surtout dans cette région, ne se résument pas à des considérations commerciales, idéologiques ou émotionnelles (surtout à géométrie variable !). Ce sera toujours le réalisme mais également des questions psychologiques qui prévaudront. Dès lors, en dépit de la méthode Coué et les mantras du Quai d’Orsay, les jeux sont faits : la France n’est plus écoutée, ni respectée dans la zone… ni ailleurs !


Boudée par le Maroc, humiliée par l’Algérie, la France est à présent totalement inaudible et hors-jeu des grands dossiers méditerranéens et du Moyen-Orient, en Libye, en Syrie, dans le conflit israélo-palestinien et même au Liban ! Ne parlons même pas de l’Afrique…


Après « l’Irrealpolitik » de ses prédécesseurs, la diplomatie spectacle mais stérile d’Emmanuel Macron, ainsi que son alignement sur la politique des Etats-Unis et de l’Union européenne à propos de l’Ukraine et contre la Russie, ont fini de sortir la France de l’Histoire et des affaires du monde. 


Or, l’histoire nous rappelle pourtant que la France n’est jamais aussi grande, respectée et écoutée que lorsqu’avec panache, elle est rebelle et insolente. Comme en 2003, lorsqu’elle s’est opposée courageusement à l’intervention américaine en Irak. Malheureusement, pour cela, il lui faut des chefs courageux et indépendants ! Une espèce actuellement en voie d’extinction sur les bords de Seine…


 Rivalités géopolitiques au Moyen-Orient (@Raphaël Zwein-2023 pour Le Contemporain)

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